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Un monde de solutions - Inde

Quand le téléphone mobile fait circuler l'argent

En Inde, une start-up a créé « des banques virtuelles » pour faciliter le transfert d’argent par les travailleurs migrants.

En Inde, une échoppe proposant les services de la start-up EKO India Financial Services

Il est encore tôt dans cette petite rue agitée et poussiéreuse, mais la boutique de téléphonie mobile de Jitender Goyal est déjà remplie de clients. Serrant dans sa main une liasse de roupies froissées, Mohammed Sami Alam, conducteur de rickshaw, se faufile à travers la masse compacte jusqu'au comptoir. Mohammed n'est pas là pour faire des achats. Comme tous ceux qui attendent leur tour, c'est un travailleur migrant venu envoyer de l'argent à sa famille depuis cette boutique de quartier qui, ces quatre dernières années, a déployé en parallèle la fonction de banque virtuelle.

 

Mohamed tend sa carte d'identité, les 2 100 roupies (37 dollars) qu'il souhaite déposer, et le numéro d'un compte en banque enregistré dans son téléphone portable. Le commerçant vérifie la pièce d'identité, encaisse la somme et tape d'une main expérimentée les coordonnées du compte bancaire sur un mobile spécial, relié à la banque partenaire du magasin, State Bank of India. Quelques minutes plus tard, Mohammed reçoit un sms l'informant que le dépôt a bien été effectué.

 

Cela fait trois mois que Mohammed fréquente le magasin de Goyal pour envoyer de l'argent à sa mère, agricultrice dans l'Etat du Bihar, au Nord du pays. « Je travaille à Delhi depuis 16 ans, et auparavant, je confiais toujours l'argent à un coursier », explique-t-il. « Mais c'est cher, ils prennent 5% [de commission, ndlt] et la transaction peut prendre jusqu'à dix jours. »

 

Dans le magasin de Goyal, le virement est instantané. « Et ils ne prélèvent qu’1%, ajoute Mohammed. Ma mère récupère l'argent à la banque, à un kilomètre de chez elle. »

 

 

D'ici 2014, 97% de la population possèdera un téléphone mobile

La boutique de Goyal est l'une de ces 1200 banques virtuelles – ou points de service clientèle – en Inde, gérées par la start-up EKO India Financial Services.

 

EKO est née en 2007 de l'initiative de deux frères, Abhishek et Abhinav Sharma. Les deux entrepreneurs ont saisi le potentiel que recelait ce public représentant près de la moitié d'une population d'1,2 milliards d'individus au total, qui ne possède pas de compte en banque mais qui, pour la plupart, est dotée d'un téléphone mobile.

 

Une grande partie de la population indienne vit dans des régions rurales, loin d'une agence bancaire ou d'un distributeur automatique. D'autres encore, du fait de la pauvreté et de l'illettrisme, rencontrent des difficultés à gérer les formalités nécessaires à l'ouverture d'un compte en banque.

 

Malgré cela, chaque mois, des millions d'Indiens souscrivent à des abonnements téléphoniques. Les statistiques sont stupéfiantes : selon la société d'étude de marché iSupply, d'ici à 2014, 97% de la population du pays sera détentrice d'un téléphone mobile.

 

Les frères Sharma se sont inspirés de projets semblables déjà en place dans des pays comme le Kenya ou les Philippines. Ils ont donc adapté la technologie utilisée dans le rechargement de comptes de téléphonie mobile par cartes prépayées pour mettre au point leur propre logiciel bancaire.

 

« Lorsqu'il souhaite recharger son crédit téléphonique, le client se rend au point de vente le plus proche, paie 500 roupies, et reçoit un sms lui indiquant que le compte a été crédité de la somme, explique Abhinav Sharma lors d'une interview au siège d'EKO, près de Delhi. D'une certaine façon, il s'agit d'un dépôt sur un compte prépayé ».

 

L'économie indienne a connu un véritable essor ces vingt dernières années, mais les banques ne se sont pas intéressées aux marchés ruraux modestes, négligeant des centaines de millions de citoyens « non bancarisés » et préférant se concentrer sur les citadins, plus solvables et constitutifs d'un marché plus lucratif.

