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Liban - Éclairage

Les alaouites du Liban : une minorité fragilisée par la crise syrienne

L’implantation de la communauté alaouite au Liban a débuté au XIXe siècle par vagues successives qui se sont accélérées dans les années 1950-1960, indique Carine Lahoud-Tatar, chercheuse au Beirut Research and Innovation Center (BRIC).

À Jabal Mohsen, le quartier majoritairement alaouite de Tripoli (Liban-Nord), des portraits de Bachar el-Assad et de Rifaat Eid, le leader du Parti arabe démocratique. Joseph Eid/AFP

La contamination progressive du Liban par la crise syrienne a placé la communauté alaouite libanaise, une minorité religieuse issue du chiisme, au cœur de l’actualité. Ses liens avec le régime syrien et son rôle sur la scène politico-sociale du pays sont interrogés, disséqués, scrutés, plus particulièrement à la lumière de la montée de la tension et de la recrudescence des violences à Tripoli, capitale du Liban-Nord. Des violences qui reflètent de plus en plus la nature sectaire du conflit syrien, le point de focalisation de cette tension chronique étant l’opposition historique entre le quartier de Jabal Mohsen, à majorité alaouite et pro-Assad, et celui de Bab el-Tebbané, à majorité sunnite et antirégime syrien.
Au Liban, les alaouites représentent 3 % de la population, soit environ 100 000 habitants. « Le nombre n’est pas élevé, mais l’existence de cette communauté revêt une double importance, explique Carine Lahoud-Tatar, chercheuse au Beirut Research and Innovation Center (BRIC). Les phases de crispation et de détente confessionnelles entre les quartiers historiquement rivaux de Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen constituent un baromètre fiable de deux questions qui sont importantes pour le Liban : la tension entre sunnites et chiites et les relations avec la Syrie. »
La capitale du Nord du Liban est le théâtre depuis la guerre civile (1975-1990) d’affrontements violents et récurrents entre ces deux quartiers. Depuis 2008, les multiples flambées de violences entre ces deux quartiers ont fait plus de 200 morts et 3 000 blessés. Avec le conflit syrien, elles se sont multipliées et
intensifiées.

 


« Une communauté noyée dans l’identité sunnite »
Les relations entre les alaouites et les autres confessions du nord du Liban n’ont pas toujours été si tendues. « Dans les années 1950, la communauté alaouite gardait une certaine mixité confessionnelle avec les chrétiens et les sunnites et n’était pas uniquement installée dans le quartier de Jabal Mohsen », souligne la chercheuse lors d’une intervention dans le cadre d’un colloque organisé le 6 novembre à l’Université Saint-Joseph. « Beaucoup d’alaouites ont contracté des mariages auprès de cheikhs sunnites et leurs prières et rites funéraires se faisaient dans les mosquées sunnites. La communauté était complètement noyée dans cette identité sunnite, dans la mesure où il y avait un taux de mariage mixte très élevé, d’environ 30 %. »


Si les alaouites « existaient historiquement au Liban », leur implantation a vraiment commencé au XIXe siècle, par vagues. « Ces vagues d’émigration (en provenance de Syrie, NDLR) se sont accélérés dans les années 1950-1960 quand le pays du Cèdre était connu pour être la Suisse du Moyen-Orient », souligne Carine Lahoud-Tatar. Essentiellement constituée, à l’époque, de « jeunes de moins de vingt ans ayant un niveau d’éducation primaire », la communauté alaouite s’investit alors « dans les métiers les plus ingrats : ouvriers, travailleurs, domestiques », poursuit-elle.
Ce n’est qu’au début des années 1960, à la suite d’une nouvelle vague de migration vers Tripoli, que les alaouites s’installent à Jabal Mohsen. « À cette époque, ce quartier était la propriété d’une famille sunnite d’Abou Samra, les Mohsen. La migration aboutit à une expansion urbaine et les constructions à Jabal Mohsen débutent fin 1950 », précise la chercheuse.

