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Liban - La vacuité hors droit

II – Le président doit assurer son propre intérim si l’élection présidentielle n’a pas lieu et que le gouvernement est saboté

Après avoir exposé une analyse politico-juridique du processus mis en place par le Hezbollah depuis 2006 afin de vider les institutions de leur essence, Me Joseph Nehmé, avocat à la cour, évoque l'éventualité d'un défaut de quorum lors de l'élection présidentielle, soulignant que dans un tel cas de figure, et si le gouvernement est saboté, le président sortant est tenu d'assurer son propre intérim.

Le président prête serment pour préserver la Constitution : il ne saurait donc agréer un vide total au niveau de la présidence de la République.

Tout augure qu'un nouveau président ne sera vraisemblablement pas élu à l'échéance du 24 mai prochain. Le fauteuil présidentiel sera donc en vacance. De son côté, le Parlement finira à son tour son mandat le 20 novembre 2014 et remettra son tablier... à personne.


Entre ces deux échéances, le Conseil des ministres, à moins d'un imprévu pourtant appréhendé, serait compétent pour assurer l'intérim des pouvoirs présidentiels jusqu'à l'élection du successeur de Michel Sleiman, et ce en conformité avec les dispositions de l'article 62 de la Constitution.
Cette alternative, pour évidente qu'elle paraît, reste pourtant théorique. Dans la pratique politicienne, elle se situe à l'antipode du plan du Hezbollah.


Conséquents avec son cursus et l'avancée de son plan, l'on est fort porté à croire que parmi les scénarios envisagés, le Hezb provoquerait un incident grave à un moment bien choisi, semblable ou similaire à celui qui a suscité la démission des cinq ministres chiites et du sixième du même bord politique du cabinet Siniora le 11 novembre 2006, dès lors que ses visées d'installer un successeur à l'actuel président qui lui serait inféodé lui paraîtraient compromises. Pareilles démissions ouvriront illico aux gourous dalloziens du 8 Mars de décrier le gouvernement Salam pour non-conformité au pacte et donc d'inconstitutionnalité, et par conséquent d'incompétence pour assurer l'intérim des pouvoirs présidentiels.


D'où le vide tant escompté, surpiqué main et patiemment brodé. L'annonce de la candidature historique et inédite de Samir Geagea à la course pour la présidence ne serait-elle à elle seule le déclencheur d'un pareil incident ?


Car si d'aucuns caressent l'éventualité de l'élection d'un successeur à l'actuel locataire du palais de Baabda dans les termes impartis, candidats favoris ou exceptionnels en tête, tout porte à croire que l'un d'eux ne passerait pas le seuil de son perron. Il serait donc subtil et fort à propos de déduire que le Hezbollah ne s'est pas embarqué dans cette rocambolesque équipée dans le noble but de pacifier le pays, d'assurer à la République sa continuité, d'instaurer l'État de droit et d'asseoir les préceptes conventionnels de la démocratie. Tout au contraire, c'est bien de la « sienne » qu'il s'agit à l'exclusion de tout autre concept.
À l'horizon si sombre se profile donc... le vide total, la vacuité. Le Hezbollah, qui aura franchi toutes les étapes de son « rallye » avec maestria, déclenchera le moment venu l'ultime phase 5 de son plan. Il décrétera alors son « À mon commandement », fort de son arsenal et de l'État délabré qu'il aura savamment et systématiquement démembré.

 

Imposer le non-droit en dogme
Toutes ces phases/étapes charnières que nous avons évoquées ont été toujours défendues par des pseudo-interprétations et analyses pseudo-juridiques des textes de loi, quand bien même l'instance qui en a l'unique compétence n'est autre que le Conseil constitutionnel. Mais force est de constater que ce Conseil a été non sans vicieuse préméditation malencontreusement noyauté et neutralisé. De mémoire, quelques points marquants avaient défrayé les chroniques et les débats-polémiques. Les « Vedel » du Hezbollah et leurs acolytes, éminents mandarins doctrinaires à l'occasion, auraient réussi le pari de semer le doute et le trouble juridiques dans l'esprit d'une bonne tranche de l'opinion libanaise comme dans celui des gouvernements étrangers et à imposer le non-droit en dogme et en critère d'analyse et de référence.


