Rechercher
Rechercher

Pourquoi se marier quand on peut vivre ensemble ?

Victoire de l’amour sur l’institution sociale ?

Mme Anny Tabet fait état d’une étude réalisée récemment par des sociologues occidentaux et qui révèle une nouvelle perception du mariage : on ne se marie plus pour la vie.

Même si ceux qui partagent le même toit sans être mariés sont nombreux, il reste que leur recensement est difficile en l’absence d’un organisme public qui s’en charge, les instances religieuses ne s’occupant que de faits institutionnels. Toujours est-il qu’un changement s’est opéré. On ne se comporte plus vis-à-vis de l’institution du mariage de la même manière. Pourquoi se marie-t-on moins ?
Le point de la situation avec Anny Tabet, sociologue et docteur en anthropologie à la faculté des lettres et sciences humaines à l’USJ.
«Compte tenu des lois confessionnelles au Liban, de la mainmise des autorités religieuses sur le droit de la famille, et compte tenu du “réglementarisme” de notre société, on ne peut interpréter le concubinage et les raisons de son existence que comme une révolte, une volonté de transgression des lois et une solution à des situations “bloquées” institutionnellement. Faisant fi des normes sociales et des valeurs religieuses, certains trouvent dans le concubinage un moyen de s’affirmer en bravant les interdits. D’autres, unis par les liens indéfectibles du mariage et ne réussissant pas à obtenir le divorce, trouvent leur planche de salut dans la cohabitation, qu’elle soit cachée ou affichée. Dès lors, les jeunes ou les couples moins jeunes, confrontés aux tumultes d’un divorce, craignent de tomber dans le piège du mariage et préfèrent s’en éloigner. Ils se marient moins. Ils rejettent l’institution du mariage et recourent à des formes de conjugalité plus souples, à savoir le concubinage ou le mariage civil, contracté ailleurs.
Récemment, une étude faite par des sociologues occidentaux, dont Jean-Claude Kaufman, Alain Girard et François Singly, révèle une nouvelle perception très moderne du mariage : on ne se marie plus pour la vie. Si dans le passé il fallait attendre le mariage pour vivre en couple dans la perspective de fonder une famille et si on se mariait pour le meilleur et pour le pire, aujourd’hui on tend à former un couple pour le meilleur. Le couple se vit jour après jour, sans visée à long terme. On ne s’installe plus ensemble en pensant “c’est pour la vie”, mais en sachant que la séparation est possible. Si on ne trouve plus son compte dans le couple, on décide de rompre, coûte que coûte, au risque d’une certaine précarité. Toute une génération assez éclairée le pense. Toujours est-il que la grande majorité reste attachée à la tradition du mariage. »

Q. Y a-t-il une classe sociale ou une tranche d’âge particulièrement touchée par ce phénomène ?
R. Généralement, la cohabitation touche des jeunes de la classe moyenne âgés entre 20 et 30 ans. Elle résulte souvent de la volonté de ne pas entrer dans un moule normatif ou institutionnel et de défier la société par des pratiques qui froissent la morale et l’éthique. Quant aux couples qui « s’essayent » à la vie à deux et dont l’âge varie entre 30 et 55 ans, leur choix est souvent dû à une mauvaise expérience conjugale, à un passage par un divorce ou tout simplement au fait que le contrat et le contexte du mariage ne les intéressent pas. Issus principalement de familles très aisées voire riches, intellectuellement ouverts, ils n’éprouvent aucune honte à s’afficher et à assumer leur vie commune. Ce phénomène qui reste quand même limité dans notre société se concentre dans les zones urbaines, plus particulièrement dans des quartiers qui développent plus que d’autres l’anonymat, comme Hamra, Achrafieh... »

Peut-on évoquer un mouvement féministe qui a contribué à un changement des mentalités ?
Très certainement, le désir de la femme de s’instruire, de travailler, de devenir indépendante et d’obtenir de grandes responsabilités a contribué à une certaine libération des mœurs et à une émancipation de la femme libanaise. Mais en dépit de cette évolution, les hommes n’ont pas voulu « suivre ». La mentalité au Liban, à l’instar des pays environnants, demeure inégalitaire et marquée par la prédominance masculine presque dans tous les secteurs de la vie socio-économique. Ainsi, hommes et femmes ont suivi chacun son propre rythme, sa propre cadence. Les femmes se sont « développées », mais pas le mariage. Résultat : une nette augmentation des divorces.

Pourquoi se marier quand on peut vivre ensemble ?
Question fondamentale qui se pose en sociologie de la famille. On se marie pour pérenniser et institutionnaliser le lien social entre les deux partenaires. Par ailleurs, la société libanaise et plus particulièrement la famille n’a pas connu la même trajectoire que celle de la famille occidentale. Bien que présentant quelques signes de modernité, les Libanais en général restent profondément attachés à la tradition de la célébration formelle et rituelle du mariage, entretenue par l’appartenance à un noyau familial, à une communauté. Cela explique la magnificence du mariage et la solennité de cet événement, notamment dans la vie des filles qui rêvent de robe blanche et de cérémonie somptueuse.

Quel est l’impact du concubinage sur la stabilité de la famille et le développement des enfants ?
Les relations resteront instables, même si le couple a des enfants. S’il continue à se répandre, le concubinage aura le même impact que celui du divorce, considéré presque comme une « banalité ». Comme les enfants de divorcés, ceux nés d’une union libre ne seront plus « montrés du doigt ». Toutefois, il est important de tenir compte de la stabilité et de la sécurité fournies par l’engagement du mariage, ainsi que de l’obligation de s’entraider à tout moment de la vie. Le concubinage qui ôte à la relation commune le caractère obligatoire de certaines responsabilités conjugales a un impact dur sur l’éducation des enfants. Ces derniers ont besoin de constance. Même les adolescents aiment savoir qu’il y a des directives et des règles qui les sécurisent et qui leur permettent de préserver leur équilibre.

Plaidez-vous en faveur du concubinage ?
Pourquoi ne pas y être favorable, puisqu’il s’agit d’un choix délibéré de l’individu ?
Toutefois, il est primordial d’accorder à ce genre de relations une reconnaissance sociale et un encadrement juridique offrant aux partenaires des droits spécifiques et leur assurant une assistance matérielle et une solidarité réciproque. Un contrat devra réglementer cette relation, à l’instar du PACS (Pacte civil de solidarité) instauré en France, par exemple, qui définit un ensemble de critères et de mesures facilitant la vie à deux. L’union libre ne doit pas être synonyme de désordre, de chaos ou de tribulations. Toujours est-il que le problème se pose avec acuité lorsqu’une relation aboutit à la naissance d’enfants. Ces derniers seront considérés illégitimes et souffriront de discriminations tant au niveau social que successoral. Il s’agit là d’une des raisons pour lesquelles le concubinage ne se propage pas largement. L’insécurité, la précarité de la relation, la fragilité du lien, la peur de l’incertitude... Autant de problèmes qui inciteront à la réflexion et pousseront à une intégration sociale dans les rangs plus « sages » de la tradition.
Même si ceux qui partagent le même toit sans être mariés sont nombreux, il reste que leur recensement est difficile en l’absence d’un organisme public qui s’en charge, les instances religieuses ne s’occupant que de faits institutionnels. Toujours est-il qu’un changement s’est opéré. On ne se comporte plus vis-à-vis de l’institution du mariage de la même manière. Pourquoi se...