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Météogéopolitique

Qui se souvient encore de l'abominable poule pondeuse, aujourd'hui dépassée, enfoncée, détrônée par sa propre progéniture ? À propos d'el-Qaëda, on s'accordait à parler de nébuleuse : terme désignant, en astronomie, un vaste nuage de gaz et de poussières et qui convenait bien au rassemblement de groupes terroristes aux relations imprécises gravitant, à cette époque, autour de l'organisation mère. Même dans ses rêves les plus fous, Oussama Ben Laden ne se voyait certes pas en calife d'un territoire se jouant des frontières établies, commandant des dizaines de milliers de fanatiques armés jusqu'aux dents et disposant d'énormes moyens d'autofinancement.


Assez ironiquement, mérite à son tour d'être qualifiée de nébuleuse – car baignant dans les brumes de l'ambiguïté – la coalition internationale tout juste mise sur pied par les États-Unis pour venir à bout de l'État islamique. Enfin doté d'une stratégie au terme de longs atermoiements (les récentes décapitations de deux journalistes américains ne sont sans doute pas pour rien dans ce subit accès d'urgence), voilà que Barack Obama se décide à intervenir militairement contre les hordes de Daech, en se gardant bien toutefois de rééditer les imprudents excès de son prédécesseur George W. Bush.


Ainsi, c'est du haut des airs seulement, et en excluant l'envoi d'autres troupes que quelques centaines de conseillers militaires, que l'Oncle Sam usera de son formidable armement, aussi bien en Syrie qu'en Irak. Pour meurtrières qu'elles puissent être, les ailes pourront-elles jamais se passer du concours des bottes pour que soit scellée l'issue d'une guerre ? Bien sûr que non, répondent à l'unisson les experts. Mais dans ce cas, qui donc fournira la piétaille, l'indispensable chair à canon ? Les Irakiens, maintenant qu'ils se sont dotés d'un gouvernement convenable, les Kurdes et bien évidemment les rebelles modérés de Syrie. Or, surprise de taille, maintes formations de l'opposition se refusaient, dès hier, à affronter les égorgeurs en combat singulier, exigeant en effet que les frappes aériennes promises visent aussi bien – et même en priorité – les forces de Bachar el-Assad que celles des terroristes : faute de quoi en effet, s'offusquent-elles, on n'aurait fait que réduire la pression mise sur la sanguinaire dictature de Damas, que soulager le terrorisme originel.


Là est la question centrale, et elle ne se pose pas seulement d'ailleurs pour les plus directement concernés. Elle se pose avec acuité pour la Russie et l'Iran, farouches protecteurs de Bachar n'ayant qu'à se féliciter néanmoins de cette mobilisation internationale contre le péril jihadiste. Elle se pose pour les alliés occidentaux de l'Amérique eux-mêmes qui, par-delà une unanime condamnation de la barbare répression baassiste, manifestent maintes nuances et réticences quant à la forme et l'ampleur de leur participation aux opérations. Pour les Britanniques et les Allemands, il n'est pas question de prendre part à des frappes en Syrie. La Syrie, fait remarquer de même Laurent Fabius, c'est différent de l'Irak, où débarquait hier un président Hollande visiblement désireux de voir rétablis, dans leur ancienne et fructueuse étroitesse, les rapports industrialo-commerciaux de la France avec ce pays. De manière plus significative encore la Turquie, pourtant membre de l'Otan, refuse de servir de plate-forme d'envol pour les bombardiers US, comme de s'engager publiquement à boucler ses frontières face aux allers et venues des combattants islamistes.


Last but not least, que faut-il attendre de concret des États arabes eux-mêmes, dont Obama, dévoilant sa stratégie, a fort à propos rappelé qu'ils sont les premiers menacés par le phénomène Daech ? Des sous, voilà à quoi se résume l'affaire. Ce n'est pas très digne, mais c'est tout de même capital, c'est bien le cas de le dire. Les royaumes pétroliers du Golfe devront en effet débloquer des fonds importants pour financer la réhabilitation de l'armée irakienne et les livraisons d'armes aux rebelles syriens ; et ils devront surtout s'employer à assécher, à la source, les généreuses donations que versent aux islamistes radicaux leurs émirs et autres notables, quand ce ne sont pas les Trésors publics qui le font plus ou moins discrètement.
Au nombre des dix pays arabes qui, jeudi à la conférence de Djeddah, se sont solennellement ralliés à la coalition, figure, le plus naturellement du monde, le Liban. Naturellement, puisque notre pays a déjà essuyé, à Ersal, les coups de Daech. Encore plus naturellement puisque, à défaut de représenter, pour l'heure du moins, une menace militaire claire et pressante, les terroristes – par l'exploitation de leurs odieuses exécutions de militaires pris en otage – sont parfaitement en mesure d'attiser les tensions sectaires entre les deux branches de l'islam libanais.


On peut se demander cependant ce que veut dire exactement le ministre des AE, quand il plaide pour une nécessaire coopération avec les gouvernements de la région. Fait-il complaisamment écho à la prétention des tortionnaires de Damas d'être tenus en partenaires de la lutte contre les terroristes ? Et pourquoi les alliés locaux de l'Iran renchérissent-ils sur leurs propres mentors en criant à l'invasion yankee ?
Lui non plus, le naturel libanais n'est guère à l'abri du brouillard.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Qui se souvient encore de l'abominable poule pondeuse, aujourd'hui dépassée, enfoncée, détrônée par sa propre progéniture ? À propos d'el-Qaëda, on s'accordait à parler de nébuleuse : terme désignant, en astronomie, un vaste nuage de gaz et de poussières et qui convenait bien au rassemblement de groupes terroristes aux relations imprécises gravitant, à cette époque,...