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À La Une - L'Orient Littéraire

Quelle loi électorale  ?

« L’élection est un choix. Ce choix doit être donné à l’électeur, et uniquement à lui. »

En cette période électorale, les propositions de lois s’enchevêtrent, les idées s’emmêlent et se brouillent. Comme il est souvent d’usage avec nos gouvernants, la loi électorale qui traduit l’exercice du pouvoir prôné par la Constitution se trouve, le dernier quart d’heure, malmenée tout autant que l’électeur libanais qui ne sait plus à quel saint se vouer.

 

Que demande-t-on à une loi électorale ? En premier, une bonne représentativité politique. C’est le but principal de tout code électoral. Mais aussi, simultanément, tout élu dont l’élection fut le résultat de la volonté réelle des électeurs se doit de les représenter au niveau national. L’article 27 de la Constitution stipule qu’un député représente l’ensemble de la nation. Ces deux conditions doivent être conjointement respectées pour affirmer que l’électorat libanais détient un code électoral qui valorise son vote et l’intègre dans la structure nationale. Par ailleurs, une loi électorale doit être conforme au texte et à l’esprit de la Constitution. Aussi, son application doit être bien comprise et assimilée par l’électorat afin de maximaliser les résultats de la consultation populaire.

 

Où en sommes-nous actuellement ? Il s’avère que les codes précédemment votés par les Parlements successifs étaient le résultat de compromissions politiciennes qui avaient surtout servi les intérêts personnels des courants et partis, leur permettant de mieux s’incruster sur la scène politique et d’y imposer leurs candidats, plutôt que de les soumettre à la volonté populaire.

 

Partant, quelles seraient les propositions de lois qu’il faudrait commencer par éviter ? Si l’on considère la proposition de loi dite du Rassemblement orthodoxe, on se doit de noter, en premier, qu’elle n’est pas conforme à la Constitution, et pour cause. Elle prône l’élection des représentants de chaque communauté exclusivement par ses membres électeurs. Par conséquent, elle serait surtout compatible avec l’instauration d’un fédéralisme communautaire, un système qu’il faudrait dès lors proposer clairement, sans ambiguïté, et le penser intelligemment afin qu’il soit édifié en un système viable, qui ne se résume pas à la négation de la diversité et du pluralisme libanais, qui demeurent la particularité et même l’essence du pays du Cèdre, érigé en message.

 

Cependant nous n’en sommes pas là et notre Constitution est bien claire. Le huitième alinéa de son introduction préconise l’annulation du confessionnalisme politique, après l’éradication du confessionnalisme tout court comme le précise l’article 95. Aussi, selon le neuvième alinéa, la ségrégation de la population sur base de son appartenance, quelle qu’elle soit, est interdite. Par conséquent, si l’on adopte la proposition orthodoxe, on contredit par le fait même la notion de citoyenneté, pour la remplacer par un communautarisme qui favorise le cloisonnement, à un moment crucial de notre histoire où il nous est demandé de désenclaver notre esprit communautaire, pour recomposer un régime digne du message dont nous sommes porteurs, ainsi que pour reconstituer une société qui est vouée à l’ouverture au risque de perdre sa raison d’être.

Ainsi la proposition orthodoxe, sous couvert de simple loi électorale, saperait les fondements du système politique sans avoir prévu, élaboré et instauré un système qui prendrait la relève.

Politiquement, l’acceptation de cette proposition mènerait à un terrain dangereux, où les élus auraient tendance à ne rendre compte qu’à leur communauté. Résultat : si, par exemple, le Hezbollah était plébiscité par sa communauté, ses armes le seraient en conséquence et les autres communautés, confinées dans leurs enclaves respectives, auraient du mal à se faire entendre, et vice versa. Élus par leur communauté, les députés seront enclins à servir exclusivement les fins de leur communauté. Et l’État volera en éclats…

Passons à la proposition de loi sur base du mode de scrutin proportionnel qui, assure-t-on, reflète une meilleure représentativité. Il faut préciser que le principe de la proportionnelle n’est pas, en soi, un mauvais principe. Il peut être applicable aux sociétés « horizontales », laïques. Mais il s’agit de savoir si son application aux élections libanaises produirait de bons résultats, en termes de représentativité.

