Depuis l’apparition du « phénomène cheikh el-Assir », tout le monde savait (sans toujours l’admettre) que son projet devait finir dans le sang. D’ailleurs, le cheikh qui maniait avec habileté l’art de la communication au point de devenir presque une « star des médias » ne cachait pas son intention d’en découdre avec le Hezbollah et « l’armée qui lui est inféodée », selon ses propres termes. Avec beaucoup de laxisme, les autorités préféraient ne pas le prendre ouvertement au sérieux, minimisant son importance et cherchant à traiter son cas avec une sorte de condescendance amusée.
L’armée, elle, ne cessait pourtant de tirer la sonnette d’alarme sur le danger que représentaient ce cheikh et son discours haineux, incitateur à la discorde. Une source militaire rappelle comment, depuis le début, l’armée a pris au sérieux le projet de cheikh el-Assir, alors qu’aussi bien certains responsables que certaines figures politiques préféraient estimer qu’il ne représentait aucun danger. L’armée a donc suivi de près son parcours et ses tentatives de recrutement de jeunes à Saïda, surtout lorsqu’il a commencé à recevoir un financement de l’étranger. Lorsqu’il a vu que ses thèses n’étaient pas très populaires à Saïda, notamment après le sit-in qu’il a effectué pendant plusieurs semaines et qui a paralysé la vie économique de la ville, cheikh el-Assir a commencé à tâter du côté des Palestiniens, notamment grâce à Abdel Rahmane Chmandour, le frère de Fadel Chaker et le chef de Jund el-Cham dans le camp de Aïn el-Héloué (Chmandour a été tué au cours des combats d’hier). Là aussi, il n’a pas eu beaucoup de succès, la grande majorité des organisations palestiniennes préférant rester à l’écart des conflits internes libanais. Cheikh el-Assir s’est alors rabattu sur les déplacés syriens qui affluent en masse au Liban, au point que, selon la source militaire précitée, plus de 80 % de ceux qui combattent à ses côtés sont syriens. Ayant reçu des armes et des fonds, il a donc réussi à former un groupe de quelques 500 combattants et il attendait l’heure de passer à l’acte. La source militaire fait le lien entre l’annonce de « décisions secrètes » prises par les « Amis de la Syrie » réunis à Doha pendant le week-end et la soudaine attaque contre l’armée dimanche à Saïda. Il fallait probablement agir après le renversement du rapport des forces sur le terrain en Syrie en faveur des forces du régime, surtout après le coup de main donné par le Hezbollah à l’armée régulière syrienne.
(Portrait : Ahmad el-Assir, l'imam radical devenu l'ennemi de l'armée libanaise)
Le plan consistait donc à discréditer l’armée, qui ne serait plus en mesure de réagir de façon décisive, un peu comme ce fut le cas à Ersal. Une fois l’armée neutralisée, cheikh el-Assir voulait fermer la route du Sud face aux partisans du Hezbollah, et aux chiites en général, pour affaiblir le parti de Dieu, sachant que de telles mesures lui font mal aussi bien sur le plan logistique que sur le plan populaire, alors que Tripoli et Beyrouth pourraient se joindre au mouvement. Démembrer les institutions de l’État et en particulier l’armée qui reste une force cohérente en dépit de toutes les attaques dont elle a fait l’objet au cours de ces deux dernières années, pour ensuite ouvrir la voie à une discorde entre les sunnites et les chiites qui a pour objectif d’isoler et d’affaiblir le Hezbollah, tel est le projet de cheikh el-Assir. Il n’est pas aussi farfelu qu’il peut le paraître, surtout quand on voit la tension sur le terrain entre les sunnites et les chiites, ainsi que la multiplication des incidents et des frictions du Nord à la Békaa en passant par Beyrouth et le Sud.
D’ailleurs Saïda et la région qui l’entoure était le seul lieu où l’étincelle de la discorde pouvait être lancée, Ersal étant désormais quasiment encerclée depuis la victoire de l’armée syrienne à Qousseir, alors que le Nord n’abrite pas de fiefs chiites.
Cheikh el-Assir a donc fixé l’heure H et, selon certaines informations, Chmandour faisait partie de ceux qui ont attaqué le barrage de l’armée, déclenchant une riposte ferme de la part de la troupe. C’est d’ailleurs là que le plan si sérieusement mis au point a connu son premier couac, les combattants d’el-Assir ne s’attendaient pas à une telle riposte de la part de l’armée, confiant dans le fait que celle-ci n’obtiendrait pas un feu vert politique pour agir, en raison de supposées divisions internes. Il a ainsi sous-estimé la colère de l’armée qui ne veut pas rééditer l’expérience de Ersal et se faire attaquer, sans pouvoir réagir, d’autant que si elle laisse faire le cheikh, la suite logique des événements, c’est une nouvelle guerre civile. En tant que garante de la paix civile, l’armée a donc réagi avec fermeté et en dépit du nombre élevé de ses martyrs, elle a déjoué un vaste plan visant à déstabiliser le pays. Elle a aussi montré qu’en dépit de leurs armes et de leurs salaires élevés et d’une tactique soigneusement étudiée en coordination avec d’autres groupes dans d’autres régions, les miliciens d’el-Assir ne sont pas en mesure de lui faire face. Certains d’entre eux sont morts, d’autres se sont enfuis et près d’une soixantaine se sont rendus à l’armée. Il n’a donc pas fallu plus de 48 heures à cette dernière pour mettre un terme aux projets de discorde de cheikh Ahmad el-Assir. En même temps, par son action, elle a contraint les parties politiques qui avaient depuis le début adopté une attitude ambiguë à l’égard du phénomène al-Assir à prendre clairement position avec ou contre la paix civile.
Selon la source militaire précitée, ce qui s’est passé à Saïda n’est donc pas un incident banal, mais la mise en échec d’un plan de discorde qui aurait plongé le Liban dans des affrontements sanglants incontrôlables à cause de l’effondrement des institutions de l’État. Le démantèlement total du « périmètre sécuritaire » installé par cheikh el-Assir et la débandade rapide de ses troupes devrait servir de leçon à ceux qui croient encore à la possibilité d’allumer des feux un peu partout au Liban. L’armée veille et le Hezbollah reste en retrait, soucieux de ne pas répondre aux provocations. Certaines sources politiques vont même jusqu’à affirmer que les États-Unis sont favorables à l’action de l’armée ayant affirmé à plusieurs reprises qu’ils ne souhaitent pas une déstabilisation du Liban.
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La parenthèse Assir se referme...
Evviva!! Notre armée, nous l'appelons Watan (nation). C'est la seule fois où ce mot revêt son vrai sens au Pays-Patrie, au pays du cèdre... au Pays d'Alice comme disait un ami qui n'écrit plus dans ce forum et qui se reconnaitra ;o)
02 h 04, le 26 juin 2013