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Schizophrénies d’État

La tête et le cœur peuvent-ils coexister en politique ? De choisir la tête plutôt que le cœur est-il nécessairement garantie de réussite ? Et puis, quelle que soit l'option que l'on retient, arrivera-t-on jamais à contenter tout le monde?

À quelques heures d'intervalle, le week-end dernier à La Haye, Saad Hariri accusait sans ambages le Hezbollah d'avoir assassiné son père puis faisait sensation en se disant disposé à coopérer avec le même Hezbollah au sein d'un gouvernement d'unité. Dans une interview à Europe 1, il désignait tout aussi clairement le président syrien Bachar el-Assad comme le commanditaire du crime, pour s'employer aussitôt à expliquer, sur les ondes de sa propre station de télévision, le bien-fondé d'une décision que commande, selon lui, la raison – raison pure autant que raison d'État – envers et contre le sentiment.

Ce n'est pas la première fois, à vrai dire, que Saad Hariri est appelé à trancher un aussi douloureux dilemme. Peu après sa spectaculaire visite de 2009 à Damas, le signataire de ces lignes lui demandait un peu abruptement, alors qu'il était encore chef du gouvernement, comment il avait pu aller à la rencontre d'Assad, lui donner l'accolade et donc le blanchir au-delà de toute espérance, tout cela sans la moindre contrepartie, bien au contraire. Il répondait en invoquant le même et singulier dédoublement auquel est tenu quiconque occupe un poste de responsabilité et qui a charge d'âmes.

Pour son second pari du genre, Saad Hariri a eu droit à un beau déluge d'appréciations élogieuses de la part de ses adversaires politiques les plus acharnés ; par contre, il n'a pas convaincu tous ses alliés, pas plus d'ailleurs qu'il n'a complètement levé l'ambiguïté quant au fonctionnement futur d'un gouvernement qui, en dépit des malheureuses expériences du passé, se propose de réunir en son sein l'eau et le feu. Mais l'ambiguïté n'est-elle pas, au fond, le lot de cette partie du monde où s'expriment pourtant sans nuances ou détour, dans un déferlement de violence, les idéologies de toutes sortes ?

Ambigu est ainsi le Tribunal spécial pour le Liban qui ne cesse de répéter qu'il se propose de juger des individus, non des organisations, et encore moins des États ; faut-il dès lors comprendre que si d'aventure des éléments nouveaux venaient incriminer un quelconque gouvernement, la justice internationale s'estimerait non concernée ? Ambiguë, encore, est l'attitude des puissances qui, dans une sorte de schizophrénie à rebours, inscrivent l'aile militaire du Hezbollah sur leur liste noire du terrorisme, mais en exonèrent lestement l'appareil politique de ce parti.

Ce qui ne laisse de place à aucune équivoque, en revanche, c'est le feu de Syrie qui a déjà entrepris de consumer notre pays. Dans l'infernale partie de ping-pong qui se joue, ces derniers temps, à coups d'attentats à la bombe et autres actes barbares, il ne saurait y avoir de gagnant : par le criminel aveuglement de ses fils, embrigadés une fois de plus dans la guerre des autres, c'est le Liban tout entier qui est le seul perdant.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

La tête et le cœur peuvent-ils coexister en politique ? De choisir la tête plutôt que le cœur est-il nécessairement garantie de réussite ? Et puis, quelle que soit l'option que l'on retient, arrivera-t-on jamais à contenter tout le monde?
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