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À La Une - Théâtre

Un « Huis Clos » sur un train d’enfer

Un classique de la littérature française, une « pièce à thèse » comme on nous le serine sur les bancs du lycée, est à l’affiche de la salle Montaigne. « Huis Clos », œuvre philosophique (peut-il en être autrement avec Sartre, l’existentialiste par essence ?) mais qui prend, avec Alain Plisson, un petit air de dérision salutaire.

Dans cette chambre d’hôtel post mortem, trois damnés se déchirent, s’aiment et se dégoûtent. Photo Ibrahim Tawil

Il nous a tellement habitués à jouer, adapter, chambouler, s’amuser (et nous aussi) avec des œuvres farfelues et facétieuses, que nous peinons à le prendre au sérieux. Lorsqu’il apparaît alors, en costume noir de noir avec pochette rouge, dignement drapé d’une ironie cinglante, une pensée prime : il est bougrement diabolique ce garçon d’étage ! Et pour cause : le Huis Clos de Jean-Paul Sartre met en scène un triangle infernal entre un pacifiste lâche, une prédatrice misandre et une infanticide allumeuse. Cette descente aux enfers aurait pu alors prendre des allures de drame mortifère... Mais là n’est justement pas le propos de Sartre. Ni celui de Plisson. En restant fidèle au texte sartrien, en lui offrant un écrin sobre et classique, le metteur en scène le « porte » avec toute sa finesse et sa pertinence. La pièce, présentée à la salle Montaigne de l’Institut français, est ainsi menée sur un train... d’enfer, avec un trio d’acteurs qui tirent très honorablement leur épingle du jeu : Michel Moppert incarne un Garcin égoïste et cruel sous ses airs débonnaires, Catherine Prost joue à merveille une Inès manipulatrice sadique et Natacha Antonellou Achcar interprète avec une légèreté coquette Estelle, la mondaine volage.


Le rideau se lève sur un boudoir dilapidé par une poussière surannée. Meuble Second Empire. Pas d’accessoires inutiles. Dans cette chambre d’hôtel post mortem, les damnés entrent un à un, introduits par le garçon impassible. Trois personnages aussi différents les uns que les autres se retrouvent ainsi « en enfer ». Dans un enchaînement de circonstances, ils seront amenés à confesser leurs crimes passés sous le regard des autres, leurs seuls miroirs. Ils se déchirent, s’aiment et se dégoûtent. Ils ne pourront jamais s’en sortir, condamnés à passer ensemble l’éternité, avec leurs lourdes fautes sur leurs épaules. La réplique de Garcin reste épique : « Ah ! Quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les autres. »


L’enfer, nous dit Sartre, n’est pas ce lieu de torture physique, de bûcher et de feu éternel. Mais celui du jugement impitoyable d’autrui porté sur nous. Un enfer, certes, mais qui n’est pas sans rappeler notre propre société. Nous ne sommes libres que si nous nous affranchissons du regard des autres, regard prenant sans lequel souvent nous n’existons pas. Cette courte pièce est en somme une mise en situation des théories existentialistes du philosophe Sartre. L’existence précède l’essence sauf quand on est mort, ce qui est le cas des trois personnages Garcin, Inès et Estelle, enfermés ensemble en enfer pour l’éternité.


L’humour déconcertant qui orne la pièce nous amène à nous retrouver face à des situations à la fois burlesques et paradoxales. Avec ses répliques acérées, elle se laisse voir d’une traite. Et que dire du thème ? Plisson, à travers Sartre, nous invite simplement à creuser notre conscience pour voir de qui nous sommes l’enfer. À méditer
À signaler que le metteur en scène annonce, déjà, son prochain opus. Une annonce, glissée comme une invitation dans le programme, donne rendez-vous aux amateurs de théâtre à partir du 23 mai, sur les planches du Tournesol. Cette fois-ci, Plisson retourne à ses pièces « facétieuses » puisqu’il adapte et met en scène Le roman d’un tricheur de Sacha Guitry. Après le philosophe existentialiste, place au maître de l’ironie.

Il nous a tellement habitués à jouer, adapter, chambouler, s’amuser (et nous aussi) avec des œuvres farfelues et facétieuses, que nous peinons à le prendre au sérieux. Lorsqu’il apparaît alors, en costume noir de noir avec pochette rouge, dignement drapé d’une ironie cinglante, une pensée prime : il est bougrement diabolique ce garçon d’étage ! Et pour cause : le Huis Clos de...

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