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À La Une - Éclairage

L’opposition vénézuélienne saisira-t-elle enfin sa chance ?

Miné depuis plusieurs années par un cancer dont on ne sait rien, Hugo Chavez laisse planer le mystère sur son retour éventuel au pouvoir, à peine trois mois après avoir remporté la présidentielle. L’opposition, minoritaire et gangrenée par les divisions, saura-t-elle faire face à une continuité du « chavisme » ?

Malgré sa longévité au pouvoir, Hugo Chavez reste énormément populaire au Venezuela, notamment parmi les couches les plus défavorisées de la société. Ici, lors d’un rassemblement de soutien au leader en convalescence à Cuba, un énorme « Chavez, on t’aime », formé par plusieurs personnes dans les rues de Caracas. Handout/Reuters

En plus de 13 ans de pouvoir, le président vénézuélien Hugo Chavez a réussi à développer son pays de manière spectaculaire, gardant ainsi une popularité, et donc une base électorale, intacte, sinon plus étendue encore. S’attaquant à un système sociopolitique totalement sclérosé par la corruption et la mauvaise gestion – aux riches, donc – Chavez a pu sortir son pays de l’analphabétisme et du chômage endémiques, notamment grâce aux revenus du pétrole et à la multiplication des réformes, surtout dans le secteur privé. Et alors que l’état de santé du leader vénézuélien (atteint d’un cancer, dévoilé le 30 juin 2011, sans que la localisation ou la gravité soient indiquées) suscite commentaires et supputations à gogo, il va sans dire que l’incertitude quant à l’avenir du pays commence à miner les plus convaincus, « chavistes » ou pas.


Les dernières élections présidentielles ont cristallisé les enjeux politiques considérables. Coalition hétéroclite, la Table de l’unité démocratique (MUD – opposition) avait même réussi à designer un candidat, Henrique Capriles Radonski, et espérait certainement remporter des élections au cours desquelles le candidat/président sortant était absent, étant en convalescence à La Havane où il a été pour la énième fois opéré d’urgence. Toutefois, Chavez a été confortablement réélu (62 %). Depuis, l’opposition tente d’agrandir sa sphère d’influence, alors que les doutes quant à son unité et sa cohésion persistent.


Selon Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur spécialisé sur l’Amérique du Sud et l’Espagne à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), l’opposition n’a manifestement pas « réussi à définir une stratégie claire et collective pour gérer l’absence de Chavez ». « Ce qu’on a remarqué en particulier, c’est que Henrique Capriles a accepté la décision qui a été prise par la justice et le pouvoir législatif vénézuéliens (c’est-a-dire le report de l’investiture de Chavez pour raisons de santé, et qui était prévue le 10 janvier), mais cela reflète les divergences de cette opposition unie simplement par le fait qu’elle est contre la majorité en place, contre le président Chavez, mais elle demeure sans unité idéologique et avec une très faible unité de programmes. Il y a des partis de droite, des partis du centre, du centre-gauche et même d’extrême gauche. » Cette opposition semble être donc un éventail de forces qui n’a pas de cohérence et qui ballotte d’une élection à l’autre, depuis la première victoire d’Hugo Chavez (fin 1998).

L’opposition n’a donc toujours pas résolu ses problèmes d’hétérogénéité, et son principal leader, Capriles, a pris la décision d’attendre, ce qui paraît logique, d’essayer de gagner du temps, de voir comment gérer les prochaines semaines en refusant de s’engager immédiatmenet sur la voie d’un conflit, en acceptant immédiatement la décision du Tribunal suprême de justice de reporter le discours d’investiture de Chavez, toujours en convalescence à Cuba, selon l’expert.

« Coup d’État institutionnel »
L’opposition à Chavez avait pourtant hurlé au « coup d’État institutionnel » en réaction à la décision du TSJ. « Il y a eu en effet une dissonance entre Capriles et la MUD, et la situation était très confuse », estime Paula Vasquez, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du Venezuela. « Or il ne me semble pas que cela soit une bonne stratégie politique pour l’opposition de rester dans le débat légal. Je ne suis pas juriste mais je sais que pour les juristes vénézuéliens, il y a des lacunes dans la Constitution qui sèment le doute concernant l’absence absolue et temporaire. Mais bien évidemment, la sentence du tribunal est complètement anticonstitutionnelle. L’opposition devrait peut-être se positionner dans un débat plus profond sur la signification du projet de nation que le chavisme porte », poursuit la spécialiste.


Toutefois, pour M. Kourliandsky, « la Constitution vénézuélienne peut s’interpréter de différentes façons ». « Il y a un article qui précise que si le président n’est pas là le jour de sa prise de fonctions, il faut solliciter le Parlement qui désigne une commission d’experts médicaux chargés de vérifier l’état de santé du président, précise-t-il. Et si ce dernier est jugé ne plus être en état d’assumer ses fonctions, c’est le président du Parlement qui assure l’intérim pour organiser des élections. Mais il y a un autre article qui signale que dans ce genre de situations, c’est le Parlement qui peut prolonger l’absence du président et l’autoriser à prêter serment après la date officiellement prévue devant le Tribunal constitutionnel. Cette interprétation de la Constitution est d’autant plus compliquée que le président élu est le président sortant, donc le président Chavez a la légitimité électorale. » L’opposition se trouve ainsi en situation de faiblesse.


