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À La Une - Feuille de route

Le maître de marionnettes

« La représentation est terminée. Le personnage peut rester sur la scène s’il le souhaite.
Cela n’a plus aucune importance. Plus personne ne l’écoute. »
Samir Kassir, « an-Nahar », 18 mars 2005.

C’est un petit village perdu dans les forêts de la Pennsylvanie. Un groupe de gens a fui la civilisation et sa violence pour fonder, dans ces bois, une nouvelle utopie. Autocouronnés « conseil des sages » de cette localité inconnue du monde extérieur, ils ont procréé et créé, au fil des ans, de toutes pièces, un petit univers idyllique au milieu de nulle part, hanté par des monstres effrayants – « ceux dont on ne parle pas » – qui pourchassent les malheureux égarés osant s’aventurer hors du périmètre du village ou braver l’interdit majeur : se parer de la couleur rouge.


Les cinéphiles auront reconnu la trame de départ de l’œuvre – mineure et passée presque inaperçue – du réalisateur indien M. Night Shyamalan, The Village (2004). L’on apprend cependant bien vite, à la suite d’un accident tragique, que ces fameux monstres ne sont que des épouvantails de pacotille, une création de ce fameux pseudo-« conseil des sages » ; un secret bien gardé dont la fonction est de terroriser les jeunes du village pour leur ôter, d’une part, toute envie de quitter les lieux et les maintenir à l’abri du chaos de la civilisation, et leur interdire, de l’autre, tout accès à la couleur rouge, représentation symbolique du sang et de la violence.


C’est un petit village perdu dans les forêts de la Pennsylvanie, mais cela ressemble fort étrangement au Liban. Des monstres de tout acabit, il en surgit continuellement. « Ceux dont on ne parle pas », ce sont par exemple les représentants de la « branche armée » dudit « clan Moqdad » qui, bien soutenus par une armée de médias, ont tenté de terroriser durant quelques jours l’ensemble de la population libanaise et des ressortissants étrangers. Objectif : empêcher ceux qui le souhaitent de se draper des couleurs de la révolution syrienne, ou même d’un souverainisme libaniste conquérant face au régime syrien. Pareil pour ces cellules fictives d’el-Qaëda distribuant des tracts fielleux dans le but de terroriser les populations chrétiennes du Nord et les monter contre leurs concitoyens sunnites.


Avec le recul, il est évident que les « monstres » ont été sortis du placard pour protéger la monstruosité en chef, à savoir le régime syrien. C’est dans un premier temps Michel Samaha, le Souslov baassiste de l’alliance des minorités, qui a joué au maître de marionnettes, manipulant à outrance les craintes communautaires des minorités à l’ombre de la montée de l’islamisme pour faire imploser la situation... avant de devenir lui-même une marionnette, mais de s’emmêler copieusement dans ses propres fils pour finir à la Santé. Et voilà qu’avec l’arrestation de Samaha, c’est le spectre de l’ancien directeur particulier aux « relations privilégiées » libano-syriennes, Jamil Sayyed, qui revient prendre la relève, dans ce qui ressemble bien à une répétition caricaturale des chefs-d’œuvre de mise en scène de naguère. Car le « clan Moqdad », comme un lapin enragé sorti d’un chapeau de sorcière, a été catapulté sur la scène immédiatement après les prises de position historique du président de la République, Michel Sleiman, au sujet de l’affaire Samaha. Accompagné, il faut en convenir, par des choristes de choc : Sayyed lui-même, d’abord, qui a immédiatement sonné la charge sur les écrans de télévision, relayé ensuite par d’autres « protégés » de Bachar el-Assad, comme Sleimane Frangié ou Rifaat Eid à titre d’exemple.


Les Quat’zarts avaient fait les choses comme il faut. La « farce » était bien bonne et valait le coup d’œil. Mais les comédiens ont peut-être poussé la tragi-comédie trop loin, au moment où le Hezbollah étudie méticuleusement chaque petit pas en attendant l’instant de la chute du régime syrien. D’autant, encore une fois, que le « bon maître » et les siens ont épuisé leur imagination il y a déjà des lustres. De l’église Notre-Dame de la Délivrance, pour s’abattre sur les Forces libanaises, aux poursuites contre Samir Kassir, pour intimider journalistes et hariristes, en passant par les rafles contre les partis chrétiens de l’opposition en 2001 pour torpiller la réconciliation de la Montagne entre le patriarche maronite et Walid Joumblatt... ou encore l’horrible mascarade de Majdel Anjar ou de Denniyé, au début des années 2000, pour offrir aux Américains des « islamistes » fabriqués de toutes pièces au bercail syrien...


Que le personnage Sayyed puisse ou non rester sur la scène, cela reste encore à déterminer dans les jours qui viennent. Cela, c’est la justice qui s’en chargera. Ce qui est certain, c’est que sa représentation, si peu inspirée, touche vraiment à sa fin. Il n’a plus que lui-même pour s’entendre vouer le monde, alliés et ennemis, aux gémonies. Un peu comme le serpent qui se mord la queue. Ou comme les fameux frères Moqdad, tiens.


Et lorsqu’on en arrive au point de ressembler, dans la forme comme dans le fond, à ses propres marionnettes, c’est qu’il est bel et bien temps que le rideau tombe. Définitivement.

« La représentation est terminée. Le personnage peut rester sur la scène s’il le souhaite.Cela n’a plus aucune importance. Plus personne ne l’écoute. »Samir Kassir, « an-Nahar », 18 mars 2005.C’est un petit village perdu dans les forêts de la Pennsylvanie. Un groupe de gens a fui la civilisation et sa violence pour fonder, dans ces bois, une nouvelle utopie. Autocouronnés...
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