Pour rappel et exemple, nous mentionnerons les polémiques sur la majorité requise pour l'élection du président de la République, l'absurde argumentation « jurisprudentielle » qui, à deux reprises, avait entaché d'inexistence le Conseil constitutionnel, la non moins absurde dénonciation du gouvernement Siniora pour les motifs précités, la prorogation inepte du mandat du Parlement, et j'en passe. Cela sans oublier la ridicule interprétation donnée à cette malfaisante et inique démocratie consensuelle qui, au risque de devenir coutume, n'est rien moins qu'une dictature communautaire inepte et effrontée. Pauvre berceau des législations ! « Beritus Nutrix Legum » n'est plus qu'une lancinante nostalgie.


Le pays du Cèdre se vide progressivement mais inexorablement de ses institutions, mais surtout de ses concepts de droit et d'État. Quoique la menace du vide brandie par les piètres politiciens n'ait rien de juridique, force est de retourner au droit, au vrai, et à ses sources. Et pour cause. Ainsi :


1 – le Conseil constitutionnel dont le mandat arrive à échéance reste opérationnel, compétent, et en plein exercice de ses attributions tant qu'il n'a pas été remplacé. Il est le gardien des prérogatives que cette institution judiciaire détient par la loi, constitutionnelle ou simple fut-elle. Il en a l'obligation de la garde sous peine d'engager la responsabilité pénale de son président et de ses membres. Aucune instance judiciaire sous aucun aspect n'est dispensée de dire le droit au risque certain du déni de justice.


2 – Le gouvernement illégitime et non conforme au pacte n'est inconstitutionnel que dans la seule et exclusive phase de sa formation. L'alinéa « J » du préambule de la Constitution libanaise dispose qu'« aucune légitimité n'est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredise le pacte de vie commune ». En termes plus clairs, tout gouvernement qui fait fi du pacte du vivre ensemble dans la phase de sa formation perd sa légitimité. N'en déplaise à certains, la démission de l'un quelconque ou de plusieurs de ses membres à quelque communauté qu'ils appartiennent ou représentent en cours d'exercice ne saurait altérer en rien ni affecter sa constitutionnalité et sa légitimité, car dans pareils cas, le président de la République et le Premier ministre devront pourvoir aux maroquins démissionnaires. Dans l'attente, les ministres intérimaires désignés dans le décret de la formation du gouvernement en assureront la permanence. Le gouvernement reste donc en place et en force, nanti de son entière légitimité et de toutes ses prérogatives. Il ne sera considéré comme démissionnaire que dans les conditions limitativement déterminées dans l'al. 1 de l'article 69 de la Constitution, plus particulièrement dans le cas d'espèce, dans l'alternative de la démission du tiers des ministres du cabinet.


3 – La prorogation du mandat du Parlement est illégale et inconstitutionnelle, d'autant qu'aucune raison de force majeure judiciairement constatée ne l'a dictée. Le mandat accordé par les électeurs à ses représentants est un mandat spécial à la durée déterminée et impartie par la Constitution. Les adages selon lesquels « le Parlement est à lui seul son propre maître » ou « les nécessités autorisent les interdits » sont dans le contexte déclamé FAUX. Autrement, tout Parlement se serait autoprorogé à l'infini. Ceci est simplement une hérésie juridique.

 

Pas de vide en droit
En droit, il n'y a pas de vacuité et le vide n'existe pas. Dans l'histoire du droit et des législations, l'on ne saurait imaginer qu'un législateur ait légiféré en perspective d'un vide quel qu'il puisse être. L'on ne saurait également lui imputer ou lui attribuer en droit une quelconque velléité de vide. Dans les cas d'exceptions, inhabituels ou inopinés, il est du ressort des tribunaux, Conseil constitutionnel en tête, d'y pallier. Aux fins de dire le droit, ils reviennent aux sources du droit, à la jurisprudence, aux us et coutumes, à la doctrine et aux principes généraux du droit en recourant aux méthodes et techniques d'interprétation scientifiques de la loi. Et si la vacuité transparaît dans certains cas d'une rarissime exceptionnalité, le phénomène de suppléance est rigoureusement imposé et impérativement appliqué. Le principe de la survie de la personnalité juridique physique ou morale est un principe général de droit. Nous citons à l'occasion le principe de la survie de la loi ancienne, de la survie de la personnalité juridique de l'officier public, de la survie des institutions, etc. Il permet de combler toute vacuité le temps de la vacance.


