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À La Une - Liban-Reportage

Beyrouth : Cette étrange peur sur la ville...

Après les attentats à la voiture piégée, les jeunes Beyrouthins n’ont pas le cœur à la fête.

Depuis l'explosion dans la banlieue-Sud de Beyrouth, le 15 août 2013, et le double attentat à Tripoli le 23 août, les habitants de la capitale libanaise n'ont plus le cœur à la fête. Photo  Djamila Ould Khettab

Beyrouth, la capitale du Moyen-Orient qui ne dort jamais, a perdu de sa superbe ces derniers jours. La cause de cette morosité ambiante : des voitures piégées, comme celles qui ont explosé à Tripoli, capitale du Liban-Nord, le 23 août. Bilan : 45 tués, le plus lourd pour ce type d’attaque terroriste depuis la fin de la guerre civile libanaise. Le 15 août, une autre voiture piégée avait explosé dans la banlieue sud de Beyrouth, faisant 27 morts qui venaient s’ajouter à la personne tuée lors du précédent attentat du même type, dans la même région, le 9 juillet.


Face à cette recrudescence de la violence, les jeunes Beyrouthins n’ont plus le cœur à la fête. Connu pour sa résilience, le secteur de la nuit semble toutefois durement affecté par l’insécurité qui règne dans le pays. Le soir, les rues bouillonnantes des quartiers généralement animés et festifs sont étrangement vides ces derniers jours. Là où ordinairement il faut jouer des coudes pour trouver une place où stationner, la circulation est fluide. « Normalement à cette heure-ci, c’est plein. Mais regardez ce soir », apostrophe, consternée, Annie, gérante du Regusto, l’un des restaurants-institutions de la rue Hamra. Il est 21h ce mardi soir. Les tabourets posés devant le zinc sont vacants et seule une poignée de clients sirotent un verre en silence. Même constat du côté de Gemmayzé et Mar Mikhaël, où les bars, restaurants et cafés, habituellement pleins à craquer, font pâle figure.

 

La rue Hamra à Beyrouth est étrangement désertée par les fêtards et autres couche-tard depuis le récent regain de tension au Liban. Photo : Djamila Ould Khettab



Propriétaire du Godot, un bar populaire de la rue Gouraud, Elio Panayot vit cette série d’attentats comme un nouveau coup dur pour son commerce. « Ce n’est pas évident depuis deux ans avec la crise en Syrie. L’été, les Libanais préfèrent les roofs top aux bars fermés mais nous, nous continuions à recevoir beaucoup de monde grâce à l’afflux des touristes étrangers. Avec les événements en Syrie, ces derniers ne viennent plus », soupire Elio, qui affirme avoir constaté une baisse sensible de fréquentation après l’explosion à Roueiss, dans la banlieue sud de Beyrouth, le 15 août. « Avec les rumeurs de nouveaux attentats à la voiture piégée, les gens prennent des précautions et évitent les endroits très fréquentés comme les malls et les lieux où l’on fait la fête », explique Elio, qui ne cache pas être lui-même préoccupé par la situation. « Je suis libanais. Ça fait quarante ans que je vis dans ce pays, mais pour la première fois de ma vie, j’ai peur et je songe à émigrer », confie-t-il, sans réellement avoir de destination précise en tête.

 



La prochaine explosion
De jour comme de nuit, une même crainte de la prochaine explosion tiraille les Beyrouthins et de façon générale les Libanais. « J’y pense dès le matin. Je me lève avec la peur d’être blessée pendant la journée par une bombe, voire d’être estropiée », confie Léa*, une étudiante en psychologie de 26 ans.
Il n’y a pas que la menace d’un nouvel attentat à la bombe qui alimente la psychose des Libanais. « Il ne faut pas oublier les enlèvements », souligne Hani, qui continue de se déplacer régulièrement entre Beyrouth et Saïda, d’où il est originaire. Dans les circonstances actuelles, ses parents veillent au grain. « J’ai 28 ans et mes parents m’appellent si je ne suis pas rentré à 23h. Je n’ose même pas imaginer comment ça doit être pour une fille », enchaîne-t-il.

« Entre déprime et paranoïa »
Bien qu’elle dise naviguer « entre déprime et paranoïa », Léa ne veut pas rester cloîtrée chez elle. « Je sors parce que rester à la maison m’angoisse davantage. J’étouffe à la maison, j’ai besoin d’évacuer en marchant. Paradoxalement, je tiens encore plus à ma liberté quand on essaye de m’en priver », explique ce petit bout de femme. Vigilante, Léa ne s’aventure toutefois jamais loin des lieux qui lui sont familiers. « Je ne sors pas du périmètre Verdun, Gemmayzé et Achrafieh », dit-elle. Mais même dans ses endroits favoris, Léa n’a pas l’esprit tranquille. « On n’est en sécurité nulle part aujourd’hui, pas même dans son propre appartement », fait-elle valoir, en citant l’attentat-suicide du 19 octobre 2012 à Achrafieh qui a coûté la vie à huit personnes, dont le chef des renseignements des Forces de sécurité intérieure. Comme nombre de ses compatriotes, Léa redoute une « irakisation » du Liban. « Avant, on savait où c’était dangereux et les terroristes visaient des politiciens. Aujourd’hui, ils frappent des civils en fonction de leur religion, et aucun quartier n’est épargné », poursuit-elle, le regard sombre.

