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Culture - Cimaises

L’art et le néant à la galerie Tanit !

Dans la vague de l'art conceptuel dématérialisé, virtuel, éphémère, voire invisible... six artistes libanais n'exposent rien à la galerie Tanit de Beyrouth ! Sinon leurs idées à débattre avec les visiteurs...

La photo inspiratrice de « l’œuvre éphémère collective »...

Si vous pensez vous rendre à la galerie Tanit* pour découvrir un accrochage de photos, peintures, dessins ou vidéos – comme le laissent présager les noms des « exposants » sur le carton d'invitation greffé d'une petite photo en couleurs –, eh bien, circulez, y a rien à voir !
Si, par contre, vous avez envie de discuter d'art, de philosophie, de violence, de pouvoir, d'impossibilité, de rapports d'inclusion et d'exclusion... Bref, si vous avez envie de vous triturer les méninges, de vous lancer dans le débat artistico-intellectualisant, vous serez à la bonne adresse.
Car, jusqu'au 20 septembre, six artistes conceptuels libanais (pour être plus précis, cinq, rejoints par l'intellectuel palestinien Aïssa Deebi) y exposent essentiellement leurs idées. Et ils auront beau dire qu'ils présentent une œuvre réalisée collectivement in situ, celle-ci passe, de prime abord, totalement inaperçue aux yeux des visiteurs. Lesquels, en débarquant à la galerie, auront la surprise de n'y trouver que sol et murs nus !


Deuxième effet de surprise, lorsque la responsable des lieux leur assurera que « l'expo est là ! », en pointant du doigt deux traces de raclage au sol. En fait, deux rectangles découpés, de biais, dans le béton ciré du sol à proximité des deux piliers centraux de la première salle, dont ils reprennent par terre les mêmes dimensions. Jouant ainsi sur la fausse impression que les poteaux ont été déplacés. Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi le découpage d'une fente rectangulaire (vitrée) dans l'un des murs extérieurs de la même salle que viennent compléter, en troisième partie, les débris rassemblés dans la salle adjacente.
Voilà pour la description « physique » de l'œuvre. Son interprétation, elle, est une autre paire de manche !
Tentative d'explication avec Jacko Restikian, artiste pluridisciplinaire (hôte régulier du Salon d'automne du musée Sursock), qui a signé cet insolite « travail artistique », avec le réalisateur et vidéaste Ghaïth al-Amine, les peintres Bassam Kahwaji et Chaouki Youssef, le plasticien Walid Sadek ainsi que Aïssa Deebi précité.


Signalons tout d'abord qu'il ne s'agit pas d'un regroupement instaurateur d'un mouvement artistique, mais d'une création collective et ponctuelle d'artistes ayant chacun son univers, ses thématiques, ses techniques de prédilection.
« En fait, tout est parti d'une photo, révèle Restikian. Celle du carton d'invitation. Un cliché de petit format, glané dans la presse, montrant la rue de Syrie, à Tripoli, scindée en deux par une immense bâche bleue. La singularité de cette photo, c'est qu'elle évoque la violence des conflits entre riverains, à savoir les habitants de Jabal Mohsen et Bab el-Tebanneh. Car lorsque ce rideau – à la couleur d'un ciel pur – est fermé, cela signifie que les snipers sont en activité. Lorsqu'il est tiré, c'est le temps de répit. C'est de ce cliché examiné, étudié, déchiffré, sous l'angle de la violence de l'image au Liban qu'est né notre projet commun. »
« Pour nourrir notre création, on s'est posé deux questions, poursuit Restikian. Premièrement : comment faire face à la violence de cette image dans un travail artistique, comment créer une œuvre qui soit aussi dure ? Et deuxièmement : comment habiter ce rideau ? En d'autres termes, l'imaginer en espace habitable. »

 

« Déplacer les colonnes...»
À partir de ces deux questions, les six ont suivi un processus de développement de l'œuvre balisé des trois contraintes suivantes : « Exclure la parole de l'œuvre ; ne pas utiliser la technologie ; et élaborer notre travail dans l'espace de la galerie, au moyen d'outils (marteaux, scie, etc.) au cours d'une seule journée. Ces contraintes fixées ne sont pas un jeu. Nous ne les avons pas prises à la légère. Elles sont des métaphores des contraintes de la vie dans la ville, articulée au Liban par le discours confessionnel. Lequel, pour n'être pas le seul qui structure notre société, reste le plus dominant. »


Six mois de réflexions et d'échanges ont été nécessaires à l'élaboration de cette œuvre commune. « Qui n'est pas un manifeste collectif, qui n'est délibérément pas accompagnée d'une note d'intention, car chacun de ceux qui y ont participé a un récit narratif différent, comme chaque visiteur y trouvera une explication, une projection, personnelle », soutient l'artiste qui, entre deux citations de Foucault et de Marcel Duchamp, narre aussi cette anecdote à l'origine de l'œuvre : « Lorsqu'on a annoncé à Nayla Kettaneh-Koenig qu'on s'était entendus pour travailler sur l'espace de la galerie, elle nous a répondu qu'elle le mettait entièrement à notre disposition, qu'on pouvait en faire tout ce qu'on voulait sans aucune restriction à part évidemment d'en déplacer les colonnes. Ses mots ont fait effet de déclencheur ! On a alors eu envie de creuser le rapport entre l'impossibilité aujourd'hui qui serait peut-être un jour possible. » Et qui renverrait, du coup, à « l'impossibilité de rendre cet espace de violence, représenté dans la photo, habitable ». Mais certains y verront aussi l'envie « de détruire la galerie, symbole du pouvoir du galeriste sur l'artiste ! »
Bref, vous l'aurez deviné. Il s'agit là d' « un discours autre sur l'art », qui vous sera délivré directement par l'un ou l'autre de ses auteurs présents à la galerie Tanit, du lundi au vendredi, après 17h. Sinon, en dehors de ces créneaux de rencontres avec les artistes, très franchement, on ne voit pas l'intérêt qu'il y aurait à vous déplacer !

 

*Mar Mikhaël, près EDL. Horaires d'ouverture : du lundi au vendredi, de 11h à 19h. Tél. 76-557662.

Si vous pensez vous rendre à la galerie Tanit* pour découvrir un accrochage de photos, peintures, dessins ou vidéos – comme le laissent présager les noms des « exposants » sur le carton d'invitation greffé d'une petite photo en couleurs –, eh bien, circulez, y a rien à voir !Si, par contre, vous avez envie de discuter d'art, de philosophie, de violence, de pouvoir,...

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