Pour commencer, il faudrait admettre que la mauvaise représentativité résulterait plus du découpage des circonscriptions électorales que du mode de scrutin. En effet, ce dont se plaint le citoyen libanais, c’est qu’on lui impose, dans chaque circonscription, deux listes principales qui monopolisent les taux de réussite électorale. Dans les moyennes et grandes circonscriptions que nous avons eues depuis 1992, se nouent et se dénouent de grandes alliances entre les courants politiques principaux qui finissent par imposer leurs candidats, dans une liste ou l’autre, sans réelle considération quant à l’évolution des temps qui deviennent plus exigeants en matière de compétences professionnelles.

 

Que ce soit le mode de scrutin majoritaire ou proportionnel qui gère les élections dans de telles circonscriptions, le résultat qui déterminera le paysage politique demeurera sensiblement le même, les mêmes courants politiques étant exclusivement représentés au Parlement, sans aucun espace pour des élus indépendants qui auraient le rôle de modérateurs au sein de la Chambre, tout en y apportant de nouvelles idées, de nouvelles perspectives ainsi que des résultats plus performants. Par ailleurs, tel que proposé dans le projet de loi gouvernemental et à défaut de pouvoir organiser le classement des candidats dans une même liste par les partis, vu leur prolifération et leurs antagonismes, on laisse le choix préférentiel aux électeurs, ce qui va déclencher une lutte intestine violente entre les colistiers.

 

Dès lors, quelle proposition de loi pourrait-on adopter ? Pour assurer aussi bien une bonne représentativité qu’une intégration de l’élu dans le cadre national, considérons l’une ou l’autre des options suivantes :

 

La circonscription uninominale, avec le mode de scrutin majoritaire à deux tours, qui permettra selon le nombre actuel des députés de découper le territoire libanais en 128 circonscriptions, avec un siège à pourvoir dans chacune. Ce découpage ne permettra plus aux grandes alliances de se former pour des intérêts électoraux et d’imposer leurs candidats indépendamment de l’intérêt que leur portent leurs électeurs. Par conséquent, la représentation des partis et courants ne sera plus surgonflée, ce qui permettra à des personnalités indépendantes d’avancer sur la scène politique si elles sont prêtes à fournir les efforts nécessaires. De plus, ces circonscriptions qui favoriseraient une politique de proximité obligeraient les courants et partis à présenter leurs meilleurs crus pour pouvoir rivaliser et permettraient, au besoin, la pénalisation des élus propre aux démocraties. À ceux qui prétendent que l’uninominale favoriserait l’achat des votes, on répondrait que, à part les bulletins préimprimés qui rendent le traçage pratiquement impossible au déploiement, certains électeurs vendraient leur bulletin s’il n’a pas, à leurs yeux, une valeur réelle, mais s’y accrocheraient s’ils estimaient qu’il est déterminant quant à l’avenir de leurs enfants.

 

La petite circonscription, deux à trois sièges parlementaires chacune, avec le mode de scrutin majoritaire à un tour où, dans chaque circonscription, tout électeur n’a le droit de voter que pour un seul candidat. Cette formule a les mêmes avantages que l’uninominale, sauf qu’elle conserverait une plus grande diversité au sein des circonscriptions et diminuerait l’impact de l’achat de votes.

 

Il n’y aurait pas, en matière de lois électorales, des lois parfaites. Mais il faudrait élaborer des lois cohérentes. Pour ce faire, il faut prendre l’intérêt du citoyen à cœur, ainsi que l’intérêt de l’État, de sa pérennité. Les lois électorales qui ne servent que l’intérêt de la gent politique ne sont que néfastes. Elles desservent le citoyen et privent les générations futures des bienfaits de l’État.

 

L’élection est un choix. Ce choix doit être donné à l’électeur, et uniquement à lui. Il doit savoir que son choix compte et qu’il n’a plus de raisons de le négliger ou de le brader. Une démocratie doit être construite. C’est une culture. Toutefois cette culture doit être munie d’outils. La loi électorale en est le principal outil. Le plus performant.

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En cette période électorale, les propositions de lois s’enchevêtrent, les idées s’emmêlent et se brouillent. Comme il est souvent d’usage avec nos gouvernants, la loi électorale qui traduit l’exercice du pouvoir prôné par la Constitution se trouve, le dernier quart d’heure, malmenée tout autant que l’électeur libanais qui ne sait plus à quel saint se vouer.
 
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