 

Lors du salon mensuel TedX Hamra, tenu le 27 août 2013, une trentaine de Beyrouthins ont exprimé leur peur après le double attentat à Tripoli, qui a frappé la ville du Nord du Liban le 23 août. Photo Natheer Halawani.


À fleur de peau, Léa confie avoir « ressenti beaucoup de tristesse » quand elle a entendu sa mère et sa tante tenter de dissuader sa sœur et ses cousins, immigrés en Amérique du Nord et dans les pays du Golfe, de venir passer leurs vacances au Liban à cause du regain de tension. « Nous étions déchirés entre l’envie de les voir et la peur qu’il leur arrive quelque chose », résume-t-elle. Finalement, les proches sont venus, et Léa avoue qu’elle aura un pincement au cœur en les voyant quitter le Liban à la fin de leur séjour sans pouvoir partir avec eux.

« Comme si de rien n’était »
Si la panique gagne certains Beyrouthins, d’autres sont décidés à ne pas se laisser abattre. C’est le cas de Piotr, jeune entrepreneur de 22 ans. Le jour du double attentat de Tripoli, il n’a pas levé les yeux de son écran d’ordinateur et a « continué à travailler comme si de rien n’était », alors que les chaînes télévisées montraient en boucle les images des attentats de Tripoli. « Cela ne sert à rien de regarder ça ou d’en discuter, ça ne fait que raviver la colère. Je préfère employer mon énergie ailleurs », affirme ce jeune homme qui ambitionne de lancer sa propre start-up. Toujours dans sa bulle, Piotr est allé boire un verre avec des amis le soir même du double attentat.


Mais au Liban, ils sont de plus en plus nombreux à ne plus supporter cette politique de l’autruche et ce réflexe d’autodéfense qui consiste à se comporter comme si rien ne s’était produit. Organisé quatre jours après l’attaque terroriste perpétrée à Tripoli, le Salon mensuel TedX Hamra a pris des allures de séance de psychanalyse collective ce mardi 27 août, les animateurs de la soirée ayant volontairement changé le thème de la discussion pour écouter la réaction des participants face à cet épisode violent.


Confortablement installés sur les fauteuils d’AltCity, un espace d’échanges et de soutien à l’entrepreneuriat, une trentaine de participants ont baissé la garde, révélant pour une fois leur douleur la plus intime. Dima Saber, cofondatrice d’AltCity, a vécu le drame de Tripoli comme un véritable électrochoc. « J’étais à la plage quand j’ai appris la nouvelle. Ma première réaction a été de demander combien il y avait de morts. C’est quand j’ai posé cette question que je me suis rendu compte à quel point je me suis habituée à la violence et suis désensibilisée », lâche-t-elle, émue aux larmes, devant une assemblée compatissante. « J’ai lu un tweet qui disait “Ça se rapproche de la maison”. Ca n’a pas de sens ! Tripoli, la banlieue sud de Beyrouth... Ce n’est pas une question de près ou non de la maison, c’est le Liban qui est meurtri à chaque fois », poursuit-elle, la voix cassée. Face aux menaces qui planent sur son pays, Dima ne veut plus rester impassible. « Il faut continuer à lire et à écrire à ce sujet. Il faut dénormaliser la situation », insiste-t-elle.

 

Jeunes et moins jeunes Beyrouthins ont dansé pour promouvoir la paix dans la région le 27 août dernier à l'occasion du cinquantième anniversaire du célèbre discours de Martin Luther King "I have a dream". Photo Djamila Ould Khettab



Face à la morosité ambiante, un groupe de Beyrouthins s’est d’ailleurs mobilisé pour redonner des couleurs à la ville. Sur la corniche de Aïn Mreissé, une petite centaine d’optimistes, affublés de tenues bariolées, ont dansé mardi 27 août sur des hymnes à la paix tels que Heal the World de Michael Jackson et Let the Sunshine In, tiré de la comédie musicale Hair. Ces Libanais répondaient à un appel lancé sur Facebook à l’occasion du cinquantenaire du discours de Martin Luther King « I have a dream ». Un discours qui a une résonance particulière dans un Liban miné par un contexte régional agité. En tête de la troupe, Cynthia, passionnée de danse et étudiante à Paris. Le temps des vacances, elle a retrouvé son pays natal, le moral dans les chaussettes.
Pas de quoi ébranler la confiance de Cynthia. La pesanteur et la psychose vont très vite se dissiper, assure-t-elle, car « le Libanais possède cette faculté de sentir qu’il n’a pas d’autre choix que de continuer à vivre envers et contre tout ».

*Le prénom a été changé à la demande de la personne interviewée. 


 

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