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À La Une - Société

Les Tunisiennes aux avant-postes de la contestation anti-islamiste

Les femmes ont défilé en masse, le 13 août dans la capitale, à l'occasion de l'anniversaire du Code du statut personnel, un corpus de lois avant-gardistes institué par Habib Bourguiba.

Des Tunisiennes de toutes générations ont défilé dans les rues de Tunis, le 13 août 2013, pour célébrer le 56e anniversaire du Code du statut personnel. AFP/FETHI BELAID

Si la Journée mondiale de la femme est habituellement fêtée le 8 mars, en Tunisie elle est également célébrée le 13 août, jour de la promulgation du Code du statut personnel (CSP) par l’ancien Premier ministre puis président Habib Bourguiba. Entré en vigueur le 1er janvier 1957, ce corpus de lois progressistes offre à la femme tunisienne un statut inédit dans le monde arabe jusqu'alors. Entre autres mesures, le CSP autorise les procédures de divorce, proscrit la polygamie et instaure le mariage par consentement mutuel pour lutter contre la pratique des unions forcées. 

 

Plus d'un demi-siècle plus tard, des dizaines de milliers de Tunisiennes, selon les organisateurs du rassemblement, sont sorties dans la rue pour défendre leurs acquis. Des avantages qu’elles estiment menacés par le gouvernement provisoire en place, dominé par le parti islamiste Ennahda.

 

Ce 13 août 2013, à l’appel du collectif Hrayer Tounes (Femmes libres de Tunisie), des dizaines de milliers de manifestants ont rejoint la place du Bardo à Tunis, où se tient un sit-in anti-gouvernement depuis l’assassinat du député Mohamed Brahmi, le 25 juillet dernier. Un cortège composé en grande majorité de femmes de tous âges.

 

« On a été épaulé par des hommes, nos maris, amis, cousins », tient à préciser celle qui se fait appeler Jasmin sur Twitter. Inquiète des « tentatives du courant islamiste de démolir le CSP », cette enseignante de français au chômage a participé à la marche du 13 août pour conserver, voire améliorer ce code si précieux pour les femmes tunisiennes. « Je suis venue revendiquer plus d’égalité, plus de droit, plus de liberté », dit-elle à L'Orient-Le Jour, rappelant que l’an dernier le parti Ennahda avait tenté de remplacer dans la Constitution en cours de rédaction le principe d’égalité homme-femme par le principe de complémentarité. « Grâce en partie à notre mobilisation, il a fait marche arrière », rappelle-t-elle. Si pour les militantes féministes l’islamisation a gagné du terrain dans la société tunisienne depuis le mouvement populaire de 2011, Jasmin reste néanmoins persuadée que ses congénères n’abdiqueront pas.

 

« Certaines ont subi un lavage de cerveau et sous la pression de leur mari ou de leurs frères se sont mises à porter le hijab, alors qu’elles sortaient sans voile avant l’arrivée des islamistes au pouvoir. C’est vrai qu’il est de plus en plus difficile de porter une mini-jupe sans essuyer de remarques acerbes. Mais la Tunisie n’est pas l’Iran ou l’Afghanistan. Les Tunisiennes ne se laisseront pas faire », assure-t-elle.

 

 

Outre leurs habituelles revendications féministes, les militantes ont aussi tenu à faire passer un message résolument politique, dans un contexte de crise des institutions qui mine le pays, notamment depuis la mort de Mohamed Brahmi. Les membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC) ne se sont effectivement plus réunis depuis le 6 août dernier, quand son président, Mustapha Ben Jaâfar, a annoncé la suspension des travaux de rédaction de la nouvelle Constitution de la Tunisie.

 

« Tout est lié : la dégradation du statut de la femme, la situation politique et économique », explique Jasmin.

 

Reprenant le slogan phare de la révolution « Dégage », les protestants du 13 août ont cette fois visé les membres de l’Exécutif, au premier rang desquels figure le chef du gouvernement Ali Larayedh. Dégoutés, révoltés, les manifestants estiment avoir atteint un point de non retour.

« La chute du gouvernement doit avoir lieu, on ne peut pas rester dans cette situation indéfiniment. Il y aura bientôt un changement », espère Samïa, une cyber-activiste de 29 ans, qui se dit « sidérée » par le meurtre en pleine rue du député Brahmi, alors qu’elle ne s’est pas encore remis de l’assassinat de l'opposant Chokri Belaïd, leader du Front populaire tunisien, le 6 février dernier. Deux crimes imputés aux salafistes.

« On n’est pas habitués à ce climat détestable et d’insécurité en Tunisie », s’inquiète cette architecte d'intérieur établie à Tunis.

 

Affaiblie par des problèmes de santé, c’est postée devant son écran d’ordinateur que Samïa mène son combat pour l’émancipation de la femme en Tunisie et la transition démocratique. « Je suis tout le temps branchée sur les réseaux sociaux, je relaye l’information sur les mobilisations. C’est important de le faire parce qu’il y a beaucoup d’intox sur le net à cause de la propagande des islamistes », raconte-t-elle à L'Orient-Le Jour.

