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Moyen Orient et Monde - Par Javier Solana

La gravité du nouveau monde

Le président ukrainien Petro Porochenko. Valentyn Ogirenko/Reuters

Ce n'est pas la première fois que le monde connaît des transformations globales. Cependant, avec la mondialisation et les progrès technologiques, le rythme et l'ampleur de ces transformations ont considérablement accéléré. Au cours des prochaines décennies, cette tendance ne fera que s'intensifier – apportant avec elle un important potentiel d'instabilité.
Cela fait plus de 20 ans que l'Irak de Saddam Hussein a envahi le Koweït, incitant l'adoption quasi unanime des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies exigeant le retrait des forces irakiennes. Quand Saddam a défié les résolutions, une coalition de 34 pays, soutenant l'offensive aérienne des États-Unis connue sous le nom d'opération Desert Storm, a fait évacuer ses troupes du Koweït. C'était en 1991, lorsque l'effondrement de l'Union soviétique avait laissé les États-Unis comme seule superpuissance mondiale. Néanmoins, cela n'est plus le cas à l'heure actuelle – une réalité qui se reflète dans les réponses confuses de la communauté internationale aux violations territoriales similaires aujourd'hui.
Prenez l'invasion et l'annexion par la Russie de la Crimée qui s'est déroulée il y a quelques mois. Bien qu'elle ait clairement constitué une violation de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, 11 pays ont voté contre la résolution de l'Onu condamnant cette action, et 58 pays – y compris l'ensemble des pouvoirs non occidentaux – se sont abstenus. De toute évidence, l'équilibre mondial du pouvoir a changé. En politique internationale, les perceptions ont de l'importance – parfois même plus que la réalité elle-même. La perception est aujourd'hui que le moment unipolaire de l'Amérique a pris fin ; l'Europe est en déclin ; et un nouvel ensemble de puissances est en train de se créer, apportant leurs propres visions particulières du monde dans les affaires mondiales. Dans un sens, cela peut sembler une bonne chose. Des perspectives plus variées pourraient enrichir les processus multilatéraux et générer des solutions plus complètes aux problèmes mondiaux.
Mais cette dynamique multipolaire génère également de l'instabilité. Bien que le monde soit de plus en plus interconnecté, et que les défis ne se limitent plus aux frontières nationales ni même régionales, les grandes puissances sont de plus en plus réticentes à assumer des responsabilités mondiales. Pire encore, compte tenu de leur refus fréquent de tenir mutuellement compte des intérêts réciproques, des impasses – voire des affrontements –deviennent probables. Des institutions multilatérales fortes, efficaces et inclusives peuvent jouer un rôle vital dans la lutte contre cette instabilité et pour encourager la coopération. Cependant, même les structures les mieux conçues ne peuvent pas réaliser grand-chose sans la volonté politique de résoudre les conflits par le dialogue. Afin de faire des progrès, les pays doivent apprendre à défendre leurs principes tout en respectant ceux des autres – et ne jamais perdre de vue leurs intérêts et objectifs communs. Sans une telle approche unifiée, la stabilité géopolitique est diminuée. Par exemple, l'Ukraine est un pays indépendant depuis 1991 qui est entièrement intégré dans le système international, après avoir cédé ses armes nucléaires en 1994 et présidé trois sessions de l'Assemblée générale des Nations unies. En échouant à fournir une réponse adéquate à l'invasion russe, cependant, la communauté internationale a poussé l'Ukraine vers un passé sombre. Il faut espérer que le Protocole Minsk récemment conclu – qui comprend 12 dispositions, y compris un cessez-le-feu et un programme de relance économique – réussisse à résoudre le conflit.
Dans tous les cas, la stabilité internationale a été compromise – et plusieurs nouveaux développements déstabilisants sont à l'horizon. Dans le monde développé, le mandat du président américain Barack Obama va bientôt prendre fin. La politique européenne, elle aussi, connaît une transition potentiellement importante, avec la nouvelle Commission européenne qui entre en fonction, dans un contexte inquiétant de montée du nationalisme dans les États membres de l'Union européenne. Deux dirigeants qui resteront au pouvoir dans un avenir prévisible sont le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre chinois Xi Jinping – dont les pays ont chacun engendré une grande instabilité dans leurs régions respectives. Bien avant que la Russie n'envahisse l'Ukraine, la Chine a engagé des conflits territoriaux avec plusieurs de ses voisins, notamment dans les mers de Chine orientale et méridionale. En outre, la Russie et la Chine repoussent la domination occidentale traditionnelle dans les institutions multilatérales. Les deux pays – avec le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud (les Brics) – ont mis en place leur propre banque de développement, motivée en partie par le fait que le Fonds monétaire international n'ait pas tenu sa promesse de 2010 d'ajuster les droits de vote afin de refléter l'équilibre mondial du pouvoir économique. (Jusqu'au sommet du G20 de 2010, lorsque cette promesse a été faite, la Chine avait les mêmes droits de vote que la Belgique.)
Tout cette incertitude entourant les superpuissances émergentes et traditionnelles du monde a entravé les efforts visant à relever les défis de sécurité au Moyen-Orient, depuis le conflit israélo-palestinien sans fin jusqu'aux conséquences du printemps arabe, en passant par la nouvelle et puissante menace posée par l'État islamique. Contrairement à el-Qaëda, l'État islamique n'est pas un réseau fragmenté de cellules relativement petites ; il s'agit d'une entité territoriale fonctionnant comme un pseudo-État sur le territoire syrien et irakien. Et le reste du monde ne semble pas savoir comment arrêter sa progression implacable. Les États-Unis se sont précipités pour former une coalition confuse de près de 30 pays, dont dix pays arabes. Il reste à voir comment la coalition sera organisée et avec quels résultats. Dans ce cas, l'Union européenne pourrait aider. En fait, quand les États-Unis ont employé pour la première fois leur stratégie de « commandement par l'arrière », lors de l'intervention de 2011 en Libye, les pays européens ont été contraints à assumer une plus grande responsabilité.
Au lieu de considérer cette intervention comme une anomalie, l'UE devrait reconnaître la nécessité de renforcer son rôle dans la défense de la sécurité mondiale – notamment pour défendre ses propres intérêts dans une région prospère et stable. En ce sens, la décision de l'UE de retarder la mise en œuvre de son accord d'association avec l'Ukraine afin de créer de l'espace en vue de rechercher un consensus avec la Russie est un indicateur positif. Dans un monde multipolaire, les acteurs avec des visions du monde très différentes doivent travailler ensemble pour faire avancer leur intérêt commun pour la sécurité, la stabilité et la prospérité. Il est temps pour tous les pouvoirs du monde de reconnaître leur responsabilité pour faire de la coopération constructive une réalité.

Traduit de l'anglais par Timothée Demont.
© Project Syndicate, 2014

Javier Solana a été haut représentant de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité, le secrétaire général de l'Otan et le ministre des Affaires étrangères de l'Espagne. Il est actuellement président du Esade Center for Global Economy and Geopolitics et Distinguished Fellow de la Brookings Institution.

Ce n'est pas la première fois que le monde connaît des transformations globales. Cependant, avec la mondialisation et les progrès technologiques, le rythme et l'ampleur de ces transformations ont considérablement accéléré. Au cours des prochaines décennies, cette tendance ne fera que s'intensifier – apportant avec elle un important potentiel d'instabilité.Cela fait plus de 20 ans que...

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