J'ai honte de te dire où en est le pays... C'est à son père Gebran Tuéni que Michèle s'est adressée lors de la huitième commémoration de son assassinat. Mais Gebran a quand même le droit de savoir...
D'abord une évidence, et Platon en frémit dans sa tombe : cette simili-République
qui n'a jamais su ou pu protéger les siens est plus que jamais une jungle où la seule loi qui y règne est celle du plus fort. Chacun dans sa région, sa ville ou son quartier. On étale sa force sans vergogne; on exhibe ses escroqueries, sûr de son impunité. On impose ses idées et sa politique, label d'importation garanti, manu militari s'il le faut – et ils le veulent. Tout ceci au nom de Dieu et de ses prophètes.
Il y a pire : alors que les religions monothéistes, musulmane et chrétienne, professent qu'il n'y a de Dieu que Dieu, que Dieu est un et qu'il est amour et espérance, chacun se prévaut ces temps-ci de son propre dieu, un dieu étranger à toute bonté, synonyme désormais de malheurs et d'excès innommables.
Le Hezbollah d'abord, puisque c'est la star incontestée et, de fait, incontestable du moment. Un parti de Dieu qui avait pour objectif à ses débuts de transformer le Liban en une République islamique. Plus réalistes avec le temps, ses dirigeants ont arrondi les angles, mais ne cachent pas qu'ils sont les petits soldats du waliy el-faqih iranien au service, façade officielle, de la moumanaa et de la résistance contre l'ennemi israélien. C'était relativement vrai jusqu'en 2000 et le retrait de l'État hébreu, mais faux, totalement faux, depuis la victoire divine massivement destructrice de 2006. À ce moment-là, les masques tombent et les armes changent de direction : on en arrive alors aux mains que l'on veut couper et aux volontés que l'on veut briser. Le Hezb décide d'engranger les dividendes de cette victoire à la Pyrrhus en imposant par la force sa suprématie militaire et sa vision idéologique sur le plan politique interne. Il commet alors le péché originel en menant une razzia sanglante contre Beyrouth la sunnite et la Montagne druze.
Ce qui n'était alors qu'un ruisseau chiite frémissant dans un océan sunnite agité devient un torrent impétueux qui prend sa source à Téhéran puis, passant par Damas, menace d'emporter tous les fondamentaux libanais sur son passage. Alors, la moitié, au moins, du pays, ne supporte plus le Hezbollah.
Car les institutions sont désorganisées, bousculées, ignorées, puis complètement marginalisées ; l'économie est dépecée et la primauté de l'État foulée aux pieds. Les exactions du Hezbollah exacerbent à fond toutes les dérives sunnites extrémistes, centuplées après l'intervention massive de ses combattants en Syrie. Les représailles sont immédiates, et le Liban devient l'abcès de fixation de fous kamikazes manipulés souvent par les services de tous bords pour aiguiser la haine sunnite contre le chiisme conquérant venu d'ailleurs.
Quelle(s) mouche(s) a (ont) donc piqué les caciques hezbollahis à l'intelligence tactique pourtant unanimement reconnue, pour leur faire croire qu'ils peuvent réussir à imposer leur seule loi à tous les Libanais, là où les sunnites n'ont pu le faire avec l'aide des Palestiniens ni les chrétiens en s'alliant avec Israël ?
En attendant, les sunnites libanais ne savent plus aujourd'hui à quel dieu se vouer – du moins les modérés d'entre eux, surtout en l'absence d'un chef. Faudrait-il rappeler à Saad Hariri que plusieurs de ses amis politiques, aussi importants que lui, ont eu à déplorer l'assassinat d'un père, d'un fils, d'un frère, d'un neveu, d'un oncle ou d'un cousin, et sont quand même restés au poste, aussi menacés soient-ils ? Voilà les seconds couteaux sunnites de Beyrouth et de Tripoli dépassés par des jusqu'aux-boutistes ignares, grugés par des meneurs obscurantistes et une apologie de la violence qui n'a plus rien à voir avec la moindre religion... Pareil pour ces quelques ministres et députés sunnites du Liban-Nord, dont la puissance financière est presque toute entière mise au service, discret, de chefs de guerre pour le moins instables et qu'ils s'emploient à noyer de dollars. Tout cela plutôt que d'afficher courageusement leurs convictions, de calmer les esprits, de faire face pour bâillonner les agitateurs et les faux prophètes.
Chez les druzes, au Dieu mystérieux, Walid Joumblatt, le roi de la manœuvre, aussi flanqué reste-t-il de cette immense culture et d'une vision politique rare, en est réduit à naviguer à vue, souvent entre deux eaux...
Quant aux chrétiens, s'ils sont d'accord pour adorer un même Christ, ils n'en sont que plus fautifs. Hiérarchies politiques et religieuses confondues ont raté une occasion unique de redevenir des partenaires à part entière, de se retrouver, comme avant, aux avant-postes des révolutions au lieu de se ranger frileusement derrière les régimes en place, aussi honnis soient-ils... Ils auraient réussi, comme dans les années 50 avec la Renaissance arabe, aux côtés des musulmans modérés et des démocrates laïcs, à combattre la répression tyrannique et contrer en même temps les dérives extrémistes. N'est-ce pas mieux que de pleurer leur âme et de se faire jeter, comme dans d'autres pays, sur les chemins de l'exode ?
Alors que se profilent de cyniques redécoupages au gré des intérêts des grandes puissances et qu'ils ne savent pas encore lequel de ces loups va les dévorer, les Libanais, qu'aucun ciment national n'a vraiment réunis, sont encore – quelle infinie tristesse – une bande hétéroclite d'individus sur un morceau de terre.
Et dire que c'est pour eux que tu as donné ta vie, Gebran mon ami !
D'abord une évidence, et Platon en frémit dans sa tombe : cette simili-Républiquequi n'a jamais su ou pu protéger les siens est plus que jamais une jungle où la seule loi qui y règne...
commentaires (11)
TOUS VEULENT FAIRE DU LIBAN : LES UNS UN PAR...ADIS... ET LES AUTRES UN PAS... RADIS... LES DEUX SENTENT LE RADIS !
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 48, le 29 mars 2014