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À La Une - Une Libanaise à Paris

Les Mots d’Amin Maalouf

Amin Maalouf me reçoit dans son appartement parisien. Je suis terrorisée. Qui suis-je pour interroger cet érudit ? J’essaie de ne pas écouter sa conversation téléphonique en l’attendant dans le salon, mais l’entendre rouler des RRRRRRR... en arabe me met en confiance. Il est temps de poser des questions pour lancer la conversation. Le fait d’avoir longtemps été journaliste fait qu’il se met souvent à la place de l’autre. Il ne redoute pas les questions des journalistes et ne se dit jamais  «  j’espère qu’ils ne vont pas me poser cette question », mais il sait éviter une interrogation, « j’ai l’habitude, quand je veux éviter une question, j’ai un peu de métier maintenant, je sais comment faire », me dit-il, les zygomatiques frétillants, avant de préciser que répondre à un questionnaire n’est pas intéressant. L’important est de formuler une idée, une réflexion, une observation, une description. Il a un rapport très particulier avec les mots. D’abord fasciné par l’étymologie des mots, il a toujours envie de savoir l’origine d’un nom commun, d’un nom propre ou l’origine des noms de famille, « il ne se passe jamais une journée sans que j’aille vérifier dans des livres l’étymologie de tel ou tel mot ». C’est presque une réaction automatique. « Chaque fois que j’entends un mot qui m’intrigue, je me demande d’où il vient. »
Les mots voyageurs n’est pas encore le titre de son prochain livre mais une rubrique de son blog encore en ligne. Ici, il parle du rôle identitaire des langues, du multilinguisme et aussi de l’aventure des mots. Notamment les mots français et arabes qui portent les traces d’un voyage. Table, Roumi, Bagdad, dinde : Amin Maalouf nous transporte avec chacun de ses mots vers une histoire et une culture dont on n’a pas idée ! « Quand je me plongeais dans un mot, mes recherches me passionnaient, un mot entraînait un autre, j’y passais deux journées, un temps que je ne consacrais pas à mes livres... » En faire un ouvrage ? « Ce n’est pas un livre qu’on prépare comme un livre. » Cette rubrique des mots voyageurs, il aimerait en faire l’élément principal de son blog, lui consacrer un peu de temps et peut-être par la suite éditer le livre. Mais cette semaine, c’est la rentrée. Dès jeudi, les élus de l’Académie française débattront des mots commençant par R.I.S, aucun risque que notre immortel n’y trouve pas son compte. « Je crois que maintenant à l’académie je vais trouver des gens qui ont la même passion des mots que moi...  » (rires).
Mais concrètement, que fait-on au sein de cette prestigieuse institution ? L’activité principale des académiciens est l’élaboration du dictionnaire et l’usage des mots. L’usage de la langue française, avec les significations, les expressions... « Les mots changent énormément. Imaginez le sens du mot ÉCRAN, en 1850 ou 1920, et ce qu’il signifie aujourd’hui, c’est un monde de différence. Il faut prendre en compte la nouvelle signification du mot. » Notre immortel manie les mots, mais peut-il avoir l’impression d’être incompris quand il s’exprime ?
« J’ai souvent l’impression de ne pas dire les choses exactement comme je voudrais les dire... Après-coup, je me dis que j’aurais dû dire les choses autrement. » Il réfléchit en parlant, se perd parfois. Il fait des parenthèses ; « mais à l’oral, les parenthèses, c’est plus compliqué (rires) ». Aujourd’hui tout le monde a un avis sur tout, et tout le monde peut l’exprimer sur la Toile. Mais les mots sont-ils assez forts pour avoir le pouvoir de changer la donne ?
« Ce que nous vivons depuis 10 ans est sans précédent dans l’histoire, mais les gens ont tellement l’habitude d’écouter les opinions des uns et des autres. Oui ça fait réagir, on en discute, mais aucun mot à la première page d’un journal ne changera la donne.  »
Tout le monde prend aussi position. Amin Maalouf ne fait pas partie de ceux qui prennent le micro pour affirmer une opinion ferme. Il observe, réfléchit, pèse le pour et le contre et se remet toujours en question. « J’aurais fait un très mauvais homme politique. » En politique, il faut avoir une opinion et se convaincre que celle d’en face est fausse. Il n’est pas assez de mauvaise foi pour être dans la vigueur et taper du poing. Mais qu’en est-il du Liban ? Il suit l’actualité du pays de près, et qui n’aimerait pas connaître son opinion ? « Ce n’est ni mon envie ni d’une quelconque utilité de dire je suis avec un tel ou un autre. » C’est un devoir de réserve parce qu’on est loin ? « C’est vrai quand on est parti il y a 36 ans. On doit avoir une forme d’humilité et ne pas intervenir de manière intempestive dans le débat interne tout en gardant un lien avec le pays... » On rentre quand à Beyrouth ? « Je ne me dis jamais je vais m’y installer, mais aujourd’hui j’ai l’intention d’y aller sans raison précise. Tranquillement vivre. Pas un saut de 48h, mais une bonne période, sans date de retour déjà prévue. Je le ferai. »
Vous l’aurez compris, l’académicien Amin Maalouf aime les mots dans ce qu’ils ont de plus noble : leur sens.

 

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