En politique, les surprises, bonnes ou mauvaises, ne doivent jamais être exclues d'emblée ; à cela près qu'au Liban, il faut compter avec une classe politique installée depuis des lustres dans une routine très prévisible que rien ou presque ne paraît être en mesure de secouer.
Ce constat dressé, on peut d'ores et déjà observer combien les contours du feuilleton présidentiel que les députés de la nation sont appelés à entamer ce mercredi 23 avril, place de l'Étoile, sont, en effet, tout tracés.
Qu'on ne s'attende donc pas, ni aujourd'hui, ni demain, ni après-demain, à ce que notre élection présidentielle ressemble un tant soit peu à ce qu'elle devrait être dans une démocratie « normalisée », même s'il faut reconnaître que pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, les acteurs politiques cherchent cette fois-ci à donner l'impression de vouloir « jouer le jeu », d'être moins perméables aux mots d'ordre en provenance de l'extérieur, enfin de faire en sorte que le processus électoral ressemble plus ou moins à une compétition démocratique.
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Le degré de sincérité dans ce jeu-là varie sans doute d'un protagoniste à l'autre, mais au final, force est de constater que pour ce qui est de l'essentiel, rien n'est laissé au hasard et encore moins à la... compétition.
Le processus a, en effet, été clairement verrouillé par l'accord tacite intervenu, sur l'impulsion du président de la Chambre, Nabih Berry, autour de la question du quorum nécessaire pour la tenue des séances d'élection, la Constitution ayant été décrétée « vague » sur ce point. On est convenu ainsi du fait que chaque fois que la Chambre doit se réunir dans ce cadre, il faut un quorum des deux tiers du Parlement, soit 86 députés au moins, pour que la séance puisse être ouverte.
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Or cette interprétation a pour conséquence de neutraliser totalement la disposition constitutionnelle permettant à un candidat à la présidence d'être élu, à partir du second tour, à la seule majorité absolue des voix (soit 65 voix au moins), et non plus aux deux tiers, comme c'est le cas au premier tour. Il suffit, en effet, qu'aussitôt après le premier tour, un nombre de députés quitte la Chambre de façon à ce que le total des présents tombe au-dessous du chiffre de 86 pour que la séance soit automatiquement suspendue. Pour réunir une deuxième fois le Parlement, il faudra à nouveau que 86 députés au moins se présentent. Or en l'absence d'un accord sur un candidat de consensus, ce quorum ne sera pas atteint, on peut en être certain. D'où le risque persistant de vacance à la présidence après le 25 mai prochain, date de l'expiration du mandat de Michel Sleiman.
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Geagea en vedette
Il est donc parfaitement clair que, sauf imprévu, la séance d'aujourd'hui ne devrait pas déboucher sur l'élection d'un nouveau chef de l'État, personne n'étant à ce stade en mesure d'y recueillir les 86 voix nécessaires. Mais cela ne signifie nullement que cette séance manquera d'attrait. Bien au contraire, elle sera l'occasion de tests politiques d'une importance cruciale, rendus possibles par la candidature du leader des Forces libanaises, Samir Geagea.
Ce dernier a déjà remporté une victoire non négligeable en s'imposant comme le candidat unique de son propre camp. Après de nombreuses hésitations, le 14 Mars – Kataëb inclus – officialisait hier cette candidature.
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On peut considérer aussi que le leader des FL a marqué des points face à ses adversaires du 8 Mars en les contraignant, du moins en apparence, à modifier dans l'urgence leurs plans tactiques. La parade Émile Rahmé, avec laquelle le Hezbollah et ses alliés voulaient dans un premier temps affronter M. Geagea, ayant été abandonnée, le parti de Dieu (13 députés) et le bloc du général Michel Aoun (27 en comptant les Marada, le Tachnag, Talal Arslane et M. Rahmé) se dirigent vers un vote blanc aujourd'hui.
Ce n'est, semble-t-il, pas le cas du clan berryste (13 sièges), qui se serait rangé, pour l'instant, derrière la candidature d'Henri Hélou, présentée hier par un Walid Joumblatt à la tête d'un bloc démocratique reconstitué (pour l'occasion ?) avec les faucons du 14 Mars que sont Marwan Hamadé, Fouad el-Saad et Antoine Saad (11 sièges au total).
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En mettant en avant le député de Aley, lui-même issu du groupe qui avait quitté M. Joumblatt en 2011 pour rester au cœur du 14 Mars, et en tenant pour l'occasion un discours quatorze-marsiste assez marqué, le chef du PSP ronge ainsi sur l'électorat de M. Geagea. Or les deux grands tests attendus de la séance d'aujourd'hui seront précisément l'ampleur du vote pour le chef des FL et, corollairement, l'unité du 14 Mars. Le courant du Futur (37 sièges), les FL (8) et les Kataëb (5), plus quelques indépendants susceptibles de voter Geagea, se montent à une cinquantaine de voix (en tenant compte de l'absence de Saad Hariri et Okab Sakr).
Si au décompte des voix, le leader des Forces libanaises parvient à réunir un nombre de suffrages proche de ce total, il aura d'autant plus gagné son pari qu'il a face à lui un candidat issu du 14 Mars.
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LA LIBRE EXPRESSION
17 h 40, le 23 avril 2014