Aucune loi, aussi somptueuse soit-elle, ne pourrait à elle seule changer le Liban, l'aider à évoluer vers le beau et le bon, catalyser son indispensable mutation dans un XXIe siècle que ce pays aborde d'ailleurs de plus en plus à reculons, arc-bouté sur des âges moyens plus poussiéreux, plus inquiétants, plus abortifs les uns que les autres. Aucun kaléidoscope de lois non plus. Aucune démocratie 2.0. Aucune dictature non plus. Rien n'y fera si l'on ne commence pas avant, (bien) en amont, à travailler sur le pire héritage que l'histoire, la géographie et, bizarrement, cette résilience génétique insensée qui est la nôtre ait légué à nos trisaïeux, à nos arrière-grands-parents, à nos parents, à nous, à nos enfants : notre mentalité. Rien n'y fera si cette mentalité n'est pas opérée à cœur et à corps ouvert, si elle n'est pas, recréée, réinventée, reformatée pour une anamorphose en profondeur, pour une nouvelle vision, une nouvelle conception de ce qu'est le Liban, de ce que c'est que d'être libanais, pas chrétien, ou musulman, ou sunnite, ou chiite, ou maronite, ou druze, ou orthodoxe, de ce qu'ils doivent furieusement être/devenir si l'on veut arrêter de reculer. Et indépendamment d'une classe politique et d'un corps de fonctionnaires censés être exemplaires à tous les niveaux, ce travail sur la mentalité libanaise commence à la maison, cornaqué par les parents, se poursuit à l'école, encouragé par les enseignants, et se complète, indispensable, en autogestion, par un apprentissage adulte de la Cité (miniature), de ses droits et de ses devoirs, par une friction avec l'autre, une fusion-acquisition avec l'autre, une acceptation de l'autre, un métissage avec l'autre et une émulation avec l'autre, quel que soit l'autre, à l'université.
La décision prise par le conseil universitaire de l'USJ de suspendre les élections estudiantines pour un an de répit n'est pas seulement une aberration. C'est de la complicité pure et simple dans l'assassinat (ou le suicide assisté) des institutions libanaises. C'est la reconnaissance de facto de la primauté de la milice.
Aussi compréhensibles, et légitimes aussi, que soient les angoisses, les craintes, les traumatismes mêmes du corps administratif et enseignant de l'Université Saint-Joseph, l'accouchement de cette hérésie est insensé. Sur la forme, d'abord : pourquoi un débat (public) n'a-t-il pas été organisé entre le conseil de l'université et les délégations d'étudiants, les amicales sortantes, les représentants des différents partis politiques avant la prise de décision ? Sur le fond, surtout : cela aurait pu passer si cela concernait n'importe quel établissement libanais – mais pas l'USJ. Pas cette matrix immémoriale de résistance. Pas ce pôle d'innovation et de gestation. Pas ce référent politique et culturel.
Quand la démocratie et son exercice sont souillés et dévoyés au niveau national, c'est à l'USJ de les nettoyer et de les réoxygéner sur ses campus. Quand le vide est érigé en Loi fondamentale au niveau national, c'est à l'USJ de le combler, sur ses campus. Quand la peur des tee-shirts noirs déstructure le collectif au niveau national, c'est à l'USJ de la dynamiter sur ses campus. Quand le climat interne est non favorable à la tenue d'élections au niveau national, c'est à l'USJ de l'assainir, sur ses campus. Quand l'abdication devient normale et normative au niveau national, c'est à l'USJ de rétablir l'équilibre, de redessiner l'échelle des valeurs sur ses campus. Quand les générations futures sont ignorées, même bafouées, et poussées à l'exil au niveau national, c'est à l'USJ de leur redonner l'espoir, de leur réapprendre le combat sur ses campus. Quand la Cité se délite et se métastase, et agonise au niveau national, c'est à l'USJ de la ressusciter sur ses campus. Par des élections – reformulées, encadrées, ultrasécurisées, peu importe, mais des élections. Et, tout autant, des activités estudiantines en bonne et due forme.
Les qualités humaines, pédagogiques et morales du recteur, des doyens et des enseignants de l'USJ sont ce qu'elles sont : indiscutables et nécessaires. Mais ils auraient été bien plus inspirés, là, de demander conseil à leurs aînés. À l'un d'entre eux, en particulier, rompu à ce genre d'interrogations, de gestion et de décisions. Même s'il fallait l'arracher de force à sa pampa argentine chérie.
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commentaires (6)
LE TEMPS DES BEAUX PAROLES EST TERMINÉS DEPUIS QUE CETTE VAGUE DE TSUNAMIS DE MERCENAIRES A FRAPPÉ LE PAYS. IL N'Y A QU'UNE RÉVOLUTION D'EN BASE POUR CHASSER TOUS CES FAUX POLITICOLOGUES ET CES MARCHANDS DE RELIGIONS AFFAMÉS QUI SE SONT ENRICHIS SUR LE DOS DU PEUPLE COMPLÈTEMENT AVEUGLE.
Gebran Eid
18 h 40, le 01 novembre 2014