Rien. Ni personne. Même Fouad Boutros et Lakhdar Brahimi en binôme, s'ils en avaient eu la patience. Même leurs propres enfants, s'ils avaient décidé de s'aimer – des Roméo et des Juliette south by southwest. Même l'intérêt supérieur de la nation. Même si un séisme et un tsunami avaient frappé et dévasté le pays. Même en cas d'invasion martienne : ils auraient trouvé le moyen de faire pire que le Fateh et le Hamas face au gouvernement israélien. Rien ni personne n'aurait réussi à mettre d'accord courant du Futur et Hezbollah ou, en l'occurrence, une Bahia Hariri et un Mohammad Raad.
Rien ni personne, à part Adel Karam.
Chansonnier relativement drôle, relativement talentueux, et dont le show diffusé sur une des chaînes locales peinait lourdement à faire le buzz, ce brave monsieur a fini non seulement par obtenir son quart d'heure warholien de gloire absolue, mais à prouver qu'impossible n'est définitivement pas libanais. En parodiant l'excellent Dancing With The Stars, en greffant la tête de la députée de Saïda sur le corps d'une danseuse professionnelle, et en la jetant dans les bras du chef du bloc parlementaire du Hezbollah, le tout sur une chanson au titre furieusement Barbara Cartland : Il était mon ami, ce brave Adel Karam et son équipe ont failli provoquer un Armageddon total. Les pneus brûlaient dans la capitale sudiste, les bastions hezbollahis s'étranglaient d'indignation et de colère et Naccache était sur le point d'être envahie et rayée de la carte.
Du très grand art : ces deux formations que tout oppose, ne seraient-ce que leurs cahiers des charges respectifs, l'un, celui du Futur, au service d'un hypothétique État, l'autre, celui du Hezb, purement milicien, n'ont trouvé pour marcher main dans la main, fût-ce aussi brièvement et ponctuellement que possible, que cette mascarade de caricature. Pitoyable et pathétique, à l'heure où la guerre sunnito-chiite n'a jamais été aussi prête à éclater. Pitoyable et pathétique, surtout de la part de Bahia Hariri, que les Libanais pensaient être bien plus ouverte, plus intelligente, plus drôle et plus respectueuse de toute forme de liberté d'expression, aussi sotte soit-elle, que ce qu'elle a montré cette semaine. D'autant que face à elle, il y a Mohammad Raad, qui annonçait sans états d'âme aucuns l'an dernier, sa ferme volonté d'en finir avec la nightlife libanaise, totalement incompatible selon lui avec le concept de résistance...
Il ne manquait que cela : que ce pays finisse comme l'Égypte, l'Arabie saoudite, l'Iran, la Turquie, ou d'autres, sans caricaturistes, sans journalistes, sans chansonniers, sans droit fondamental et primitif de se moquer de n'importe quel personnage public.
Mais qu'à cela ne tienne. Si les exploits de Adel Karam peuvent contribuer, ne serait-ce qu'un minimum, à rapprocher les frères ennemis, eh bien qu'il continue. Qu'il se lâche. Qu'il jette dans une valse à mille temps, dans un tango argentin, dans une rumba, une dabké ou un slow, pêle-mêle, Saad Hariri et Hassan Nasrallah, Sleimane Frangié et Samy Gemayel, Gebran Bassil et Sethrida Geagea, Walid Joumblatt et Wi'am Wahhab, Michel Aoun et Samir Geagea, Nagib Mikati et Achraf Rifi, Naïm Kassem et Ahmad el-Assaad, Gilberte Zouein et Carlos Eddé, Khaled Daher et Ali Ammar, Talal Arslane et Dory Chamoun, tout le monde.
Tout le monde, même Nabih Berry et Tammam Salam. Deux hommes que le Guinness Book Of World Records serait ravi d'afficher en Noureev-Baryshnikov, sachant que seuls, ils occupent déjà le cœur du livre, le premier avec son squat perpétuel, inouï et littéralement scandaleux du perchoir, et le second avec l'élasticité impressionnante et immatérielle de sa patience et de son stoïcisme.
C'est un bien risible pays que ce Liban.
Liban - En dents de scie
Alors ? On danse ?
OLJ / Par de Ziyad Makhoul, le 08 février 2014 à 00h00
Tout simplement Excellent!!!!
14 h 16, le 10 février 2014