 


Modification démographique
Les tensions débutent lors de la guerre civile libanaise qui engendre une modification démographique, dans la mesure où « les alaouites de Tripoli vont se rassembler dans le quartier de Jabal Mohsen dans le cadre d’un phénomène de “ghettoïsation” confessionnelle », explique Mme Lahoud-Tatar.
La politisation de la communauté interviendra juste avant la guerre, par l’intermédiaire de Ali Eid, le fondateur du Parti arabe démocratique (PAD), le parti alaouite du Liban. Selon son fils, Rifaat Eid, actuel chef du PAD, Ali Eid « se serait inspiré des principes du leader noir américain Malcom X », explique la chercheuse. Le 23 septembre 1973, le mouvement de la jeunesse alaouite est fondé sous la présidence de Ali Eid « avec l’objectif de préserver l’identité alaouite, d’obtenir des droits politiques et une reconnaissance de leur statut personnel », ajoute-t-elle.

 


La « syrianisation » des alaouites du Liban
L’entrée de l’armée syrienne et le retour de Ali Eid, qui avait dû fuir Tripoli en 1975 en raison de la présence des forces palestiniennes, marquent un rapprochement politique avec le régime de Damas. C’est en 1975 que « Ali Eid rencontre le président syrien Hafez el-Assad pour la première fois », précise Mme Lahoud-Tatar. « Ce dernier lui fournit des armes et lui assure des entraînements militaires, indique-t-elle. De retour à Jabal Mohsen, Ali Eid fonde avec un sunnite et un chrétien le Front de la confrontation. Il fonde aussi sa milice, les chevaliers rouges arabes, avec le soutien des compagnies de défense de Rifaat el-Assad » (frère de Hafez el-Assad). Durant la guerre libanaise, ces mouvements combattront les extrémistes sunnites.
En 1980, les mouvements en question deviennent le PAD. À ses débuts, le parti est présidé par un sunnite, Rached el-Mokadem, « pour éviter un fichage confessionnel », précise-t-elle. Six ans plus tard, Ali Eid prend officiellement la tête du parti.

 


Dissidence peu organisée
Aujourd’hui, le PAD est le principal représentant de la communauté alaouite, estime Carine Lahoud-Tatar, et sa politique est étroitement alignée sur celle du régime syrien. « Il n’y a pas de pluralisme dans la représentation politique au sein de la communauté alaouite, même s’il existe une dissidence très évidente. » « La nomination de la famille Eid est rejetée par les notables, mais cette dissidence n’est pas organisée et structurée sous la forme d’un mouvement ou d’un parti politique. Elle ne se fait qu’à titre personnel et individuel et elle est essentiellement présente au sein des familles aisées qui ont quitté Jabal Mohsen », précise la chercheuse.
« Ali Eid a tenté de construire une identité alaouite autour de deux principales dynamiques : le rapprochement avec la Syrie et la militarisation de la communauté. Mais ces deux éléments ne s’accordaient plus en 1990 avec les intérêts du régime syrien qui était, à l’époque, dans une logique de stabilisation du Liban », renchérit la chercheuse.
Au fil des années, la communauté se replie alors sur elle-même à Tripoli, la deuxième ville du Liban où les alaouites représentent 8 % des 200 000 habitants. En 2005, le retrait des forces syriennes du Liban ravive la tension à Tripoli. En 2011, le début du conflit syrien finit de mettre le feu aux poudres, notamment entre les quartiers de Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané, où le dernier round d’affrontements remonte au 21 octobre.

 


Protecteur
Aujourd’hui, à Jabal Mohsen, « le PAD impose son autorité, et les combattants sont essentiellement des membres du parti et des partisans de la famille Eid », précise Mme Lahoud-Tatar. « Le parti est perçu en tant que protecteur de la communauté à Jabal Mohsen, face à l’émergence de mouvements salafistes », poursuit-elle.
Aujourd’hui, la communauté est « fragilisée par la crise en Syrie, et le devenir des alaouites libanais est doublement hypothéqué ». « Sa survie est étroitement liée au sort du régime de Bachar el-Assad », explique la chercheuse. Ali Eid est, en outre, sous le coup de poursuites judiciaires, car soupçonné d’avoir facilité la fuite en Syrie d’Ahmad Merhi, le principal suspect dans les attentats perpétrés le 23 août contre deux mosquées sunnites de Tripoli.
Ces poursuites « fragilisent un peu plus encore la communauté. Et elles permettent de “confirmer” le discours radical des salafistes concernant les liens entre les alaouites et le Hezbollah et Damas », souligne Mme Lahoud-Tatar. Les accusations portées dans le cadre des attentats de Tripoli « touchent quand même à la sacralité de l’islam et à la violation des lieux saints... Ces développements risquent de mettre le feu aux poudres. À mon avis, on ne va pas dans un bon sens », conclut-elle.

 

 

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