Rechercher
Rechercher

Les grandes gueules

Faute avouée, dit-on, est à moitié pardonnée. Même cette moitié de pardon toutefois, on a bien du mal à la consentir à un récidiviste aussi invétéré, aussi incorrigible que l'Oncle Sam.


Par définition, les services d'espionnage de tout pays (et à plus forte raison d'une superpuissance) sont censés scruter à la loupe le monde extérieur, informer de leurs découvertes l'autorité politique et préconiser – ou déconseiller – un éventuel passage à l'action, qu'il s'agisse d'initiatives déployées au grand jour ou d'opérations clandestines. Or nombreux, dans l'histoire contemporaine des États-Unis, sont les cas où la torpeur des services, ou, au contraire, leur excès de zèle ont conduit à des erreurs de jugement si énormes parfois qu'elles tournaient carrément à la désinformation. C'est ainsi en base de renseignements follement optimistes fournis par la CIA que le président John F. Kennedy, pressé de renverser le Cubain Fidel Castro, ordonnait, en 1961, le catastrophique débarquement de la Baie des Cochons. À George W. Bush pressé, lui, d'en finir avec Saddam Hussein, la même CIA faisait cadeau de rapports erronés, sinon mensongers, attribuant au dictateur irakien le stockage d'armes de destruction massive.


Barack Obama, lui, fait dans la candeur : style qui changeait plutôt agréablement des frénésies guerrières de son prédécesseur. Mais n'en fait-il pas décidément trop ? Il y a peu, le chef de la Maison-Blanche stupéfiait son monde en reconnaissant qu'il ne disposait pas de stratégie face à l'État islamique. L'inspiration étant enfin venue, l'Amérique mettait alors sur pied une vaste coalition groupant une quarantaine de pays engagés, à des degrés divers, dans la lutte contre ce fléau. Recoup de théâtre cependant, dimanche dernier : interviewé par la CBS, le président admet, cette fois, s'être doublement trompé : une première fois en sous-estimant la gravité d'un chaos syrien forcément générateur de phénomènes aussi dangereux que l'EI ; et une deuxième fois en surestimant la capacité de l'armée irakienne à résister au raz-de-marée jihadiste. Courageux aveu tout de même, que celui-là ? Pas si sûr, puisque Obama ne faisait en réalité que confirmer le sidérant mea culpa que venait de s'infliger le chef de la CIA, James Clapper, en personne.


Comment la mythique CIA, avec ses quelque 25 000 agents, ses satellites et drones de surveillance (sans parler de ses taupes disséminées sur tous les continents), n'a-t-elle pu déceler à temps, et évaluer à sa juste mesure, le développement d'une tumeur cancéreuse que, depuis des mois déjà, l'on voyait grossir à vue d'œil ? Et l'ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton ne s'est-elle pas égosillée à réclamer en vain l'octroi d'une aide massive à l'opposition démocratique de Syrie pour finir, excédée, par rendre son tablier ?
En définitive, c'est d'un singulier mélange de naïveté et de pragmatisme (de duplicité ?) que se pare la doctrine Obama. C'est surtout le régime Assad qui tire profit des frappes aériennes contre les hordes terroristes ? Washington n'en disconvient pas, dans sa conviction que, de toute manière, la solution en Syrie, comme d'ailleurs en Irak, ne saurait être que politique, et non militaire. Que l'on ajoute à cela l'affirmation, maintes fois réitérée, qu'en aucun cas les États-Unis n'enverront des troupes sur le terrain, et voilà de quoi combler au-delà de toute espérance une tyrannie syrienne claironnant, à l'Assemblée générale de l'Onu, que le monde entier est en train de se rallier à ses vues.


La transparence, c'est bien beau, sauf précisément par temps de guerre, et on n'a jamais vu une puissance étaler aussi stupidement ses propres défaillances. Il est déjà bien hasardeux de faire part à l'adversaire des coups qu'on lui réserve : à défaut de l'intimider, l'avertissement peut en effet lui donner le temps de trouver la parade. Or il y a plus hasardeux encore ; aussi le vertueux Obama, pour soucieux qu'il soit de la vie de ses marines, serait-il bien inspiré de suivre le conseil de ce président exceptionnellement retors qu'était Richard Nixon : Ne jamais dire à l'ennemi ce qu'on ne fera jamais...

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Faute avouée, dit-on, est à moitié pardonnée. Même cette moitié de pardon toutefois, on a bien du mal à la consentir à un récidiviste aussi invétéré, aussi incorrigible que l'Oncle Sam.
Par définition, les services d'espionnage de tout pays (et à plus forte raison d'une superpuissance) sont censés scruter à la loupe le monde extérieur, informer de leurs découvertes l'autorité...