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À La Une - Rencontre

Marwan Charbel : Pas d’élections sans entente sur une loi

Celui qui veut comprendre ce qui se passe au Liban doit écouter le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel. Mettant en avant sa carrière militaire, il affiche son indépendance politique qui lui permet de s’exprimer avec clarté, sans les sous-entendus si chers aux politiciens. Se voulant impulsif, le ministre sait pourtant exactement ce qu’il dit et guette ensuite les réactions. Il joint sa voix à celle des citoyens pour critiquer la politique et s’exprime avec une franchise à laquelle les Libanais sont peu habitués.

Le ministre démissionnaire de l'Intérieur, Marwan Charbel.

Marwan Charbel a donc décidé de se rendre à l’ordre des rédacteurs pour une conversation à bâtons rompus avec les journalistes. Mais ceux-ci ont été largement servis, tant chaque phrase du ministre pouvait servir de sujet de méditation.


Commençons par les élections. Marwan Charbel explique ainsi qu’il y a quatre possibilités : si les différentes parties se mettent demain d’accord sur la loi de 1960, même amendée, son ministère peut organiser les élections à la date prévue, le 16 juin. Si ces parties se mettent d’accord sur un scrutin proportionnel (qu’il s’agisse du projet orthodoxe ou de celui du gouvernement ou de tout autre formule), il faudra compter quatre mois à partir de la date de l’adoption de la loi. Si les mêmes parties se mettent d’accord sur un projet hybride (mixte), il faudra compter au mois six mois à partir de la date de l’adoption de la loi. Car ces changements exigent des préparations, non seulement au niveau du ministère, mais aussi à celui des candidats et des électeurs. Le quatrième scénario est celui où les protagonistes ne parviennent pas à s’entendre et dans ce cas, il n’y aura pas d’élection, même si cela doit prendre 35 ans...


Charbel ajoute encore que deux éléments sont indispensables à la tenue des élections, la loi électorale et la stabilité sécuritaire. Il va même plus loin, expliquant que si la loi électorale est adoptée à l’unanimité, la situation sécuritaire devrait être satisfaisante. Mais moins il y aura d’accord, plus la situation de la sécurité laissera à désirer. C’est pourquoi il estime qu’en l’absence d’un accord entre les parties, il est impossible d’organiser les élections sur la base de la loi actuellement en vigueur, qui est refusée par une partie de la classe politique. Il précise aussi qu’il avait senti que ces parties n’étaient pas disposées à s’entendre au moment où il préparait le projet adopté par le gouvernement. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il avait déclaré il y a huit mois au cours du congrès d’Interpol qui s’était tenu en Italie qu’il ne croyait pas que les élections auraient lieu à la date prévue. À l’époque, ces propos avaient provoqué un tollé. « Mais aujourd’hui, on y arrive... », dit-il. Il ajoute que les ambassadeurs qui lui rendent visite lui affirment tous qu’entre organiser les élections et préserver la stabilité, la priorité est, à leurs yeux, à la stabilité.

L’expérience du passé
Marwan Charbel a la même analyse concernant la formation du gouvernement. S’il y a une entente, il sera formé rapidement, sinon, les choses vont traîner. Le ministre rappelle toutefois que l’expérience du passé montre que les Libanais n’ont besoin de personne pour se disputer et additionner les conflits, alors qu’ils ont besoin de l’extérieur pour s’entendre. L’accord est alors préparé en dehors de leur volonté et il ne leur reste qu’à signer, souvent à contrecœur. M. Charbel insiste encore : « Il faut que tout le monde se mette en tête qu’au Liban, rien ne peut se faire sans une entente entre les différentes parties. »


