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Culture

Au Festival d’Avignon Off, la mémoire en « Illumination(s) »

Au Théâtre des Halles, une des scènes permanentes d’Avignon, « Illumination(s) », écrite et mise en scène par Ahmad Madani, joue tous les jours à 19h.

Premier tableau où la torture est dite en mots sur scène. Photo François Louis Athenas

Porté par 9 jeunes hommes énergiques et bien à leur place, tous issus du Val Fourré, quartier «chaud» de la banlieue parisienne, ce récit-choral fort invite le spectateur à passer, le temps d’une représentation, de l’autre côté du miroir, à écouter pour mieux comprendre ces vies. La vidéo qui défile en fond de scène est signée Nicolas Clauss. Elle apporte un champ supplémentaire, une profondeur autre à cette création qui est la 1re partie d’une trilogie intitulée «Face à leur destin», qui devrait se décliner en trois créations dont la deuxième sera réalisée avec des jeunes femmes et la troisième avec des hommes et des
femmes.
La scène est vide. Alors que le public s’installe, une bande-son, d’abord murmurante, devient de plus en plus précise : on y entend un mix d’extraits de journaux télévisés et radio relatant les violences qui se déroulent dans les banlieues françaises, les déclarations politiques et autres, etc. Sur le fond de scène servant d’écran, des visages de jeunes hommes, en gros plan, défilent. Leur expression passe de la menace/violence au sourire/rire. Les yeux sont traversés en quelques secondes par une palette de sentiments extrêmes: colère, dépit, douceur, tendresse, gaieté...
Un jeune homme déboule les escaliers de la salle et hurle qu’il avait bien demandé que l’on n’utilise pas son portrait, qu’il ne veut pas être là. Il est immédiatement appréhendé par les sbires, qui le tabassent à mort. Alors que son cadavre gît là, sur scène, sa voix, en off, remonte le temps, dévidant d’histoire en histoire la mémoire des relations sanglantes qui lient la France et l’Algérie. Le passé et le présent se mélangent. «J’ai été noyé dans la Seine, (...) réduit en cendre dans une centrale EDF (...) Je suis le cadavre qui parle. Je vois mon grand-père baignant dans son sang.» Sur scène, un homme en chemise blanche, attaché à une croix, est entouré de huit hommes habillés de costumes noirs. C’est le grand-père Lakhdar, jeune, lors d’une séance de torture. Il raconte, avec un débit calme, sur un ton froid, distancié. «Je suis Lakhdar, le grand-père. Ils ont pris ma place, dans ma demeure, et ont fait de moi leur serviteur. Je suis poussière. Ma terre n’est pas à vous. Mon ciel n’est pas à vous.» Pas de colère, juste un constat: «honte sur toi qui n’a pas voulu faire de moi ton frère.» Et d’entamer tous a cappella: «Ami entends-tu le chant des partisans de la libération française pendant la Seconde Guerre mondiale?»
De tableau en tableau, Ahmad Madani décline, sous différentes formes et en différentes temporalités, sur le mode revendicatif mais également humoristique, en texte et en chant, les histoires de ces hommes, d’hier et d’aujourd’hui. Et une constante revient : la violence avec laquelle ils sont traités et qui explique, à défaut de la légitimer, la violence avec laquelle ils réagissent.

Ahmad Madani à l’écriture et à la mise en scène
Après avoir été directeur du Centre dramatique de l’océan Indien (2003-2007), Ahmad Madani revient à sa compagnie, «Madani Compagnie», pour y développer ses activités. Il réalise une trentaine de spectacles, textes adaptés ou qu’il écrit.
Illuminations, ce sont les flashs de mémoire, «on se retrouve tous dans les illuminations d’un jeune homme mort, explique Ahmad Madani. Ces jeunes que l’on nous présente comme la partie sombre, menaçante de la société, ce sont des étoiles et j’ai voulu les faire briller.» Mais ce titre est aussi une référence à Rimbaud, «qui a connu sa période de grande créativité entre 16 et 20 ans», l’âge des jeunes qui sont aujourd’hui sur scène.
Ahmad Madani a choisi de travailler avec des comédiens non professionnels, «car cette histoire leur appartient, c’était important qu’elle soit portée par ceux qui l’ont vécue», souligne-t-il. Et c’est dans le quartier du Val Fourré de Mantes-la-Jolie (région parisienne), où sa famille s’est installée en 1959, que Madani décide de mener ce travail de mémoire. «L’histoire de ces jeunes est directement liée à la mienne. C’est une jeunesse trouble-fête, mise à l’écart par la société. Il était important que toute ma démarche se fasse dans ces territoires» qui sont aujourd’hui des sortes de territoires de non-droit.
À travers ce travail, Madani a voulu reconnecter ces jeunes à l’histoire qui les lie à la France, mais aussi donner à voir et à écouter «comment ces jeunes sont à l’intérieur, quelles douleurs les traversent, quelles histoires les ont fascinés?» note-t-il dans le dossier de présentation.
Cette découverte à laquelle il convie le spectateur est plus que réussie. Elle touche à la mémoire, celle dont la (re)connaissance peut apporter la paix et permettre aux jeunes générations de se construire en harmonie avec la société dans laquelle elles vivent.
Porté par 9 jeunes hommes énergiques et bien à leur place, tous issus du Val Fourré, quartier «chaud» de la banlieue parisienne, ce récit-choral fort invite le spectateur à passer, le temps d’une représentation, de l’autre côté du miroir, à écouter pour mieux comprendre ces vies. La vidéo qui défile en fond de scène est signée Nicolas Clauss. Elle apporte un champ...

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