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Moyen Orient et Monde - Eclairage

En Irak, le seul mouvement de résistance à l’EI « doit être sunnite »

La situation en Irak est pleine de mystère. Pour la décrypter, les théories du complot (qu'il soit iranien, israélien, américain ou saoudien) se multiplient comme si la situation dépendait simplement d'une partie d'échecs. Pendant ce temps, il est difficile de trouver des sources fiables, des raisonnements argumentés, permettant de mieux appréhender la complexité du terrain. C'est dans le but d'obtenir ce type d'informations que L'Orient-Le Jour a interrogé Myriam Benraad, politologue spécialiste de l'Irak et docteure en sciences politiques de l'IEP de Paris.

Comment peut-on expliquer de façon rationnelle l'avancée fulgurante des forces de l'État islamique qui apparaissent pourtant nettement moins nombreuses que celles du régime ?
Tout d'abord, il est nécessaire de préciser que les informations qui prétendent que les combattants de l'État islamique viennent de Syrie sont totalement fausses. L'Irak représente le cœur de l'État islamique, et ces guerriers ont accumulé une solide expérience en combattant pendant dix ans l'armée américaine. Formés par la pointure du jihadisme international, ils possèdent une maîtrise avancée des combats armés. En face, l'armée irakienne, qui a été complètement démantelée en 2003, n'est pas du tout opérationnelle. À titre d'exemple, les soldats ne savent pas se servir des armements de pointe laissés par les Américains. Face à l'opération fulgurante de l'État islamique, des dizaines de milliers – et non des centaines de milliers – de soldats ont pris peur et se sont enfuis. L'armée n'était pas préparée à affronter une guérilla urbaine, et cela s'explique notamment par la faillite générale de l'État depuis 2003.

 

Est-ce que l'État islamique reçoit l'appui de puissances étrangères ?
Au début de l'occupation américaine, la branche irakienne d'el-Qaëda a reçu d'importants soutiens financiers de la part d'un certain nombre de familles, adeptes du salafisme, dans le Golfe. Toutefois, aujourd'hui, ils se sont complètement autonomisés grâce à la contrebande de pétrole et aux trafics d'antiquités. De plus, ils imposent aux populations soumises un impôt, la jizia, pour assurer leur protection. En réalité, c'est une imposture puisque, au lieu de protéger les civils, ils les massacrent ! De ce point de vue, une économie de guerre s'est mise en place à tel point que, désormais, ces groupes échappent totalement à l'emprise des familles du Golfe qui les avaient financés. À ce propos, l'État islamique, dans ses prêches, considère que la famille royale saoudienne est corrompue et vendue à l'Occident.

 

La population sunnite irakienne soutient-elle l'État islamique et ses actions ultraviolentes ?
Les sunnites ne forment pas un bloc homogène. Les tribus sont divisées entre celles qui soutiennent l'État islamique, et qui ont été complices de leurs actions, et celles qui soutiennent Bagdad. Quant à la population civile sunnite, elle est tout simplement désarmée et prise en otage. Soit elle cède à la terreur, soit elle prend la fuite. La situation des réfugiés risque fortement de provoquer une catastrophe humanitaire et la communauté internationale ne se rend pas compte des conséquences que cette catastrophe va entraîner pour l'ensemble de la région et de ses répercussions à moyen terme.

 

Une attaque des lieux saints chiites par l'État islamique entraînerait-elle nécessairement une intervention iranienne ?
Bien sûr que oui. Les pasdaran sont déjà sur le terrain et des troupes iraniennes sont prêtes à intervenir. En cas d'intervention iranienne, nul doute que la population chiite irakienne, malgré ses divisions, se ralliera à eux.


Quel rôle joue actuellement Moqtada al-Sadr ? Quelles relations entretient-il avec l'Iran ? Pourrait-il succéder à Maliki ?

C'est un leader populiste qui s'appuie sur une logique de contestation. Il tend les bras aux sunnites et, dans le même temps, il tient des positions très communautaires. Il cherche à jouer sur les deux tableaux. Cela dit, il n'a pas vraiment l'appui des Iraniens qui lui préfèrent encore Nouri al-Maliki. L'Iran n'a pas totalement lâché Maliki. Il s'accroche à son pouvoir et il sera difficile à déloger.

 

En 2006, les sunnites avaient combattu les forces d'el-Qaëda en Mésopotamie en créant le mouvement as-Sahwa; un scénario similaire est-il envisageable aujourd'hui ?
À mon avis, le seul mouvement de résistance à l'État islamique doit venir du terrain et doit être sunnite. Le scénario est envisageable, mais pour l'instant, les tribus apparaissent beaucoup trop divisées.

 

Quel est le prochain objectif de l'État islamique ?
Avant de former le califat, le groupe se faisait appeler l'État islamique en Irak et au Levant. Dans leur conception des choses, l'Irak est constitué des trois régions de Bagdad, de Bassora et de Mossoul, comprenant ainsi le Kurdistan irakien. Quant au Levant, il est composé de la Syrie, du Liban et de la Palestine historique. Le mouvement voulait étendre son autorité sur l'ensemble de ce territoire. Désormais, depuis la proclamation du calife, l'État islamique veut conquérir l'ensemble du monde musulman. Ce qui implique notamment les pays du Golfe avec les deux villes saintes, La Mecque et Médine, en Arabie saoudite, le Liban et les pays du Maghreb. En ce sens, l'État islamique concurrence el-Qaëda dans son projet de jihadisme global, mais au contraire de l'organisation mère, il privilégie la conquête des territoires à l'intérieur du monde musulman.

 

Leur projet n'est-il pas tout à fait démesuré ? Obtiendront-ils le soutien des différents groupes islamistes dans les pays concernés ?
Le projet est à la mesure de leur mégalomanie. Quant au soutien, ils sont en train de séduire les branches jihadistes du salafisme qui sont présentes dans la plupart de ces pays, notamment au Liban. De plus, les évènements en Irak ne doivent pas être déconnectés de la situation à Gaza. En ce sens, l'affaiblissement du Hamas, tout comme la chasse aux Frères musulmans en Égypte, entraînera une extrême radicalisation de ces mouvements islamistes qui pourrait les amener à collaborer avec l'État islamique.

 

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