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II- La peine de mort : des familles de victimes et un condamné témoignent

Le juge a-t-il le droit « d’avoir une conscience » ?

« Prétendre appliquer la loi n’est en aucun cas prétexte pour éviter la crise de conscience. Le juge peut avoir recours à son droit d’abdication », affirme le juge Sami Aoun.

Au quotidien, les magistrats sont confrontés à des situations qui les conduisent à des décisions complexes. C’est leur profession, dira-t-on. Mais ce n’est jamais simple.
« Juger, ce n’est pas simplement dire le droit, mais c’est aussi décider », relève le magistrat Sami Aoun, ancien président à la première chambre de la Cour de cassation. Un exercice d’autant plus difficile que les décisions du juge peuvent être lourdes de conséquences.
Une question s’impose : le devoir du juge d’appliquer la loi est-il un justificatif pour effacer sa responsabilité morale face à une condamnation à mort ? Le juge a-t-il le droit d’avoir une conscience ? Dans un système de légalité stricte, où le magistrat ne fait pas la loi mais la dit, sa seule obligation professionnelle n’est-elle pas d’appliquer le texte à la lettre, sans s’interroger sur « la légitimité morale » ?
« Le juge est l’arbitre qui représente le pouvoir, à égale distance des parties dans le conflit, et rend son jugement au nom du peuple, affirme le magistrat Sami Aoun. La loi est là pour faire régner la paix. Le juge en est “le gardien” et veille à son application. Le conflit fréquent entre l’équité et la loi pose un véritable dilemme au juge. Dans la confusion intellectuelle, philosophique et éthique que suscite le débat entre partisans et adversaires de la peine de mort, une place significative est réservée à la morale, à la conscience. »
« Il y a un moment, note M. Aoun, où le simple fait d’appliquer la loi, et donc d’exercer sa fonction, rend le juge complice d’actes moralement répréhensibles, dont il n’est pas convaincu. Bien qu’elle soit prévue par la loi pour certains crimes, la condamnation à mort est un châtiment qui enfreint le droit à la vie. Mais nul ne peut se substituer au Créateur et priver autrui de ce droit. La condamnation à mort est un crime commis au nom de la justice, incompatible avec la dignité humaine. » Et d’ajouter : « Jusqu’à quand faudra-t-il continuer à appliquer la loi, quels que soient le jugement et les convictions personnelles ? Le juge, qui est aussi un citoyen, ne peut pas toujours observer cette ligne de conduite. Il tentera alors d’interpréter la loi de façon à en atténuer la portée, ou à la vider de son contenu. Ce qui revient à se renier comme juriste et comme juge. Face à ce dilemme “embarrassant”, le juge a la possibilité de recourir à son droit d’abdication, prévu par les codes de procédure, afin de se décharger de l’affaire et de demander à se faire remplacer. Prétendre appliquer la loi n’est en aucun cas un prétexte pour éviter la crise de conscience : ni la force de la loi ni la voix du peuple ne pourront un jour effacer le poids du remords et de la culpabilité. »
Au quotidien, les magistrats sont confrontés à des situations qui les conduisent à des décisions complexes. C’est leur profession, dira-t-on. Mais ce n’est jamais simple.« Juger, ce n’est pas simplement dire le droit, mais c’est aussi décider », relève le magistrat Sami Aoun, ancien président à la première chambre de la Cour de cassation. Un exercice d’autant...