Le Liban tout entier attendait le Conseil des ministres de jeudi, et il a été servi. Dans une situation aussi sensible et explosive, il a adopté des décisions très importantes, refusant clairement tout échange de prisonniers entre les ravisseurs des militaires et les détenus islamistes de Roumieh, demandant à l'armée d'étendre sa mission à Ersal, dans une tentative de couper la bourgade de son jurd. L'objectif est de faire pression sur les combattants d'al-Nosra et de l'EI postés dans le jurd et qui ont gravement besoin de Ersal pour leur approvisionnement en nourriture, médicaments et soins de santé. Le gouvernement aurait donc ainsi choisi d'utiliser ses éléments de force pour exercer à son tour des pressions sur les ravisseurs au lieu de laisser le pays livré à leurs manœuvres et soumis à leur chantage. Il en était temps, et la démarche ne peut qu'être saluée. Il reste toutefois à attendre la concrétisation de cette décision. Les informations qui ont filtré de la réunion du Conseil des ministres ne parlent pas de la position du ministre de la Justice Achraf Rifi. En principe, les décisions du gouvernement présidé par Tammam Salam sont prises à l'unanimité, puisque chaque ministre a le pouvoir de les bloquer avec son droit de veto. On peut donc supposer que le général Rifi est d'accord avec toutes les décisions prises, même si il n'y a eu aucun désaveu de la part du gouvernement des dernières décisions du ministre au sujet des jeunes qui ont brûlé un drapeau de l'EI contre lesquels il a engagé des poursuites judiciaires, ni de la position dans laquelle il estime que le Hezbollah et l'EI représentent la même menace pour le Liban.
Mais le plus important est encore le terrain. En principe, l'armée a désormais un mandat plus large pour resserrer sa surveillance autour de Ersal et pour arrêter tous les contrevenants. Ce qui est une manière indirecte de reconnaître que la mission qui lui avait été confiée précédemment était « incomplète » et ne lui permettait pas d'exercer un contrôle réel sur les allées et venues des combattants à Ersal. Désormais, cette ambiguïté est levée et l'armée a mandat pour s'étendre vers le jurd. Mais le Conseil des ministres continue de vouloir protéger les habitants de Ersal en considérant cette bourgade comme étant « occupée » par les éléments armés. Une source militaire précise à cet égard qu'il s'agit certainement d'une position avancée de la part de la classe politique, mais elle ne donne pas clairement une carte blanche à l'armée pour effectuer des perquisitions à Ersal et pour arrêter les éléments armés dans la bourgade, sachant qu'au moins 400 membres de l'EI et du Front al-Nosra font partie de ses fils.
D'ailleurs, les habitants de Ersal racontent que les éléments armés originaires de leur ville font des barrages la nuit dans certains quartiers et circulent librement, allant dans le jurd puis revenant parfois chez eux. De même, l'armée libanaise n'a pas été autorisée à effectuer des perquisitions dans les camps de réfugiés syriens proches de Ersal, qui abritent des cellules favorables à l'EI et à al-Nosra.
Une fois de plus donc, le Conseil des ministres ne va pas jusqu'au bout de ses décisions et le flou n'est pas totalement levé. D'autant que sur le plan de l'équipement de l'armée, rien de nouveau n'a été enregistré. Selon une source militaire, les dons de particuliers ont permis à l'armée de s'acheter quelques lunettes à infrarouge utilisables la nuit. Mais il est apparu que l'EI et al-Nosra ont des équipements bien plus sophistiqués et beaucoup plus d'argent. Le don saoudien de trois milliards de dollars ne s'est toujours pas concrétisé, et en dépit d'une visite de plusieurs jours du prince héritier saoudien à Paris pour négocier les contrats, aucun d'eux n'a été signé, les Saoudiens ayant brusquement découvert, selon la presse française, que la présence de leur ministre des Finances était requise pour l'accomplissement d'une telle mission. Pour ce qui est du milliard supplémentaire, les listes des besoins ont été établies, et la part qui doit revenir à l'armée a été réduite de moitié, les FSI et leurs services de renseignements (le département des informations) obtenant une part non négligeable. Mais même là aussi, aucune décision concrète n'a été encore prise.
Que cache donc cette promesse de milliards à l'armée qui traîne et ne parvient pas à se concrétiser ? Pour certains, les Saoudiens souhaiteraient lier l'arrivée des équipements à l'élection d'un nouveau président. Pour d'autres, ces dons font désormais partie de la situation régionale et du dialogue annoncé entre Riyad et Téhéran, et d'autres enfin estiment qu'ils restent tributaires du climat confessionnel qui règne dans le pays et dans la région. Conclusion : le gouvernement fait de son mieux, mais il doit aussi préserver sa cohésion, laquelle, conflit politique et confessionnel oblige, exige des positions nuancées.
Liban - Décryptage
Le gouvernement pris en étau entre sa cohésion et son appui à l’armée
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 06 septembre 2014 à 00h00
"COHÉSION" ! QUELLE COHÉSION ? ET SURTOUT, QUEL "APPUI" ?
15 h 55, le 08 septembre 2014