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Moyen Orient et Monde - Médias

Femme, qatarie et star du petit écran... C’est possible !

Comment devenir une présentatrice télé dans un pays encore attaché à ses traditions les plus conservatrices ? À Doha, la télévision publique nationale fait de son mieux pour attirer Qataris et Qataries « de souche » et les convaincre de rejoindre le cercle très restreint des présentateurs télé.

La plupart des présentatrices actuelles sont des Qataries de deuxième génération, d’origine palestinienne, irakienne ou tunisienne. Les Qataries dites « de souche » ont de leur côté beaucoup de mal à franchir le pas. Capture d’écran/Qatar TV

Le Qatar, ce petit émirat du golfe Arabo-Persique, peine à « qatariser » – pour reprendre le terme de l'administration – l'accès à l'emploi. De manière générale, là où la formation technique des candidats qataris ne fait pas obstacle à la poursuite d'un objectif professionnel précis, c'est le poids de la pression sociale qui vient freiner les ambitions des jeunes de Doha.
Dans les bureaux de la chaîne de télévision publique, Qatar TV, tous les efforts sont déployés pour attirer les jeunes, et surtout les femmes. Une annonce est d'ailleurs diffusée en boucle sur le site Internet officiel de la chaîne. Pour l'heure, peu de résultats probants. Ceux qui sont attirés par les paillettes du petit écran sont surtout des hommes, et ce sont les plus religieux parmi eux qui réussissent le mieux. Deux de ces nouvelles stars sont des moutawa'a modernes, archi-éduqués et convaincus d'avoir un « message à faire passer » par le biais de l'audiovisuel public.
L'un présente une émission sociale, l'autre échange une fois par semaine sa blouse de pédiatre pour camper le rôle de superdocteur dans le cadre d'une émission consacrée à la santé.
Mais le plus dur reste d'attirer les femmes. La plupart des présentatrices actuelles sont des Qataries de seconde génération, d'origine palestinienne, irakienne ou tunisienne. Les Qataries dites « de souche » ont de leur côté beaucoup de mal à franchir le pas.

 

Le sourire de Mozah
L'une d'entre elles l'a fait, à 50 ans passés. Mozah est éducatrice et diplômée en psychologie. Elle anime un talk-show qui traite des problèmes sociaux du pays et répète à l'envi qu'elle est là uniquement pour partager ses connaissances avec son public. Son équipe fait de son mieux pour l'encourager, lui donner un « style », pour reprendre les termes du directeur de production. Ce dernier l'a même convaincue lors d'un tournage d'esquisser un sourire à l'écran, mais Mozah a vite déchanté lorsque son petit dernier de 13 ans – elle est mère de huit enfants – est rentré bouleversé de l'école. Explication du principal concerné : un ami de classe a regardé l'émission de Mozah et l'a trouvée « belle parce qu'elle était en train de sourire ». Le fils de Mozah est parti trouver son père, et la carrière télévisuelle de cette dernière a bien failli s'arrêter net.
Depuis, Mozah ne sourit plus. Elle se contente de bien resserrer son voile autour de sa tête, de bien boutonner son abaya autour de son cou et de prendre son air austère avant de faire son entrée sur le plateau de tournage.

 

(Lire aussi : Riyad menace d'agir avec fermeté contre les femmes au volant)

 

Khouloud
Beaucoup plus jeune, Khouloud se veut beaucoup moins à cheval sur les normes sociales. Humoriste amatrice, elle préfère présenter des émissions de divertissement. Le mois dernier, la chaîne lui a proposé une émission sur le cinéma qu'elle a acceptée avec enthousiasme. « Je veux montrer au public qui je suis, de quoi je suis capable », avait-elle alors affirmé, un sourire aux lèvres. Khouloud se plonge dans la préparation de l'émission, travaille son style, ses réparties. Malgré la abaya noire, elle veut montrer qu'on peut être qatarie et décontractée à l'écran. Seulement voilà, quelques jours seulement avant le début du tournage, elle disparaît, ne répond plus aux appels de son directeur de production. Explications de la principale intéressée : « Trop de pression, surtout de la part de ma famille, je préfère démissionner. »


Interrogé sur l'impact de la pression sociale sur ces femmes qui tentent tant bien que mal de se construire une carrière dans l'audiovisuel, le Dr Maamoun Mobayed, psychiatre en poste à Doha, estime que le fait de « respecter les traditions en portant une abaya ne suffit certes pas à protéger ces femmes contre le poids des critiques sociales. Tout cela est bien plus profond (...) car ce sentiment d'embarras a pour origine l'éducation et la manière dont ces filles ont été élevées (...). Certaines ressentent de l'embarras malgré le port de la abaya, d'autres pas. Le même phénomène s'applique aux hommes, certains sont également mal à l'aise à l'écran, cela n'est pas propre aux femmes, ni au Qatar d'ailleurs ». Et d'ajouter : « La femme qatarie joue un rôle de premier plan dans le développement de la société de par les postes importants qu'elle occupe dans plusieurs domaines. » Sur le point de savoir si la télévision est un moyen comme un autre de faire avancer la société, M. Mobayed précise : « Je n'aimerais pas que l'on déduise de cette question que toutes les normes sociales établies sont à abolir, qu'elles sont toutes mauvaises. Lorsqu'une société, quelle qu'elle soit, désire changer, se transformer, elle peut le faire à condition que cela se fasse en interne et non que cette transformation soit imposée de l'extérieur. Chaque société a son rythme propre. » Il n'en reste pas moins que pour une jeune femme, une apparition sur le petit écran peut souvent faire fuir un éventuel prétendant, et au Qatar, le mariage demeure une institution très importante, la population locale étant quasi « envahie » par l'afflux massif d'expatriés en quête d'un niveau de vie meilleur. Le mariage reste donc pour la société qatarie le meilleur moyen de se préserver et de se perpétuer.

 

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