Deux lectures contradictoires sont faites après la bataille de Abra et la disparition – jusqu’à nouvel ordre – de cheikh Ahmad el-Assir.
La première prévoit une recrudescence des actes de violence et peut-être même un embrasement généralisé au Liban, l’opération militaire qui a mis fin au mouvement de cheikh Assir ayant exacerbé les tensions confessionnelles, et la seconde, au contraire, estime que l’opération militaire de Abra a porté un coup au projet de discorde confessionnelle, l’armée libanaise ayant réussi à s’interposer entre le cheikh et ses hommes, d’un côté, et le Hezbollah et les Brigades de la résistance, de l’autre.
Ce qui ressort toutefois des deux lectures, c’est que les événements de Abra sont suffisamment importants pour marquer la suite des développements au Liban.
Le « phénomène Assir » n’est donc pas un accident de parcours, ni la réaction de la rue sunnite à Saïda aux armes du Hezbollah. La bataille menée contre l’armée libanaise pendant près de 48 heures et le nombre relativement élevé de martyrs, les armes utilisées et les combattants, dont une grande partie sont syriens et palestiniens, engagés dans les affrontements, ainsi surtout que les dépôts trouvés et les tunnels souterrains découverts dans le complexe occupé par le cheikh salafiste et ses hommes, montrent qu’il s’agissait bien d’un projet global de discorde confessionnelle entre les sunnites et les chiites à partir de Saïda, portière du Sud et voie de passage obligée pour les combattants du Hezbollah, mais aussi pour son assise populaire et ses partisans.
Ce projet qui, selon des sources militaires, se préparait depuis plus d’un an, les préparatifs et les installations, ainsi que la nature des armes trouvées, notamment les charges explosives, étant des indices concluants à ce sujet. Il bénéficierait aussi de l’appui plus ou moins déclaré de nombreuses parties locales, arabes et régionales, notamment l’opposition syrienne et ceux qui la soutiennent. Les deux lectures sont d’accord sur ces éléments. Mais c’est sur la suite qu’elles divergent.
Pour la première, soutenue par certains milieux diplomatiques européens qui confient leur inquiétude sur la possibilité d’un embrassement généralisé au Liban surtout à cause de l’intervention du Hezbollah en Syrie, l’opération de l’armée contre le fief de cheikh Assir a radicalisé encore plus la rue sunnite et va pousser celle-ci à réagir encore plus violemment. Même au sein du courant du Futur, considéré comme la formation modérée des sunnites, certaines figures adoptent un ton désormais bien plus agressif, notamment à l’égard de l’armée, et poussent vers des protestations populaires plus musclées pour exiger des concessions de la part du Hezbollah et le retrait de ses hommes de Syrie. Même la remise par ce dernier des appartements qu’il occupait à Abra face au fief de cheikh Assir à l’armée libanaise (le dignitaire salafiste avait exigé l’évacuation de ces appartements et le courant du Futur a repris à son compte cette revendication) n’a pas été jugée suffisante par le courant du Futur qui veut désormais la dissolution des « Brigades de la résistance » – ces unités formées de volontaires non chiites enrôlés dans la résistance et qui comptent beaucoup de partisans sunnites à Saïda –, le retrait des combattants de Syrie et la remise à la justice de ceux qui auraient tiré contre la villa de Bahia Hariri à Majdelyoun. Selon cette lecture, le coup de force contre Ahmad el-Assir a donc aiguisé les haines confessionnelles et cette tension qui est en train d’atteindre son apogée ne peut que se traduire par des actes de violence sur le terrain, face à un affaiblissement de toutes les institutions de l’État – dont l’armée libanaise – et à la présence massive de déplacés syriens au Liban, qui constitue une bombe à retardement.
La seconde lecture, quant à elle, estime au contraire que le coup de force de l’armée contre le fief du cheikh salafiste a porté un coup dur au projet de déstabilisation du Liban, voulu par certaines parties locales et arabes pour frapper le Hezbollah et l’entraîner dans un conflit interne. Même si le projet n’est pas totalement neutralisé, selon cette lecture, il lui faudra du temps pour se reconstituer, trouver une autre figure de proue et un autre lieu de confrontation. Tripoli, malgré son bouillonnement permanent et la colère des islamistes après l’opération militaire à Abra, ne constitue pas vraiment une menace pour le Hezbollah et a peu de chances de l’entraîner dans un conflit interne, les chiites étant pratiquement absents du Nord, alors que Ersal ne peut bouger que si, de l’autre côté de la frontière, l’opposition syrienne contrôle la région. Certes, les incidents se multiplient à Beyrouth, entre Tarik Jdidé, Sabra et Chatila, d’un côté, et la banlieue sud, de l’autre, mais on ne peut pas encore envisager un embrasement généralisé à partir de ce secteur. De plus, selon cette lecture, le Hezbollah est parfaitement conscient du piège qu’on voudrait lui tendre et il évite de répondre aux provocations. Or, sans sa participation, il ne peut y avoir de grande confrontation.
Toutefois, ce qui attire l’attention des observateurs, c’est l’inconnue chrétienne. Les deux lectures se posent ainsi des questions sur l’existence d’une volonté d’entraîner les chrétiens dans la confrontation entre les sunnites et les chiites. Il y a eu d’abord une tentative dans la Montagne druze, avec l’envoi de deux roquettes sur la banlieue sud. Mais les leaders druzes, Walid Joumblatt en tête, ont rapidement réagi pour fermer la voie à toute tentative de déstabilisation dans cette région. Il y a eu alors la découverte de deux rampes de missiles à Ballouné, puis deux charges explosives posées à l’entrée de Zahlé et enfin les propos de l’ancien directeur général des FSI Achraf Rifi accusant Zghorta de fournir des armes à Jabal Mohsen. Les régions chrétiennes pourraient-elles servir de détonateur ? La probabilité reste faible, mais la vigilance est de mise.
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Le coup de force de l’armée contre le fief du cheikh salafiste a porté un coup dur au projet de déstabilisation du Liban est la vraie version courage pour l’armée unique planche de salut . Antoine Sabbagha
17 h 17, le 02 juillet 2013