Rechercher
Rechercher

Diaspora

À la recherche de la culture de l’émigration

« On peut déplorer qu’au Liban, on ne puisse vivre qu’en état de déséquilibre sanglant, comme c’est le cas depuis environ dix ans, ou en état d’équilibre précaire, qu’il faut maintenir coûte que coûte, y consacrer le plus clair de son temps, de ses moyens et de ses facultés, et obstruer ainsi et par là même toutes les voies possibles de la créativité en nous retenant dans un immédiat permanent. Quel alibi nous fournissons ainsi à nos politiciens qui, depuis 1920 au Liban, font du surplace ; et quel quitus pour une gestion dont nous assumons la faillite. »
Ces propos tenus par l’avocat et écrivain Pharès Zoghbi dans son livre, Liban, le salut par la culture (librairie Antoine et Dar an-Nahar), et reprenant plusieurs articles parus dans L’Orient-Le Jour, sont toujours d’actualité. Ils nous amènent à réfléchir sur l’avenir des jeunes qui, pris dans l’étau de partis politiques n’offrant que des programmes aux contenus inadaptés à la situation du pays, sont poussés à l’émigration. Or ce serait de l’émigration (de la diaspora libanaise de par le monde) que peut venir la réponse à cette division aiguë dans le pays (sur tous les sujets, les récents événements de Gaza le prouvent), une sorte de troisième voie.
Pharès Zoghbi poursuit dans son ouvrage : « Sur la terre exiguë du Liban, qui s’essouffle à vouloir retrouver ses 10 452 km2, s’affrontent à nouveau les fils d’Abraham, dont le combat fratricide remonte à l’ouverture de la succession du patriarche, mort au XIXe siècle avant J.-C. Dans cette tragédie sanglante, où le temps se déploie depuis le bannissement d’Ismaël dans le désert, jusqu’à l’heure où nous vivons, le Liban, seul lieu choisi par les protagonistes pour leurs querelles, n’est seul qu’en apparence : car ce lieu représente tous les lieux de la terre où peuvent (ou ne peuvent pas) cohabiter les descendants d’Abraham, soit les israélites, les musulmans et les chrétiens. Quant à l’enjeu du drame, il est de taille : y a-t-il, de par Dieu, un peuple élu qui serait Israël, et un peuple exclu qui serait l’islam ? Quid du chrétien en conflit ouvert avec le juif et le musulman depuis que le monde est monde, et qui pour se protéger de l’un, en ce moment, s’encombre de l’autre ! Ismaël cherche à sortir du “désert” où on l’a confiné, lieu et symbole de son exclusion, Israël ne veut pas nécessairement occuper ce désert, mais “désertifier” son occupant, culturellement, tout en fertilisant le sien propre, et au sens propre. »
Et de rappeler les propos de Michel Chiha qui, « le premier, malgré l’essentialisme culturel ambiant, en 1947, ici comme en France, a vu le danger que constituait l’installation de l’État d’Israël, à nos frontières, pour l’équilibre mondial, régional et surtout local, et sa prophétie peuple chaque jour un peu plus, hélas, le monde de la mort et de la destruction auquel nous voue Israël ».

Redevenir le peuple du dialogue
Dans son livre, l’auteur revient sur des événements qui illustrent le refus par Israël du dialogue des cultures, mettant en parallèle deux événements de cette année : les rencontres culturelles à Avignon en mars 1982, et l’invasion israélienne en juin de la même année. Pour lui, le Liban se veut « porteur et témoin d’un projet de culture dont l’abandon rétrécit encore davantage en cette fin de siècle, les espaces de liberté, de dialogue et d’entente, à travers le monde ». D’un autre côté, « le comportement des Israéliens au Liban ne laisse la place à aucun doute, c’est tout le pays qu’ils veulent déstabiliser, depuis les structures politico-économiques jusqu’aux structures socioculturelles. Israël destructeur de culture et de dialogue au Liban… c’est en cela que ce second événement, en 1982, tend à relier le premier : le Liban ne sera plus – a décidé Israël – le pays de la culture du dialogue », insiste Pharès Zoghbi.
Mais le peuple libanais peut en décider autrement, et c’est ainsi que nous constatons qu’une troisième voie s’offre aujourd’hui à nous : celle de la culture libanaise disséminée dans les pays d’émigration, et qui tend à disparaître à défaut d’être reconnue par ses propres fils. Qui d’entre nous a lu l’écrivain brésilien Milton Hatoum (traduit en français, en anglais et en arabe) ou écouté la chanteuse argentine de tango Daad Sfeir ? Célèbres dans leur pays d’adoption, ils sont bien de chez nous, comme des centaines d’autres acteurs culturels vivant ou ayant vécu en Amérique latine et dans les autres continents. De véritables travaux de recherche et de diffusion s’imposent, à l’exemple de l’impressionnant Index Libanicus réalisé par le professeur Maurice Saliba, qui répertorie toutes les publications en langues européennes sur le Liban entre 1515 et 1979 (1er volume), tous les mémoires et thèses de doctorat soutenus dans les universités du Liban entre 1900 et 1980 (2e volume) et toutes les thèses de doctorat soutenues en français par les Libanais ou sur le Liban entre 1900 et 1985 (3e volume).
Avec le fort bagage culturel français, anglais et arabe dont disposent la majorité des Libanais, il est facile d’entreprendre une ouverture vers tous les pays d’émigration, en instituant également l’enseignement de l’espagnol et du portugais dans les écoles et universités. Cette formation aussi bien indispensable qu’intéressante permettra de reconstruire les ponts culturels avec le grand monde de l’émigration libanaise, constituant un vaste projet d’avenir pour la jeunesse du Liban indéfectible. Et le message de paix de la libanité et du Liban universel, de tradition phénicienne, rayonnera encore plus dans tous les coins et recoins de notre planète.
« On peut déplorer qu’au Liban, on ne puisse vivre qu’en état de déséquilibre sanglant, comme c’est le cas depuis environ dix ans, ou en état d’équilibre précaire, qu’il faut maintenir coûte que coûte, y consacrer le plus clair de son temps, de ses moyens et de ses facultés, et...