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Nos Lecteurs ont la Parole - Sagi SINNO

L’«affaire» Jackie Chamoun et ses retombées sur la scène libanaise - Polémique : sport national

Qu'importe le sujet traité ou le fond en lui-même? Le débat pour le débat, la polémique, la tension, l'hypertension, le déchirement, la haine qui se déchaîne, le racisme qui sort sa tête immédiatement, le confessionnalisme qui se lâche, les divisions entre amis, les bombardements sur Facebook, les raids sur Twitter, les tranchées dans les médias, voilà qui est nettement plus important, voilà qui constitue notre vrai sport national. Rien que la poitrine d'une femme est capable de nous plonger dans cet état lamentable.
Jackie, dans toutes ses variantes, Kennedy puis Onassis, ou même dans sa version masculine: Chan, pour ne citer que les plus reconnus, semble être un prénom prédestiné à la célébrité. Cette fois-ci, c'est au Liban que le destin a été convié, en passant par Sotchi.
Vite, deux camps, plutôt multiconfessionnels (seule bonne nouvelle), se forment. Des donneurs de leçons des deux côtés sortent leurs armes. D'une part, certains sont la caricature d'eux-mêmes. Que leur argumentation soit bien ou mal fondée, ils se ridiculisent en tremblant devant une vidéo de nu et en balbutiant devant une paire de seins. Scandale! Le Liban et son image ont été noircis, gâchés, foulés aux pieds, humiliés! Ô rage! Ô désespoir! Ô vieillesse ennemie! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie? Où allons-nous cacher notre visage marqué par tant de déshonneur? Vite, une levée de boucliers en face. Le microcosme des avant-gardistes autoproclamés, gardiens du temple du progrès, qui semblent parfois plus connectés à Internet qu'aux réalités socio-économiques du pays, se mobilise. Comment? Il y a des gens qui ont été choqués par cette vidéo? Certaines de leurs valeurs ont pu être outrées par ce genre de comportement? Est-ce possible?! Et c'est parti pour une énième salve d'instruction gratuite: et liberté individuelle et égalité et ouverture d'esprit et démocratie et solidarité et six mille ans de civilisation et Kadmous et invention de l'alphabet sont employés pour canarder les positions adverses. Cette poitrine s'est transformée, aux yeux de certains, en symbole de l'exception culturelle libanaise dans la région, en expression de la prétendue mission civilisatrice du Liban dans cet Orient barbare et réactionnaire qui ne serait pas encore sorti de ses caves.
Oui, bien sûr. Pays de l'exagération et des polémiques inutiles, surtout. D'un côté, il semble très difficile qu'un pays entier puisse être discrédité et son image ternie à cause d'une paire de seins (ou autres) en l'air. La réputation d'un pays dépend de facteurs beaucoup plus importants que cela. D'un autre côté, les termes civilisation, liberté de conscience, droits de l'homme, libertés fondamentales, condition de la femme, ou même spécificité libanaise ont un sens beaucoup plus noble, profond et important qu'une séance puérile de photos-nu et, de toute façon, ils ne sauraient se réduire exclusivement à cela.
Au lieu de renvoyer les deux antagonismes dos à dos, certains politiques et médias de tous bords ont alimenté la polémique. Un sophisme populiste à outrance, de faux arguments pour un faux débat. Platon, lui, n'est pas (encore) passé par là. Quelle relation entre la renommée d'un pays et les photos d'une skieuse (à demi) nue? Mais parallèlement, quel rapport entre une femme battue à mort par son mari (Manal Assi) et la vidéo exhibant le corps d'une autre? Aussi moche qu'un tel crime est, peut- être, la tentative de récupération de l'immense vague d'indignation qu'il a suscitée, au service d'une pseudo-cause insignifiante. Cette polémique, si elle révèle quelque chose, ce serait surtout le vide intellectuel dans lequel nous baignons et le goût prononcé pour la division qui nous hante de façon permanente, même pour les détails les plus futiles. La diversité est-elle une richesse? Bien sûr. Mais tout le monde gagnerait à ce que tout débat s'inscrive dans un cadre précis, qu'il occupe une place proportionnelle à son importance véritable et que ses conséquences soient limitées à son utilité réelle.
Quant à l'image du Liban, elle n'a été ni dégradée ni, à l'opposé, propulsée par une scène de nudité publique. C'est principalement le travail de quatre millions de Libanais entre Wadi Khaled et Naqoura, et celui d'une diaspora de quinze millions de personnes, souvent pionniers, de Nuuk jusqu'à Pretoria, c'est tout cet effort quotidien d'hommes et de femmes, salariés, patrons, fonctionnaires, membres de professions libérales, ménagères et étudiants qui, lui, fait ou défait l'image du Liban. Ce sont notre productivité, nos sacrifices et notre excellence, fierté de nous tous, qui mériteraient peut-être d'avoir, en priorité, la majeure partie de notre attention, de nos débats et de notre reconnaissance.

Sagi SINNO
Paris

Qu'importe le sujet traité ou le fond en lui-même? Le débat pour le débat, la polémique, la tension, l'hypertension, le déchirement, la haine qui se déchaîne, le racisme qui sort sa tête immédiatement, le confessionnalisme qui se lâche, les divisions entre amis, les bombardements sur Facebook, les raids sur Twitter, les tranchées dans les médias, voilà qui est nettement plus...

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