Rechercher
Rechercher

Encore...

En matière de crime politique, c'est souvent pour éliminer un danger clair et pressant que les tueurs passent à l'action. Mohammad Chatah n'avait rien d'un cogneur ou d'un meneur de foules. Économiste de grand renom, diplômé de l'Université du Texas, il pouvait prétendre à une prestigieuse carrière au FMI, au sein duquel il a œuvré quelques années durant. C'est plutôt son pays qu'il a tenu à servir comme ambassadeur à Washington d'abord, puis comme vice-gouverneur de la Banque du Liban, ministre des Finances et conseiller de deux chefs de gouvernement.

Éminemment redoutable néanmoins, aux yeux des assassins, était cet homme dont l'ardent patriotisme n'avait d'égal que sa courtoise modération, son esprit d'ouverture et de dialogue, et sa maîtrise de la communication. À défaut de désarmer ses adversaires, de telles qualités réunies en un seul homme avaient de quoi mettre en pièces leur haineuse et mensongère rhétorique, de quoi les dénuder. De tels personnages, il est impossible aux propagandes de les diaboliser comme elles l'ont fait de tant de figures de proue politiques ; ces insalissables, il ne reste plus d'autre solution, dès lors, que de les éliminer.

Par son timing autant que par son mode opératoire, ce retour en activité de la vieille machine à tuer visait, à l'évidence, plus d'un objectif. Ce sont, pour commencer, tous les semblables de Mohammad Chatah, les adeptes de la raison et de la conciliation, que l'on cherche à terroriser. À acculer à la soumission. Ou bien alors la radicalisation, de sorte que seuls resteraient en lice, dans ce pays pluriculturel, des extrémismes rivaux prétendant représenter, chacun, l'une des deux branches de l'islam. À l'heure où le monde occidental en vient à préférer le terrorisme d'État que pratique Bachar el-Assad au péril salafiste, c'est sur ce terrain précis que se trouve le plus à l'aise, qu'est le mieux armé au sens littéral du mot, un Hezbollah promptement pointé du doigt, et avec lui la Syrie, par le 14 Mars.

C'est d'ailleurs au même chantage que se trouve soumise la population tout entière. Perpétré cette fois en ce lieu traditionnel de rencontre qu'est le centre-ville de Beyrouth, l'attentat à la bombe de Minet el-Hosn vient clôturer dans l'effroi une année marquée par diverses explosions terroristes. Du coup, cette lâche agression paraît donner le ton à une année 2014 fertile, elle, en échéances cruciales, lesquelles ne se limitent guère à un scrutin législatif et à l'élection d'un président de la République. Dès la mi-janvier, en effet, s'ouvrira aux Pays-Bas le procès Hariri, affaire dans laquelle sont formellement impliqués cinq hommes du Hezbollah, que celui-ci refuse de livrer à la justice internationale ; or, c'est devant le même Tribunal spécial pour le Liban que mérite – et promet – d'être porté l'assassinat de Mohammad Chatah qui reposera, éloquente symbolique, aux côtés de l'ancien Premier ministre assassiné en 2005. Last but not least, l'attentat d'hier survient à l'heure où est sérieusement envisagée la formation d'un gouvernement neutre pour mettre fin à la crise ministérielle la plus longue qu'ait jamais connue le pays : éventualité contre laquelle s'élève le Hezbollah – encore et toujours lui – en brandissant, de surcroît, face au président de la République et au Premier ministre désigné, le spectre du chaos.

Mais en réalité, n'est-ce pas entre deux chaos, l'un déjà présent, rampant, et l'autre encore hypothétique, que l'on nous somme de choisir ? Proposée sauce citron ou vinaigrette, c'est le même poison que renferme l'immonde bouillie.

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

En matière de crime politique, c'est souvent pour éliminer un danger clair et pressant que les tueurs passent à l'action. Mohammad Chatah n'avait rien d'un cogneur ou d'un meneur de foules. Économiste de grand renom, diplômé de l'Université du Texas, il pouvait prétendre à une prestigieuse carrière au FMI, au sein duquel il a œuvré quelques années durant. C'est plutôt son pays qu'il...