S'agissant de la présidence de la République, il faudra distinguer selon qu'il s'agit de :
l'Institution elle-même en tant qu'entité et personne juridique morale constitutionnelle de droit public ou du poste, de la fonction, ou du fauteuil et de son locataire.


Ainsi, c'est l'institution de la présidence de la République qui recèle et détient les pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution. Le président de la République n'en est que le dépositaire et le gardien (notion juridique du gardien de la chose). Selon l'article 62 de la Constitution, en fin de mandat ou en cas de vacance du poste, les pouvoirs du président de la République sont exercés à titre intérimaire par le Conseil des ministres, à condition toutefois que ledit Conseil soit en force. Autrement, et n'en déplaise au président de la Chambre au cas où il caresserait l'idée d'assumer ces pouvoirs si le gouvernement Salam viendrait à être qualifié d'illégitime en cas de démissions massives, il reviendra au seul président de la République, en sa qualité de gardien constitutionnel des pouvoirs de l'institution présidentielle, d'assurer impérativement son propre intérim tout le temps que prendra l'avènement de son successeur. Sa compétence en la matière est une compétence liée et non point discrétionnaire. Il en a l'obligation et le devoir et non pas le choix sous peine d'engager sa propre responsabilité pénale, souvent pour haute trahison ou désertion. Il est donc tenu de rester en poste jusqu'à la suppléance.


Dans ce sens, l'on se poserait la question de savoir quel serait le sort du « feu nucléaire », dont seul le président d'une République dotée d'une puissance nucléaire a le secret ou la clé, dans le cas de vacance ou de vacuité ?
L'abandonnera-t-il ou le remettra-t-il au concierge ou au vigile de garde du palais présidentiel pour tout bonnement rentrer chez lui ? Il est évident et certain que la clé du bail ne saurait être rendue ni remise qu'à l'ayant droit lui-même sous peine de responsabilité pénale et civile du gardien.

 

Préserver la République des prédateurs
Pour revenir à l'échéance présidentielle du 24 mai 2014 prochain au cas (fort probable) où un nouveau président n'est pas élu, l'alternative serait la suivante :
– soit qu'il reviendra à l'actuel Conseil des ministres d'assurer l'intérim des pouvoirs présidentiels ;
– soit que dans le cas de conflit hors droit sur la légitimité du gouvernement en cas de démissions massives de ministres, le chef de l'État, en sa qualité de gardien de la République et de sa Constitution, serait tenu de rester en poste jusqu'à l'élection de son successeur et la remise des clés du palais présidentiel.

 

Monsieur le Président de la République,
Vous avez réussi les trois dernières années le pari auparavant inespéré de consolider le rôle impartial mais ferme de la présidence de la République, conformément aux compétences que vous confère la Constitution. Vous avez entrepris un arbitrage amiable compositeur avec sagesse et longue patience. Vous êtes aujourd'hui tenu et appelé par tous les Libanais à préserver et à défendre la République des prédateurs, des rapaces et des charognards. Vous restez l'ultime garantie de la pérennité de son identité et de ses institutions.
Et si d'aucuns aujourd'hui ont l'effronterie de s'en prendre à votre honnête personne et au rôle que vous assumez avec un courage sans précédent, la salissure de leurs propos retombe sur eux. L'humiliation qu'ils tentent de vous infliger vous grandit.
Permettez-moi de vous assurer et de vous garantir que le peuple libanais que vous protégez si vaillamment à votre corps défendant se tient à vos côtés et vous soutient inconditionnellement. Il vous servira de cuirasse et de rempart impénétrables. Ne craignez pas de faire ce que vous devez faire pour finir au mieux votre mission et agissez. Nos enfants et nos générations futures vous retiendront à jamais cette belle et courageuse page de l'histoire du Liban à la rédaction de laquelle vous auriez vaillamment contribué.
Le dernier martyr en date, l'ami et valeureux Mohammad Chatah, s'en porte témoin et vous le demande. Avec fierté, les Libanaises et les Libanais clameront tout haut que la patrie vous est reconnaissante. À l'unisson, ils entonneront avec nos générations futures l'hymne séculaire combien honorable que la gloire du Liban vous a été donnée.

Joseph E. NEHMÉ

Avocat à la cour

 

Pour mémoire

I – Un processus en plusieurs étapes pour vider les fondements de l'État de leur essence

 

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