 

Les opposants au gouvernement veulent aussi la tête des députés de l’ANC, qui, selon eux, ont failli à leur mission. Plus de deux ans après la chute de l’ancien président Ben Ali, la Tunisie n’est toujours pas dotée d’une nouvelle Constitution alors que l’ANC devait soumettre une proposition de Loi fondamentale au plus tard en octobre 2012. « La première mouture qu’ils nous ont présentée [ndlr en avril 2013] était un torchon ! », s'insurge Samïa, qui, à l’instar des autres composantes de l’opposition, réclame la dissolution de l’ANC. « Les députés de la Constituante n’ont plus de légitimité, leur mandat a expiré il y a un an. Il est temps qu’ils quittent le pouvoir », lance-t-elle.

 

Dans la rue, les militantes anti-gouvernement ont dû composer avec leur rivales, affiliées au parti islamiste. Pour la plupart voilées, elles étaient près de 1.500, selon une source de sécurité, à se rassembler sur l’avenue Bourguiba à Tunis, haut lieu de la révolution en 2011, répondant à un appel à contre-manifester lancé par Ennahda.

 

Ce n’est pas la première fois que les deux camps adverses se défient dans la rue depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi. Une bataille de militants qui a tourné largement en faveur des opposants au gouvernement, beaucoup plus nombreux en cette journée de la femme. « Ennahda n’arrive plus à mobiliser autant qu’avant », estime Jasmin, qui se moque du « ridicule » de ses rivales. « Qu’est-ce qu’elles sont venues fêter ? Le CSP a été mis en place par l’ennemi juré des islamistes, Habib Bourguiba. Les islamistes l'accusent d’avoir introduit la modernité et d’avoir détruit l’islam en Tunisie. Ces femmes sont en contradiction avec elles-mêmes », assène Jasmin.

 

Déterminées à préserver leurs droits, les militantes anti-gouvernement n’ont pas attendu la journée du 13 août pour se mobiliser. Dès les premières heures suivant l’annonce de l’assassinat de Mohamed Brahmi, on les a vues crier leur indignation dans les rues, malgré la violence de la répression des forces de l’ordre. La bloggeuse et cyber-activiste tunisienne Lina Ben Mhenni témoigne : « Quand on a appris la mort tragique de Brahmi, on s’est d’abord retrouvées devant l’hôpital où son épouse attendait sa dépouille mortelle. On a ensuite occupé l’avenue Bourguiba, comme on avait l’habitude de le faire en 2011, et puis la foule s’est dirigée vers la place du Bardo pour demander la destitution de l’ANC. On a beaucoup souffert durant les premiers jours du sit-in au Bardo : on jeûnait, il faisait chaud et les policiers ont violemment attaqué les manifestants avec leurs bombes lacrymogènes et leurs matraques pour nous chasser ». La répression de la police a baissé d’un cran quand une partie des députés démissionnaires ont rejoint le sit-in, poursuit Lina, qui affirme toujours porter les séquelles, notamment aux jambes, de ses altercations avec la police.

 

Mobilisées très tôt et en masse, les Tunisiennes ne comptent pas faire de la figuration. A l’image de Basma Khalfaoui, la veuve de Chokri Belaïd, qui, endeuillée mais pas abattue, a repris le flambeau. Militante féministe de longue date, cette avocate entrée en politique par la force des choses, a fondé fin juillet le Front de salut national avec des anciens compagnons de lutte de son ex-mari. Objectif : unir la gauche pour faire plier le gouvernement. « Vous n’êtes que des rats et des lâches […] Mais nous ne vous écraserons pas. On vous sortira de vos tanières pour vous dégager », a ainsi martelé Basma Khalfaoui à l’adresse des membres du gouvernement lors de la marche des femmes le 13 août. Tout aussi combative, la veuve de Mohamed Brahmi, Mbarka Brahmi, accompagnée de ses enfants, se joint régulièrement au sit-in anti-gouvernement de la place Bardo. Un engagement qui en inspire plus d’une. « J’ai l’intime conviction que si ce pays doit être sauvé, c’est une femme qui le sauvera », conclut Jasmin.

 

 

Pour mémoire

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Si la Journée mondiale de la femme est habituellement fêtée le 8 mars, en Tunisie elle est également célébrée le 13 août, jour de la promulgation du Code du statut personnel (CSP) par l’ancien Premier ministre puis président Habib Bourguiba. Entré en vigueur le 1er janvier 1957, ce corpus de lois progressistes offre à la femme tunisienne un statut inédit dans le monde arabe...

commentaires (3)

J'ai tellement d'admiration pour elles que j'ai peur pour elles aussi , elles risquent de se faire jeter par ceux qui recommandent la démocratie , justement ... oui, les eurodécadents et leurs corrolaires , je parle bien d'eux ...ils l'ont fait ailleurs non ??

Jaber Kamel

12 h 37, le 18 août 2013

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Commentaires (3)

  • J'ai tellement d'admiration pour elles que j'ai peur pour elles aussi , elles risquent de se faire jeter par ceux qui recommandent la démocratie , justement ... oui, les eurodécadents et leurs corrolaires , je parle bien d'eux ...ils l'ont fait ailleurs non ??

    Jaber Kamel

    12 h 37, le 18 août 2013

  • Allez les Iraniennes, c'est votre tour à présent.... !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    10 h 40, le 18 août 2013

  • Vivent les tunisiennes. De tout coeur avec elles contre les islamistes chariistes et leurs supporters occidentaux... grand paradoxe.

    Ali Farhat

    09 h 23, le 18 août 2013

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