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À La Une - Santé

Liban : L'applicabilité de la loi antitabac mise à l'épreuve

Antélias a été le théâtre du premier sit-in contre la loi 174, observé par des restaurateurs qui craignent une baisse de leurs revenus.

Des fumeurs de narguilé, lundi 3 septembre, jour de l'entrée en vigueur de la loi interdisant de fumer dans les lieux publics fermés au Liban. Photo Ibrahim Tawil.

Au premier jour de la mise en application de la loi antitabac 174, les fumeurs se résignent tant bien que mal aux nouvelles normes, qui leur interdisent de fumer dans « tout lieu public fermé », c’est-à-dire « tout lieu mis à la disposition du public, qu’il soit de propriété privée ou publique (...), couvert par un toit et confiné entre plus de deux murs (...) ».

Mais les propriétaires de restaurants et de boîtes de nuit ont décidé de faire entendre leur voix et d’exprimer leur mécontentement en menant une action contre le maintien de stipulations jugées « trop vagues et trop extrêmes par rapport au terrain socio-économique libanais », comme l’explique à L’Orient-Le Jour Antoine al-Saniour, propriétaire d’un bar à chichas, devenu représentatif d’une tradition libanaise. C’est dans ce contexte qu’Antélias, ville-carrefour du littoral du Metn, a été le théâtre du premier sit-in contre la loi 174, observé par des restaurateurs qui craignent une baisse de leurs revenus (jusqu’à 25 %, selon eux) et de la fréquentation de leurs établissements. L’artère principale d’Antélias, parsemée de terrasses à narguilés, qui grouillent de clients en temps normal, a été bloquée hier par des manifestants mécontents de l’interdiction de fumer. Levant une chicha dans une main et des banderoles mettant en garde contre « le risque pour 20 000 employés de se retrouver au chômage », employés de restaurants et clients – certains tirant de longues taffes sur leurs cigarettes ou narguilés par provocation – ont observé un sit-in de solidarité avec les restaurateurs d’Antélias. Ces derniers ont ensuite décidé de fermer leurs établissements pendant 24 heures et de former un comité chargé de résoudre le « problème » que représente cette interdiction de fumer. « Nous réclamons un réexamen de la loi et une suspension des amendes », déclare Antoine al-Saniour au nom des restaurateurs. Il confie sur ce plan que la décision de « prendre de nouvelles mesures d’escalade dépend des résultats de la réunion entre le Premier ministre et la délégation du syndicat des restaurateurs », qui doit se tenir aujourd’hui, à 10 heures, au Grand Sérail. « S’ils ne décident pas de suspendre les amendes et de réviser la loi, nous recourrons à de nouvelles démarches », ajoute-t-il, insistant toutefois sur « le caractère pacifique de notre action, et notre appel constant au ministre du Tourisme, notre parrain ».

Une réunion similaire s’est tenue hier entre le Premier ministre et les représentants des syndicats de tourisme, en présence du ministre Fadi Abboud. Il a été convenu que le cabinet prendrait des mesures d’application visant à limiter les dégâts sur le secteur économique, dans le cadre d’un plan global prévu par le ministre Abboud, mais dont les grandes lignes n’ont pas encore été clarifiées.

Pour une loi plus nuancée
Plus concrètement, « ce que nous réclamons est un amendement de la loi qui prenne en compte que 43 % des restaurants au Liban proposent le narguilé sur leur carte », précise Antoine al-Saniour à L’OLJ. « La loi doit prévoir des exceptions pour ces restaurants, en leur accordant la possibilité d’obtenir des permis, auquel cas ceux qui ne fument pas, ou sont dérangés par la cigarette, éviteront de facto les endroits spécialement aménagés pour la chicha ou autres », ajoute-t-il, soulignant que « la plus grande majorité des employés qui travaillent chez nous, et qui touchent plus de 1 000 dollars de pourboire par mois, sont des fumeurs ». Il cite en outre des exemples de pays développés où l’application de la loi antitabac est nuancée : « Aux États-Unis, des licences sont accordées aux bars de chicha pour 1 500 USD par an ; dans certains pays d’Europe, les espaces fermés d’une surface de plus de 100 m2 doivent comporter un fumoir sur 20 % de cette surface ; à Dubaï, les restaurants de narguilés sont permis, sauf s’ils sont aménagés dans un lieu résidentiel, auquel cas, la loi leur a accordé un délai de deux ans pour emménager ailleurs... »
Autant d’exemples mettant l’accent sur les nécessaires adaptations qui s’imposent aux autorités soucieuses d’optimiser la mise en œuvre de la loi antitabac, mais aussi sur le caractère graduel que doit revêtir cette mise en œuvre. À la question de savoir pourquoi avoir attendu un an après la promulgation de la loi 174 par le Parlement pour exprimer leurs contestations, al-Saniour a affirmé que « nous n’étions pas convaincus que cette loi sera appliquée, au regard de la mise en application lacunaire et éphémère d’autres lois ou directives, comme celles liées au code de la route ». Il exprime d’ailleurs ses doutes profonds quant à « l’applicabilité de cette loi, dans la banlieue sud, par exemple ». Des doutes justifiés lorsque l’on sait que l’interdiction de fumer dans les aéroports, les hôpitaux, les écoles et les transports en commun, décrétée plus tôt, n’a connu jusque-là qu’une application partielle. Sans compter que la période de grâce accordée aux hôtels, restaurants et autres établissements touristiques n’a pas été accompagnée de mesures transitoires contraignantes.

L’incontestable utilité pour la santé
Toutefois, le député Atef Majdalani, président de la commission parlementaire de la Santé, a insisté, lors d’une conférence de presse au Parlement, sur « l’importance de la loi sur la santé publique ». « Il est normal que d’aucuns mettent en doute l’applicabilité de la loi, dans un pays où l’impunité est de rigueur (...), mais cette loi n’est pas orpheline, elle est appuyée par de nombreux défenseurs », a-t-il fait remarquer, faisant écho à ceux qui la décrivent comme une illustration du succès de la société civile libanaise. La véracité de ce constat reste toutefois indissociable de la mise en œuvre de la loi, indépendamment de son utilité (incontestable, bien qu’insuffisante à elle seule) pour la santé publique.


Il reste que les ministères chargés de son application intensifient leurs efforts, avec le texte de loi dont ils disposent pour l’instant. « Seuls les parlementaires ont le pouvoir d’amender le texte, dont nous ne sommes que les exécuteurs », a affirmé le ministre du Tourisme Fadi Abboud. De son côté, le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel a assuré que « l’interdiction de fumer sera appliquée, mais nous ne serons pas rigides dans l’application de la loi dès le premier jour ».

 

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