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Repères : vers une intervention militaire étrangère en Syrie - Commentaire

La nécessité d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie

Charles Tannock est coordinateur de la commission des Affaires étrangères au sein du groupe des conservateurs et réformistes du Parlement européen.

Nul n’ignore ce dicton bien souvent utilisé dans l’interprétation des relations internationales, selon lequel les ennemis de mon ennemi seraient mes amis. Cette formule se vérifie parfois, mais se révèle souvent erronée. Il y a trente ans, combattant les envahisseurs soviétiques de leur pays, les moujahidine afghans furent à tort considérés par l’Occident comme des amis. Un présupposé qui apparaît aujourd’hui des plus aberrants eu égard aux divers événements survenus depuis.


L’aggravation de la crise en Syrie, de même bien sûr que l’utilisation d’armes chimiques dans le pays, a fait naître une dynamique et un dilemme similaires. Mais cette fois-ci, l’Occident ne saurait commettre les mêmes erreurs, ni privilégier des choix aussi lourds de conséquences.


Commençons par l’énoncé de base. La survenance d’attaques chimiques d’une ampleur aussi grave que celle que nous constatons en Syrie change considérablement les règles du jeu. Bien que le fait de détenir de telles armes de destruction massive ne soit pas techniquement illégal, la plupart des États de la planète sont signataires de la convention sur l’interdiction des armes chimiques, que la Syrie a refusé de ratifier. Nous ne saurions par conséquent ne pas apporter de réponse à la question de la prochaine étape à entreprendre. Les principes du droit international – et notamment la doctrine émergente d’une « obligation de protection », ainsi que la mise en place d’une interdiction internationale d’utilisation d’armes chimiques – nous dictent la nécessité d’une certaine forme d’intervention militaire à des fins de dissuasion d’utilisation d’ADM, particulièrement contre des cibles civiles.


Seulement voilà, quelles sont les mesures les plus appropriées et les plus efficaces ? Quelles initiatives sont les plus susceptibles de renforcer la sécurité de l’Occident, et quelles sont celles qui pourraient soulever le risque de l’affaiblir ?
Pour ma part, je considère que la réponse proportionnée la plus juste et la plus simple consisterait à imposer une zone d’exclusion aérienne en Syrie. Cette démarche pourrait s’avérer particulièrement opportune compte tenu de la probable impossibilité future d’adoption d’une résolution en vertu du chapitre VII des Nations unies (« Action en cas de menace contre la paix »), en raison du recours cynique quasi certain de la Russie et la Chine à leur droit de veto au Conseil de sécurité.


Bien entendu, les revendications et réfutations vont bon train au lendemain de la terrible attaque chimique menée contre une zone contrôlée par les rebelles à l’est de Damas. Reste que compte tenu de la brutalité du régime du président Bachar el-Assad, nul n’ignore jusqu’où ce régime serait susceptible d’aller pour dissimuler sa culpabilité. Le fameux délai de cinq jours accordé aux experts en armes chimiques de l’ONU pour vérifier la nature de l’attaque a ménagé au gouvernement d’Assad tout le temps nécessaire pour faire disparaître les preuves incriminantes, en les altérant ou en les détruisant au moyen de nouveaux bombardements. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni sont catégoriques : l’ensemble des renseignements et des éléments de témoignage oculaire désignent le gouvernement Assad comme l’auteur de l’attaque.


Nul doute d’un autre côté quant au caractère justifié des inquiétudes relatives aux acteurs de l’opposition syrienne. Les groupes extrémistes el-Qaëda et salafistes composant les forces rebelles, telles le Front al-Nosra, se sont révélés tout aussi vicieux que le gouvernement et ses alliés, à savoir le pan iranien du Hezbollah et la garde révolutionnaire iranienne. Pour autant, les services de renseignements occidentaux sont unanimes quant à l’absence de preuves qui indiqueraient la responsabilité de ces groupes rebelles dans le lancement des attaques chimiques.


Dans un tel contexte, la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne permettrait non seulement de débarrasser le ciel des avions de guerre et missiles syriens, réduisant ainsi l’ampleur du massacre, mais contribuerait également à faire comprendre à Assad et à ses partisans que celui-ci est bel et bien vulnérable. Les généraux enjoints à faire usage d’armes chimiques pourraient ainsi envisager de manière tangible la perspective d’un effondrement du régime, et prendre conscience du risque de se voir jugés pour crimes de guerre devant un tribunal.


Il serait bien évidemment préférable que la Russie et la Chine permettent au Conseil de sécurité de relever la mission qui sous-tend précisément sa création – à savoir préserver la paix et empêcher les crimes de guerre. En s’obstinant à soutenir Assad malgré l’utilisation d’armes chimiques, la Russie est passée dans le monde arabe du statut de saint patron à celui de véritable paria. Le peu de considération morale et politique que le président russe Vladimir Poutine est parvenu à conserver aux yeux du reste du monde s’érode également, ce dont le tsar devrait bientôt prendre conscience lors du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg.


Le monde ne saurait toutefois se contenter de retenir son souffle dans l’attente d’un changement d’attitude de Poutine et de la Chine. C’est pourquoi il est nécessaire que la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne soit envisagée et examinée en tant qu’option militaire. Au lendemain de la guerre du Golfe de 1991, la zone d’exclusion aérienne initialement proposée par le Premier ministre britannique John Major ne permit certes pas à elle seule de renverser Saddam Hussein, mais empêcha bel et bien le dictateur de mener de nouvelles attaques aériennes contre les Kurdes du Nord et les chiites du Sud.


De même, l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie permettrait d’entraver rapidement les vecteurs d’armes de destruction massive du gouvernement syrien. Un certain nombre d’experts militaires affirment que les systèmes de défense aérienne syriens seraient trop sophistiqués pour pouvoir être éliminés, rendant trop dangereuse la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne. Pourtant, Israël est bel et bien parvenu à attaquer le territoire syrien à deux reprises – détruisant en 2007 un réacteur nucléaire soutenu sur place par les Nord-Coréens, et frappant plus récemment un convoi du Hezbollah – sans souffrir d’aucune victime ni perte d’appareil.


Consciente de cette faiblesse, la Russie a fourni à la Syrie un certain nombre de ses missiles S-300 les plus modernes ; bien que leur arrivée n’ait pas été prouvée, et encore moins leur déploiement. Une fois les systèmes de défense aérienne de la Syrie suffisamment affaiblis, il serait judicieux qu’un certain nombre de pays arabes – Arabie saoudite, Qatar et autres États du Golfe – ainsi que la Turquie utilisent leurs forces aériennes afin de faire la police dans la zone. Toute intention malveillante de la part du régime d’Assad serait ainsi découragée à chaque regard tourné vers le ciel.

© Project syndicate, 2013. Traduit de l’anglais par Martin Morel.

 

 

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