Une jeune femme vient déposer des fleurs à l’endroit où Pavlos Fissas a été poignardé à mort. Angelos Tzortzinis/AFP
Après des années de tolérance vis-à-vis des néonazis d’Aube dorée, le gouvernement grec a aujourd’hui une marge de manœuvre limitée pour faire taire un parti qui surfe sur la crise, la pauvreté et le discrédit de la classe politique.
Le meurtre d’un musicien antifasciste, Pavlos Fissas, dans la nuit de mardi à mercredi près d’Athènes, par un militant d’Aube dorée a alarmé la coalition droite-gauche au pouvoir depuis plus d’un an sous la houlette du Premier ministre conservateur, Antonis Samaras. Mais les analystes se demandent jusqu’où le gouvernement peut aller face à un parti qui en un an a presque doublé son score dans les intentions de vote, à environ 13 % actuellement, et qui compte 18 députés (sur 300).
« Il y a deux lignes dans le gouvernement : ceux qui veulent vraiment agir contre Aube dorée, qu’ils voient comme une organisation criminelle, et ceux qui, par opportunisme politique, continuent de croire que sa présence en tant que parti d’extrême droite profite aux conservateurs », estime Dimitris Christopoulos, professeur adjoint de droit à l’Université Pantion à Athènes.
Alors que la presse s’alarme d’une montée du fascisme et que les manifestations se multiplient pour dénoncer ce meurtre, le ministre de l’Ordre public, Nikos Dendias, a annoncé hier que ce sont désormais les services antiterroristes qui mèneront l’enquête sur Aube dorée. Il a également annoncé le durcissement des dispositions pénales face aux « organisations criminelles » et le transfert d’une trentaine de dossiers sur des violences perpétrées par Aube dorée à la Cour suprême. Le ministre a par ailleurs décidé de retirer aux députés d’Aube dorée la protection policière à laquelle a droit tout parlementaire.
En réponse à cela, l’élu d’Aube dorée Ilias Kasidiaris a déclaré hier que son parti avait l’intention de poursuivre Nikos Dendias pour « fausses accusations » ainsi que la presse et les membres de la classe politique « qui calomnient Aube dorée et menacent un parti politique légal ». Aube dorée affirme que le suspect, qui doit être présenté à la justice samedi, ne fait pas partie de ses membres. Son chef, Nikos Mihaloliakos, estime que le parti fait l’objet d’une « chasse aux sorcières ».
L’homme soupçonné d’avoir tué Pavlos Fissas a néanmoins été montré dans la presse grecque bras dessus, bras dessous avec un élu d’Aube dorée. Les médias ont également publié des photos de lui participant à des activités ou à des groupes d’Aube dorée, notamment à une unité de type paramilitaire, ainsi qu’à des opérations de distribution de nourriture « réservées aux Grecs ».
« Tolérance à la violence »
De son côté, la police grecque a demandé à la justice l’accès aux relevés téléphoniques de deux députés d’Aube dorée ainsi que d’un responsable local du parti pour vérifier l’historique de leurs appels dans le cadre de l’enquête sur le meurtre du rappeur antifasciste Pavlos Fissas, a-t-on appris hier de sources policières et judiciaires. Mais les observateurs craignent que ces mesures soient « insuffisantes, voire superflues ».
« Pourquoi a-t-il fallu ce drame pour que la justice se mette à faire son travail ? » se demande M. Christopoulos, par ailleurs responsable de l’Union des droits de l’homme. Il rappelle pour cause le dernier incident meurtrier perpétré par les néonazis : la mort, par coups de couteau, d’un immigrant pakistanais en janvier à Athènes.
« Il y a une tolérance à la violence et le système politique agit de façon sélective », note pour sa part Sophia Vidali, criminologue à l’université de Thrace. « La violence ressort toujours en temps de crise, surtout dans des quartiers populaires comme celui de Keratsini (le lieu du meurtre), où le démantèlement de la classe ouvrière et des classes moyennes conduit à des conflits entre citoyens », explique-t-elle. Le vrai remède serait « une réforme substantielle du système judiciaire qui permettrait au parquet de diriger l’enquête policière et de créer une police judiciaire comme c’est le cas en France », poursuit-elle.
Profitant d’une quasi-impunité, parfois de la complaisance des autorités depuis sa formation dans les années 1980, Aube dorée a multiplié les attaques contre des migrants et des hommes politiques de gauche, depuis son irruption au Parlement en juin 2012. « Le meurtre de Pavlos Fissas est un crime qui devait arriver » car Aube dorée « bénéficiait de l’impunité et du laxisme des autorités », résumait hier l’éditorialiste Nikos Konstantaras dans le quotidien libéral Kathimérini.
Interdiction du parti ?
Doté d’une structure paramilitaire avec des milices d’assaut, les néonazis vêtus de noir grossissent leurs rangs dans les quartiers défavorisés, sous les yeux de la police. Les arrestations se limitent la plupart du temps aux personnes identifiables, comme les députés d’Aube dorée. Et s’ils rejettent le qualificatif de néonazi, l’emblème d’Aube dorée rappelle drôlement la croix gammée et ses membres pratiquent consciencieusement le salut nazi.
C’est ainsi que le meurtre du rappeur antifasciste a relancé le débat sur une interdiction du parti. Mais « cela serait techniquement très difficile, et politiquement dangereux », du fait de l’audience d’Aube dorée, juge M. Christopoulos. « La Cour suprême a autorisé la transformation de ce groupe en parti politique, il faudrait maintenant des acrobaties constitutionnelles pour l’interdire. Et même s’il est prouvé qu’il s’agit d’une organisation criminelle, la Constitution ne prévoit pas la dissolution d’un groupe parlementaire », dit-il.
En attendant, des milliers de personnes ont manifesté contre les néonazis jeudi soir dans une banlieue populaire de l’ouest d’Athènes, près du quartier de Keratsini. À l’appel de syndicats ouvriers, un cortège rassemblant environ 4 000 personnes a défilé derrière une banderole énonçant « Blocage au fascisme », en présence de policiers antiémeute.
Pour mémoire
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Un jour, quelqu'un de très intelligent mettra en évidence à quel point les "libertés" des "échanges", de transferts des capitaux, du "travail", de "circulation"...bref, le "libéralisme sauvage" (comme s'il pouvait être autre chose que sauvage!) auront été les vecteurs de fractures sociétales génératrices de guerres civiles....un jour....peut-être, si Dieu veut....en montrant "Aube dorée" (sic!),on fait comme l'idiot qui regarde le doigt, quand le sage montre la lune.
10 h 56, le 21 septembre 2013