Paula Vasquez confirme mais nuance ces propos. « L’opposition tente d’agrandir sa sphère d’influence depuis deux, voire trois ans, d’une manière plus efficace et plus cohérente qu’avant, déclare-t-elle. Rappelez-vous que Capriles Radonski a pour la première fois affiché un nombre de voix significatif lors des élections, le 7 octobre 2012. Or l’opposition est en réelle difficulté pour mener une campagne dans des termes équitables vis-à-vis des immenses moyens de l’État qui n’hésite pas à mélanger prosélytisme et politiques sociales destinées aux moins favorisés de la société ; le gouvernement dispose de beaucoup plus de moyens pour faire des campagnes politiques efficaces, pas seulement à cause de l’utilisation des fonds publics mais aussi parce qu’il est propriétaire de médias – radio et télévision – en particulier en province. »


L’opposition vénézuélienne, ou certains de ses éléments, a néanmoins tenté, selon M. Kourliandsky, de faire appel à une aide extérieure, « y compris des États-Unis », alors mobilisée par la prise de fonctions de Barack Obama et du changement d’équipe. Mais ce qu’on a pu voir, affirme-t-il, « c’est que ne sont venus des États-Unis que des messages minimaux. L’un portant sur la nécessité de respecter la Constitution, ce qui confirme les différentes adaptations de cette dernière, et l’autre, sur le souhait de voir le président Chavez se rétablir. Donc ce n’est pas exactement le genre de message de soutien qu’attendait l’opposition vénézuélienne ».


Cette dernière ne semble pas disposer de moyens légitimes d’accéder au pouvoir. En 2002, elle avait essayé la voie du coup d’État, avant de tenter une grève dans le secteur pétrolier, puis le boycott des élections régionales par dépit, tout cela sans succès. « La seule conséquence a été de céder tous les sièges du Parlement au parti de Chavez. Donc bon gré, mal gré, elle a accepté de jouer le jeu électoral », affirme M. Kourliandsky. L’opposition représente au Venezuela les catégories moyennes et supérieures de la société et qui sont par nature minoritaires. Les catégories les plus pauvres votent pour Chavez qui a quand même beaucoup fait au niveau social, notamment des programmes de construction de logements et de scolarisation, également appelés « missions ». Pour le chercheur, « ces missions atteignent les plus déshérités qui n’ont pas confiance dans les autres partis, beaucoup plus présents dans les quartiers bien plus favorisés. Ils estiment possible que tous ces programmes sociaux soient coupés si ces autres partis viennent au pouvoir. C’est pour cela que l’on constate cette perpétuation dans les résultats des élections ».

Charisme et popularité
Il semblerait donc que la popularité et l’influence d’Hugo Chavez soient intactes, et effectivement aussi importantes que les chavistes l’affirment. Pour Mme Vasquez, cette mainmise se maintient car « le chavisme est avant tout un système de relation entre l’État et les personnes ». Le Venezuela est un État rentier, c’est le revenu du pétrole qui maintient tout ce système ; donc, tous les projets politiques de la nation dépendent de la manière de redistribuer cette rente. Chavez a trouvé une manière qui est politiquement très efficace, par le biais des allocations directes. C’est un populisme extrêmement bien ficelé, et c’est un système politique plus qu’une idéologie. L’État a été et est encore le principal investisseur également, et les contrats et les appels d’offres qu’il octroye sont très convoités.
Pour aller plus loin, sa maladie et son combat face au cancer contribueraient même à alimenter cette notoriété. « L’image de Chavez est constamment présente : c’est l’image de quelqu’un qui souffre, et la population a développé un attachement à cette personne qui souffre. Et cela, Capriles l’a senti : il a toujours évité de parler de la santé de Chavez, ou de le critiquer sur ce point », souligne Jean-Jacques Kourliandsky. Toutefois, le pouvoir maintient un silence et un mystère de plus en plus lourds concernant les détails de la maladie du président, espérant probablement gagner du temps, et, comme l’affirme le spécialiste, « permettre à Nicolas Maduro (vice-président et donc président par intérim) de gagner de la consistance, et de renforcer son image, sans oublier celle de Chavez ».

Lueur d’espoir ?
Si ce dernier venait à disparaître, la MUD pourra-t-elle enfin espérer avoir sa part du pouvoir et remplacer le socialisme tant exécré de Chavez ? Paula Vasquez juge « cela un peu difficile dans le contexte actuel ; si on organise des élections maintenant, l’opposition n’a pas beaucoup de chances de l’emporter. C’est peut-être une impression, mais c’est aussi ce que les sondages indiquent en tout cas. Le pouvoir est entre les mains d’un groupe de personnes qui contrôlent l’État tout entier, pour l’instant l’Assemblée nationale est sous le contrôle officiel. À cela il faut ajouter qu’il n’y a pas de séparation de pouvoirs au Venezuela. Donc la magistrature n’est pas indépendante. De plus, et encore une fois cela est mon avis personnel, il n’est pas apparu un projet qui soit vraiment alternatif au chavisme ».


Non, affirme de son côté M. Kourliandsky. « Compte tenu du fait que les élections de décembre ont été gagnées sans Chavez, et que Maduro gagne de l’importance, l’opposition ne pourrait pas gagner. Maduro a été choisi par Chavez et même s’il n’a pas son charisme et ses talents oratoires, dans le fond il représente quand même la continuité de Chavez. »

 

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