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Nos Lecteurs ont la Parole

La justice constitutionnelle à la rescousse de la société civile*

Par Antoine MESSARRA
Comment la justice constitutionnelle peut-elle être davantage au service du citoyen dans les mutations actuelles du droit et de la société ? Après l’étude comparative et l’enquête de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, appelée aussi Commission de Venise, et après les interventions pertinentes et comparatives à la Conférence de l’Accpuf, j’essaie d’apporter un cadrage à la question du recours individuel des citoyens, par voie d’action ou d’exception, à la justice constitutionnelle à la lumière des mutations du droit et de la société.

Étatisation, individualisation ou socialisation du droit ?
Quelles sont les mutations que certains qualifient de défis qui exigent l’extension des recours aux juridictions constitutionnelles ? La justice constitutionnelle avait au départ la fonction de régulation du régime parlementaire. Or, nous nous trouvons aujourd’hui face à deux risques ou dérives du droit :
1. Le risque d’étatisation du droit avec notamment la limitation des recours à la justice constitutionnelle aux organes institutionnels.
2. Le risque d’individualisation du droit en ouvrant l’accès, sans filtrage, du citoyen, notamment par l’actio popularis, l’amparo (garantie) en Espagne..., avec tous les risques d’engorgement et d’abus. Tout en reconnaissant l’exigence d’une justice constitutionnelle au service du citoyen, c’est l’excès de subjectivation qui pose aujourd’hui problème. La mondialisation en effet développe les identités individuelles et collectives, mais aussi le besoin de solidarité, de lien social. Sommes-nous vraiment aujourd’hui une société ? Qu’est-ce qui fait la société ? Ce problème est aujourd’hui fondamental, à un moment où on célèbre le 300e anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. Nous vivons à l’état de nature, au sens sauvage, à défaut de contrat social.
Donc ni étatisation du droit ni individualisation du droit, mais position mitoyenne qui réhabilite la fonction socialisante du droit.

Le recours associatif
Nombre de considérations justifient aujourd’hui l’extension associative aux mouvements sociaux, c’est-à-dire aux partis, syndicats et organisations professionnelles et associations, du droit de recours direct à la justice constitutionnelle :
1. La tendance dans la globalisation galopante à la concentration des quatre pouvoirs de la politique, de l’argent, des médias et de l’intelligentsia en un bloc compact qui ne peut être ébranlé que par un cinquième pouvoir citoyen.
2. Les associations de défense des libertés et des droits de l’homme, après une longue étape de combat pour la démocratie et de grandes réalisations, vivent un recul de l’engagement après la phase glorieuse des grands pionniers et bâtisseurs. La compétition pour le financement de programmes de démocratisation risque d’altérer les nobles objectifs des pères fondateurs des associations.
3. Les parlementaires, principaux opérateurs institutionnels en matière de recours à la justice constitutionnelle, tendent dans nombre de pays à faire prédominer les soucis électoralistes aux dépens des exigences de légalité. Ce que dit Rousseau dans le Contrat social (1762) est prémonitoire sur les dérives électoralistes : « Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. »
Or les parlementaires remplissent trois fonctions, celles de légifération, de contrôle de l’exécutif, et aussi de médiation pour la défense des droits des citoyens électeurs. La fonction de tout député en tant que défenseur des droits dans le cadre de recours associatif rapproche la politique des citoyens et de la société. Il s’agit là de subordonner le recours associatif au soutien de deux ou trois parlementaires, évitant ainsi quelques recours abusifs et renforçant les rapports nécessaires Parlement-société civile.
4. Les ententes interélites dans les régimes parlementaires mixtes, c’est-à-dire qui associent des processus à la fois compétitifs et coopératifs, notamment au Liban et en Belgique, risquent de réduire les recours institutionnels au Conseil constitutionnel.
Il en découle l’exigence, surtout dans des régimes parlementaires mixtes, appelés aussi consociatifs, de concordance, de proporzdémocratie ou consensuels, de recours autres qu’institutionnels. Dans cette perspective s’inscrit le droit de recours au Liban des chefs des communautés religieuses pour les affaires relatives au statut personnel et aux libertés religieuses (art. 19 de la Constitution), ainsi que le droit de saisine du Conseil constitutionnel par le chef de l’État qui « veille (yas’har) au respect de la Constitution » (art. 49) en vertu des amendements de 1990. Les ententes interélites, quand elles s’intègrent dans une perspective de non-droit, ne peuvent être freinées qu’à travers un processus social de citoyenneté participative.

***
 Dans nombre de démocraties en transition ou menacées, la société civile, bien que fort active, se trouve souvent impuissante à propulser des changements législatifs en conformité avec les normes minimales des droits fondamentaux face à des digues de résistance traditionnelles et de rapports de pouvoir.
La promotion de la vie associative se situe au cœur de la réforme constitutionnelle au Maroc. L’art. 33 de la nouvelle Constitution du Maroc prévoit la création d’un Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative. Un mémorandum de la société civile, présenté le 22 juin 2012 suite à des concertations lancées par 163 associations, propose que le Conseil contribue à « l’institutionnalisation de l’action associative et de ses performances ». L’art. 170 énonce « l’incitation à la participation à la vie nationale. »

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel, professeur à l’USJ

* Le texte est un extrait de la communication à la 6e Conférence de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français-Accpuf, sur le sujet : « Le citoyen et la justice constitutionnelle », Marrakech, 4-6/7/2012, cf. « L’Orient-Le Jour », 24 et 25/7/2012.
Comment la justice constitutionnelle peut-elle être davantage au service du citoyen dans les mutations actuelles du droit et de la société ? Après l’étude comparative et l’enquête de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, appelée aussi Commission de Venise, et après les interventions pertinentes et comparatives à la Conférence de l’Accpuf,...

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