 

Selon Mudita Tiwari, chercheuse au Centre de microfinance de Chennai, qui a étudié le modèle d'EKO, « les pauvres ont une forte volonté d'épargner et ont inventé des moyens innovants pour le faire chez eux. Il suffit donc de leur présenter les services et produits adéquats pour pouvoir les intégrer. »

 

 

 

 

 

Partenariat avec les trois principaux créanciers indiens

Les frères Sharma ont commencé par une offre de services financiers à la population, extrêmement nombreuse, des travailleurs migrants de New Delhi, à savoir 4 millions d'individus sur une population totale de 18 millions. La plupart occupe des emplois faiblement rémunérés et envoie son épargne à sa famille via des amis ou des proches, ou par de coûteux coursiers.

 

Le grand défi suivant a consisté à convaincre les banques traditionnelles de conclure un partenariat avec eux. « Ce fut difficile, confie Sharma. Nous tentions de mettre en œuvre quelque chose de nouveau en Inde, à savoir des services financiers accessibles à partir d'un téléphone portable tout simple, et non un Blackberry sophistiqué. »

 

Aujourd'hui, les deux frères ont signé un partenariat avec les trois principaux créanciers indiens, State Bank of India, ICICI et Yes Bank.

 

L'étape suivante visait à entrer en contact avec les petits commerçants des quartiers à forte population de travailleurs migrants. Les deux entrepreneurs ont pu constater qu'il s'agissait souvent de membres respectés de la communauté, et qu'ils seraient en mesure d'expliquer le fonctionnement d'EKO à leurs clients.

 

Dans son magasin de Delhi Sud, Goyal nous confie qu'il jouit du prestige d'être associé à la plus grande banque publique du pays, State Bank of India. C'est également avantageux car il touche un petit pourcentage sur chaque transaction, et il a vu sa clientèle augmenter.

 

« Lorsque je ne vendais que des téléphones, je recevais 60 à 70 clients par jour », estime-t-il. « A présent, j'en vois passer plus d'une centaine. » En moyenne, il traite environ 500 000 roupies (8 862 dollars) par jour en envois de fonds EKO.

 

 

 

 

 

Trois millions d’usagers

Cinq ans après son lancement, EKO compte trois millions d'usagers, principalement à Delhi, Mumbai, et dans les Etats du Bihar et de l'Uttar Pradesh. La société gère environ 1,5 million de dollars par jour. La plupart des clients continue à recourir à ce service uniquement pour effectuer des envois de fonds, mais près d'une personne sur cinq est allée plus loin, ouvrant un compte en banque et utilisant son téléphone portable pour effectuer des dépôts.

 

Les dirigeants d'EKO ont maintenant le projet d'ouvrir de telles banques virtuelles dans l'ensemble des grandes villes d'Inde. Ils envisagent d'étendre leur réseau aux zones rurales afin que les destinataires des sommes d'argent puissent aller les chercher dans leur propre magasin de quartier. Ils vont jusqu'à imaginer de créer d'autres services, tels que des produits d'assurance, qui pour le moment ne sont pas aisément accessibles aux personnes modestes.

 

Grâce à leur réussite, les frères Sharma sont considérés comme des modèles d'innovation sociale. Bill Gates leur avait rendu visite dans leurs bureaux il y a quelques années.

 

« Un tel projet est une fantastique opportunité, estime Abhinav. Cela offre une plus grande liberté aux gens, et nous remplit de satisfaction chaque fois qu'un client vient nous voir au bureau pour nous dire qu'il est content de ce service et nous en remercie. »

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

 

Il est encore tôt dans cette petite rue agitée et poussiéreuse, mais la boutique de téléphonie mobile de Jitender Goyal est déjà remplie de clients. Serrant dans sa main une liasse de roupies froissées, Mohammed Sami Alam, conducteur de rickshaw, se faufile à travers la masse compacte jusqu'au comptoir. Mohammed n'est pas là pour faire des achats. Comme tous ceux qui...

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