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À La Une - Spectacle

Une entrée en « Matières » avec Wajdi Mouawad au In d’Avignon

Une carte blanche a été donnée aux 13 artistes associés et à d’autres qui ont animé de leur présence et de leurs œuvres, chacun un jour, les 10 éditions du Festival In d’Avignon, dirigées par le duo Hortense Archambault et Vincent Baudriller. Wajdi Mouawad – artiste associé en 2009 – a répondu à cette invitation en donnant un one show de « Matières » au Gymnase Saint-Joseph.

Wajdi Mouawad se sent plutôt « metteur en esprit » que metteur en scène...(Photo Grégoire Zivanovic)

Une proposition artistique en création – « un brouillon, des idées inachevées », comme il le qualifie lui-même – mais qui se situe dans la pure veine wajdienne. Sur la forme, mixant différents médias artistiques : des textes toujours forts et dominants, des vidéos, de la musique et de la peinture ; sur le fond, dévoilant un pan de vie et des questionnements à foison...  Presque pas d’éléments de décor : un écran blanc en fond de scène, une table de bistrot et des seaux à peinture. Sur le côté, une table avec ordinateur. 


Wajdi Mouawad est seul au centre de la scène. « C’est déjà raté, faut-il se dire. Et avancer à travers les ronces de la mémoire. S’écharper à chaque pas. (...) La mémoire est une roncière... » Ces mots sont les premiers d’un monologue que l’artiste dit et redit entre deux séquences, comme un refrain de chanson, omniprésent.
« J’ai longtemps été démuni face à la colère de mon père », reprend l’artiste, mais là en voix off. L’enfant qu’il était, pour se protéger et se soustraire à la colère et à la violence paternelle, avait trouvé une parade : serrer fort un coquillage dans sa poche. Il était seul à connaître l’existence de ce coquillage et ce secret lui donnait un ascendant mental sur son père et lui permettait de supporter la colère et la violence qui se déchaînaient contre lui. Puis vient l’âge où il faut quitter la maison paternelle. Il enfouit le coquillage dans le jardin à l’arrière de la maison, comme on laisserait là ses blessures d’enfant pour mieux aller à la rencontre de son destin.


La colère du père, raconte encore l’artiste, il l’avait faite sienne. Comme pour mieux confirmer le propos, c’est une vidéo de Wajdi Mouawad qui aboie et un enregistrement d’aboiement canin qui monte crescendo dans la violence. Aboiements et grognements terrifiants sont l’écho de la violence qui s’est inscrite dans sa chair jusqu’à devenir sienne. En parallèle à ces aboiements, un air d’opéra monte, monte comme pour couvrir de sa puissante beauté la colère et la violence de ce personnage qui aboie, comme pour en venir à bout.


Avec Matières, le spectateur se retrouve dans le laboratoire de création de l’artiste. Mouawad présente différents extraits de textes de théâtre inachevés, comme des premiers jets auxquels il reviendra plus tard. Qu’ils parlent d’une maladie qui a décimé tout le monde ou de l’observation d’une mouche qui se heurte à la vitre par laquelle elle cherche désespérément à regagner l’extérieur ; qu’ils partent sur des digressions sur les orties ou la vie dont on tente de recoller les morceaux comme un puzzle éclaté, les extraits présentés puisent tous à la fois dans l’intime, le social, le politique, le psychologique, cherchant à mettre des mots sur une douleur commune à tous les humains. De mieux la définir et partant de la circonscrire. Cette douleur d’enfance qui nous pétrit, nous forge... peut même nous laminer si nous n’en prenons conscience. 


Une boucle est bouclée, l’histoire de la colère paternelle : à la fin du spectacle, de retour à la maison familiale, branlante, désertée suite à la guerre, l’artiste va dans le jardin déterrer l’objet qu’il y a enfoui enfant. « Il n’y a que cet objet qui permet de faire l’unité à l’intérieur de ta tête, explique-t-il. C’est un mot. Tu le dégages, tu le nettoies. C’est le mot Indifférence. Tu le prononces. Pas dans le sens de mépris ou de désintérêt, mais plutôt dans le sens de concentration à ce qui plaît à ton cœur. Qu’est-ce qui plaît à ton cœur ? »

Mouawad toujours sur sa lancée
Après son passage et le succès qu’il a connu au Festival du printemps de Beyrouth de la Fondation Samir Kassir fin mai dernier, Wajdi Mouawad poursuit son chemin à la fois introspectif et créatif avec un détour par Avignon, où il était pour la première fois en 1999 pour présenter Littoral, premier volet de son quatuor Le Sang des promesses.
Dans une des séquences de Matières, il convie un journaliste, choisi au hasard dans la salle, à venir sur scène lui poser trois questions auxquelles il s’engage à répondre. Elles tournent toutes autour du processus de sa création. « Comment vous mettez-vous à l’écoute de votre intuition ? » « Il faut que je passe par une période de grand ennui, un état de léthargie. Là, les idées viennent. On est guidé par d’autres que nous. Il faut alors lâcher la raison. » « Avec Seul, vous êtes entré dans les images, comment analysez-vous ces images et le parcours qui vous y a conduit ? » « Je suis dans un épuisement du mot », explique Mouawad. Avec Seul, le spectacle qu’il présente en 2008 au Festival d’Avignon, il utilise pour la première fois d’autres moyens que l’écriture, notamment la peinture, la vidéo et le son. « Mais en fait, tous ces moyens ne sont que de l’écriture », constate-t-il. Un jeune journaliste du Hayat présent dans la salle demande en arabe s’il peut poser une question et interroge : « Qui prime sur l’autre, le mot ou l’image ? » Mouawad répond en arabe : « En Europe, l’image, au Liban, le mot. »

 

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