Ce soir-là, place Sassine, les riverains balayaient, accablés, des débris et des débris de verre. Des jeunes des environs étaient venus aider. Ils vous tendaient une bougie, et sans réfléchir, les larmes aux yeux, vous alliez la poser avec les autres, en face du bâtiment de la poste. La nuit était d’une infinie tristesse. Des ombres se côtoyaient en silence. Nul n’avait d’oreille pour la voix opportuniste qui s’élevait déjà d’une tribune improvisée. Les gens qui étaient là pleuraient, se serraient les coudes, tentaient d’avoir des nouvelles des blessés, d’organiser l’assistance aux familles touchées par le drame. La politique, encore moins les élections de 2013, n’avait aucune place dans tout cela. Pire, le lendemain, aux funérailles de Wissam el-Hassan, dans une forêt de drapeaux hétéroclites, cette phrase répétée ad libitum par l’officiant : « Arrêtez de pleurer comme des femmes et brandissez vos sabres. » Les femmes vous disent bien des choses, cheikh, même si elles n’ont rien dit. D’abord qu’elles n’ont pas le monopole des larmes. Ensuite, qu’elles ne sont pas des sous-humains à donner en contre-exemple. Enfin, qu’il est bien plus sage de pleurer que de convertir la douleur en rage et de se lancer aveuglément à l’assaut du premier ennemi désigné. Depuis 2005, de tragédie en tragédie, ce pays semble avoir perdu ce qu’il lui restait de valeurs, et le peuple ses plus saines aspirations. Les événements des derniers jours l’ont douloureusement révélé. Le paysage est le même, mais où vivons-nous ?
À La Une - L'impression de Fifi ABOU DIB
Quelque chose vient de changer
OLJ / le 25 octobre 2012 à 01h38
Ce soir-là, place Sassine, les riverains balayaient, accablés, des débris et des débris de verre. Des jeunes des environs étaient venus aider. Ils vous tendaient une bougie, et sans réfléchir, les larmes aux yeux, vous alliez la poser avec les autres, en face du bâtiment de la poste. La nuit était d’une infinie tristesse. Des ombres se côtoyaient en silence. Nul n’avait d’oreille pour la voix opportuniste qui s’élevait déjà d’une tribune improvisée. Les gens qui étaient là pleuraient, se serraient les coudes, tentaient d’avoir des nouvelles des blessés, d’organiser l’assistance aux familles touchées par le drame. La politique, encore moins les élections de 2013, n’avait aucune place dans tout cela. Pire, le lendemain, aux funérailles de Wissam el-Hassan, dans une forêt de drapeaux hétéroclites, cette phrase répétée ad libitum par l’officiant : « Arrêtez de pleurer comme des femmes et brandissez vos sabres. » Les femmes vous disent bien des choses, cheikh, même si elles n’ont rien dit. D’abord qu’elles n’ont pas le monopole des larmes. Ensuite, qu’elles ne sont pas des sous-humains à donner en contre-exemple. Enfin, qu’il est bien plus sage de pleurer que de convertir la douleur en rage et de se lancer aveuglément à l’assaut du premier ennemi désigné. Depuis 2005, de tragédie en tragédie, ce pays semble avoir perdu ce qu’il lui restait de valeurs, et le peuple ses plus saines aspirations. Les événements des derniers jours l’ont douloureusement révélé. Le paysage est le même, mais où vivons-nous ?