Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, a affirmé hier que ce qui s’est passé dimanche à Saïda serait l’un des résultats des décisions prises la veille par la conférence des Amis de la Syrie réunie à Doha, et notamment celle d’armer l’opposition syrienne. M. Moallem voulait ainsi suggérer que l’agression commise par les hommes de cheikh Ahmad el-Assir, allié des rebelles syriens, contre l’armée libanaise, était le fruit de l’encouragement qu’a dû représenter pour lui cette décision des Amis de la Syrie.
Ce que le chef de la diplomatie du régime syrien a omis de signaler, cependant, c’est que les Amis en question avaient clairement signifié à l’opposition syrienne qu’elle ne devrait pas trop compter sur leur prodigalité avant de s’être désolidarisée dans les faits de ses composantes extrémistes, en particulier le Front al-Nosra. C’est précisément ce front-là que le Hezbollah était parti éradiquer à Qousseir, le mois dernier, et c’est un groupe allié de ce front, celui d’Ahmad el-Assir, que l’armée libanaise s’est employée à extirper au cours des deux jours de la ville de Saïda et de ses environs.
Il ne fallait pas plus que cette quasi-concomitance pour amener des sources libanaises, plutôt proches des milieux centristes du pouvoir, à avancer l’hypothèse d’une volonté conjointe du régime syrien et du Hezbollah d’en finir avec le phénomène Assir, mais de façon indirecte.
(Portrait : Ahmad el-Assir, l'imam radical devenu l'ennemi de l'armée libanaise)
Le dignitaire salafiste sunnite représentait-il donc une aussi sérieuse menace pour que l’axe irano-syrien accorde une telle importance à sa chute ? Les éléments manquent pour une réponse satisfaisante à cette question. D’un côté, et malgré tous ses efforts et sa surenchère, force est de reconnaître que son audience auprès de l’opinion sunnite était restée grosso modo assez faible depuis l’éclosion de son mouvement. De ce point de vue, le phénomène Assir tenait certainement davantage du ballon de baudruche que de la boule de neige.
Mais de l’autre côté, il est vrai, cheikh el-Assir multipliait ces derniers temps les avertissements autour de la question des appartements occupés par les « brigades de la résistance » en face de « sa » mosquée à Abra, dans la banlieue de Saïda. Les « Assiriens » menaçaient d’agir par eux-mêmes contre les occupants de ces appartements si les autorités libanaises ne réglaient pas le problème. Il y avait donc clairement un risque de confrontation directe sunnito-chiite et c’est ce risque que le Hezbollah aura voulu écarter en s’en remettant à l’armée libanaise.
Cette analyse n’explique pas, pour autant, les raisons qui ont poussé les partisans du dignitaire salafiste à commettre l’erreur fatale consistant à agresser les soldats de l’armée. Car cette erreur semble bien avoir été commise, les sources citées plus haut allant jusqu’à se montrer sceptiques quant à l’option d’une « cinquième colonne » qui aurait ouvert le feu sur les militaires.
Quoi qu’il en soit, s’il est un résultat absolument certain, moins de quarante-huit heures après l’engagement des hostilités, c’est que le phénomène Assir appartient désormais au passé. Mais pour ce qui est du sort du personnage lui-même, on est dans le cirage total. Au point où une source a parlé d’un nouveau Chaker el-Absi, le fameux chef du Fateh el-Islam, dont la disparition, après la bataille de Nahr el-Bared en 2007, fut aussi mystérieuse que son entrée dans le pays quelques mois plus tôt.
Certaines informations faisaient état hier soir d’un passage de cheikh el-Assir en Syrie, chez les rebelles, bien sûr. Mais on restait dans l’ensemble sceptique à ce sujet. Il serait plutôt au camp palestinien de Aïn el-Héloué, chez ses alliés salafistes de Jundallah, dit-on, ou bien caché par d’autres amis à Saïda même ou ailleurs.
(Pour mémoire : Ils habitent à Saïda, ils témoignent)
Mais si le phénomène Assir est bel et bien terminé, les interrogations sont nombreuses sur les suites qui seront données à cet événement. Va-t-on s’arrêter là ou bien s’attaquera-t-on à d’autres sources d’illégalité et d’insécurité dans le pays, à commencer d’ailleurs par ces fameux appartements des « brigades de la résistance » ? Ces derniers ne montrent-ils pas, somme toute, que c’est en se confrontant à des situations créées par le Hezbollah qu’on peut devenir dangereux pour la paix civile ? En d’autres termes, n’est-ce pas le péril initial représenté par le statut particulier du Hezb qui est la source des autres périls ?
Ce constat est, naturellement, au cœur des commentaires des composantes du 14 Mars, pourtant tout aussi unanimes que les réactions en provenance du 8 Mars à soutenir l’action de l’armée à la suite de l’insupportable agression subie, du « défi à l’État de droit », selon les termes du représentant de l’ONU, Derek Plumbly.
Un commentaire se distingue de tous les autres : c’est celui du chef du CPL, le général Michel Aoun. Sous ses louanges aux soldats, on y décèle des attaques implicites, mais néanmoins claires, à l’adresse du commandement de l’armée, du président de la République, du ministre de l’Intérieur et d’autres « responsables de la sécurité ». Le général Aoun a décidément toujours fort à faire avec ceux qu’il assimile à la concurrence.
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SI LES CHOSES CONTINUENT LEUR TRAIN, CAD DES UNS QUI SE SENTENT INTOUCHABLES ET IMPUNIS ET D'AUTRES PUNISSABLES À LA MOINDRE... DES ASSIR... ON EN VERRA SURGIR DES MULTITUDES...
18 h 01, le 25 juin 2013