Depuis l’explosion de la voiture piégée à Roueiss dans la banlieue sud et le discours du secrétaire général du Hezbollah qui l’a suivie, la situation libanaise semble avoir franchi un pas considérable vers la déstabilisation. D’autant que les informations sécuritaires parvenues aux médias font état de l’existence de douze voitures piégées préparées pour exploser au Liban, deux d’entre elles ont déjà accompli leur sinistre besogne, la première à Bir el-Abed le 9 juillet dernier, la seconde à Roueiss le 15 août. Trois autres ont été découvertes à temps, dont la Audi de Naamé, et il resterait donc encore sept à trouver. Les services de sécurité se livrent d’ailleurs à une véritable course contre la montre pour désamorcer ces bombes ambulantes avant qu’elles n’accomplissent leur travail de semer la mort et la tragédie.
En quelques jours, les services de sécurité ont accompli un travail extraordinaire sur le plan des investigations, parvenant pratiquement à arrêter certains suspects et à identifier les autres (ou un grand nombre d’entre eux) en un temps record. Même si certains experts déplorent un certain manque de coordination entre ces services, leur empressement à découvrir les cellules qui veulent déstabiliser le pays est un développement positif en cette période troublée et angoissante.
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Cependant, la véritable question qui se pose dans les milieux politiques est la suivante : « Le parapluie international » qui semblait protéger le Liban jusqu’à présent, et en dépit des développements dramatiques en Syrie, aurait-il été retiré? Les Occidentaux, États-Unis en tête, avaient en effet fait savoir à plusieurs reprises qu’ils sont opposés à une explosion généralisée au Liban, en partie pour ne pas détourner l’attention internationale de ce qui se passe en Syrie. Mais depuis les incidents sécuritaires répétés, et surtout la dernière voiture piégée de Roueiss, le Liban semble entrer dans une nouvelle phase plus violente et meurtrière que la précédente. Une source diplomatique européenne précise toutefois qu’il n’en est rien et que l’Occident, États-Unis en tête, continue à ne pas vouloir d’une dégradation sécuritaire au Liban, même après la bataille de Qousseir et l’annonce officielle de la participation du Hezbollah aux combats en Syrie. Cette participation a certes été vivement condamnée et des pressions sont exercées, directement ou non, pour pousser le Hezbollah à retirer ses combattants de Syrie, mais cela ne signifie nullement que l’Europe ou les États-Unis souhaitent désormais une déstabilisation au Liban. Bien au contraire, seulement une part de responsabilité repose sur les Libanais eux-mêmes.
Dans ce cas, qui est derrière les explosions et les nouvelles découvertes, chaque jour plus inquiétantes, des services de sécurité, depuis surtout la voiture piégée à Roueiss ? Une source proche du ministère de la Défense précise que le ministre Fayez Ghosn avait donné l’alerte depuis deux ans sur l’existence au Liban de cellules d’el-Qaëda. Il avait alors été la cible d’une véritable campagne de dénigrement de la part notamment du courant du Futur et de ses députés au Nord et à Tripoli. Aujourd’hui, ces cellules apparaissent au grand jour parce qu’il semble que le Liban ne soit plus considéré comme une terre de soutien, mais de jihad pour les combattants salafistes. Ceux-ci auraient pris cette décision en raison de la difficulté pour eux de circuler des deux côtés de la frontière syrienne, en dépit de la proximité du Liban avec la Syrie.
Cette difficulté est due d’une part à la présence de l’armée à la frontière nord, mais aussi à la frontière avec la Békaa. Ce qui explique, en grande partie, les agressions répétées contre l’armée au Nord, à Ersal et dans la Békaa en général. L’autre raison de cette décision, c’est la présence du Hezbollah dans la Békaa et sa participation aux combats en Syrie qui ont permis aux forces du régime d’imposer leur autorité sur la région de Qousseir.
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Ces groupes ont donc considéré qu’il fallait non seulement punir le Hezbollah pour son action, mais aussi exercer de fortes pressions sur lui pour le pousser à retirer ses troupes de Syrie, tout en l’affaiblissant sur le plan interne. D’où la décision d’envoyer des voitures piégées dans les régions considérées comme des fiefs du Hezbollah pour y semer l’inquiétude et pousser les habitants à se rebeller contre cette formation, mais aussi déstabiliser d’autres régions, pour que le mécontentement soit généralisé et que le chaos règne. C’est ainsi que, selon la même source, des drapeaux du Hezbollah auraient été trouvés à côté de charges explosives préparées à être envoyées. Ce qui permet de penser que les tueurs projetaient de placer les charges dans des régions non chiites pour ensuite faire croire que c’est le Hezbollah qui est derrière l’attentat... Or, dans l’état actuel de tensions confessionnelles, il y aurait certainement eu des « esprits troublés » ou des voix malintentionnées pour croire à cette possibilité et à réagir...
La source proche du ministère de la Défense est convaincue que ces cellules salafistes disposent d’une couverture extérieure qui leur permet de préparer des actions d’une telle violence au Liban. D’ailleurs l’accusation claire du secrétaire général du Hezbollah, dans son dernier discours le 16 août, contre des services de renseignements du Golfe est un indice en ce sens. C’est la première fois que sayyed Hassan Nasrallah lance une accusation aussi claire, lui qui a toujours ménagé les pays du Golfe, ne serait-ce que par souci d’éviter les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites. S’il a décidé, cette fois, de surmonter cette obsession permanente et de passer à la vitesse supérieure, c’est que, selon lui, la situation est beaucoup trop grave pour continuer à dissimuler ce qu’il considère comme des évidences. Entre le Hezbollah et certains services de renseignements du Golfe, la guerre n’est donc plus larvée mais ouverte. Dans ce contexte, on voit mal comment un nouveau gouvernement pourrait être formé au Liban, avec un Hezbollah mis sur la liste noire des pays du Golfe mais demeurant une composante importante du paysage sociopolitique libanais. L’attente des développements est donc une nouvelle fois l’unique occupation de la classe politique libanaise.
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