Interrogé sur le sort des pèlerins enlevés à Aazaz, le ministre de l’Intérieur est d’une franchise désarmante. Il explique ainsi qu’à travers ses quatre voyages en Turquie et les différents contacts qu’il a établis à ce sujet, il lui est apparu que trois gros dossiers entravent la libération des pèlerins. Il y avait d’abord le problème du gouvernement : comment libérer les otages et en donner le crédit au gouvernement Mikati. Il y a eu ensuite l’assassinat du général Wissam el-Hassan qui bien qu’étant un officier exemplaire était considéré comme affilié à un camp politique précis qui a aussitôt accusé le régime syrien de l’attentat et enfin, l’aide fournie par le Hezbollah à une partie en Syrie contre l’autre. Le ministre raconte aussi que tout au début, lorsque la décision de les libérer avait été prise, les ravisseurs ont changé d’avis lorsqu’ils ont vu l’État libanais presque tout entier se déplacer à l’aéroport pour les accueillir... Il tient toutefois à préciser que l’ancien Premier ministre Saad Hariri continue à déployer des efforts pour obtenir leur libération, dans un souci de faire baisser la tension entre les communautés chiite et sunnite. Selon lui, M. Hariri a même été à un moment donné jusqu’à se déclarer prêt à payer une rançon en contrepartie de leur libération.

 

(Pour mémoire : Adham Zgheib, fils d'un pèlerin libanais enlevé en Syrie : "Onze mois, ça suffit!")

Les déplacés syriens
Le ministre de l’Intérieur parle encore du problème des déplacés syriens au Liban. Selon lui, les chiffres des Syriens présents au Liban ne sont pas précis, même si ceux-ci sont divisés en trois parties : il y a ceux qui ont les moyens de vivre et qui ont pris des appartements, ceux qui travaillent au Liban mais qui ont décidé désormais d’envoyer chercher leurs familles et les déplacés à proprement parler qui posent un véritable problème sur le plan social, médical, économique et sécuritaire. Marwan Charbel déclare ainsi que dans le Akkar et la Békaa-Ouest, la main-d’œuvre libanaise se retrouve au chômage face à l’afflux des Syriens, sans parler des problèmes que cela pose au niveau de la consommation d’électricité, de pain (la farine est soutenue par l’État mais il y a désormais près d’un million en plus de bouches à nourrir). Selon le ministre de l’Intérieur, en plus de tous ces problèmes, il y a celui du recensement et c’est pour cela qu’il avait réclamé en Conseil des ministres le 15 juin 2011 la construction de camps pour ces déplacés. Certains ministres avaient alors protesté ne voulant pas rééditer l’expérience avec les Palestiniens, venus « provisoirement » en 1970 et d’autres croyaient que ce ne serait pas la peine. Selon Charbel, s’il n’y a pas un accord international sur l’avenir de la Syrie, il est fort probable qu’un nombre non négligeable de déplacés syriens restera au Liban... Il ajoute aussi que les deux camps au Liban utilisent tous les moyens possibles pour aider la partie qu’ils appuient en Syrie et certains utilisent même les déplacés et les enrôlent pour combattre au Liban et en Syrie... Ce qui, selon lui, augure de nombreux problèmes futurs.


Le ministre de l’Intérieur évoque ensuite sa réunion d’hier avec le président Michel Sleiman et précise que l’État est décidé à combattre les infractions immobilières. Il explique ainsi ce qui s’est passé dimanche à Beddaoui, ajoutant que les FSI ont fait leur travail en luttant contre ces infractions. Marwan Charbel critique au passage les médias qui se sont demandé ce que venait faire un chiite (au sein des FSI) à Beddaoui, en affirmant que les FSI ne réfléchissent pas ainsi. Il a tout simplement fallu former une équipe pour exécuter cette mission, sans songer à sa composition confessionnelle. Il est d’ailleurs inacceptable pour l’État et pour ses institutions sécuritaires de réfléchir ainsi. Le ministre rappelle encore que l’essentiel est de demander des comptes aux responsables, « malheureusement, au Liban, la politique gâche tout », dit-il. Il ajoute enfin qu’un comité de lutte contre la corruption a été formé il y a quatre mois. Il lui avait alors suggéré de commencer par son propre ministère, mais il en attend encore la visite...

 

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Marwan Charbel a donc décidé de se rendre à l’ordre des rédacteurs pour une conversation à bâtons rompus avec les journalistes. Mais ceux-ci ont été largement servis, tant chaque phrase du ministre pouvait servir de sujet de méditation.
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