Rechercher
Rechercher

Liban - L’Ecclésia de Beyrouth - La rubrique de Michel HAJJI GEORGIOU

La place des chrétiens dans le printemps arabe

Les soulèvements populaires qui ont déferlé sur plusieurs pays du Moyen-Orient depuis le début de l’année 2011 ont balayé en l’espace de quelques mois un paysage politique qui est demeuré littéralement figé des décennies durant dans une autocratie obscurantiste des plus rétrogrades. Sous le prétexte fallacieux de mener à bien le combat contre Israël et d’initier d’ambitieux (et chimériques) programmes de développement socio-économique, ornés de slogans socialisants à la mode des années 60 du siècle dernier, des régimes issus pour la plupart de putschs militaires ont monopolisé au fil des ans le pouvoir d’une main de fer, en l’absence de tout mécanisme d’alternance, de contrôle et de reddition de comptes.
Ce processus populiste a donné naissance à des régimes à caractère clanique et mafieux qui ont lentement, mais sûrement, transformé le pouvoir étatique en une chasse gardée familiale. Dans la plupart de ces pays, les circuits traditionnels de l’État étaient systématiquement et minutieusement court-circuités par des réseaux d’influence et des circuits d’intérêts clientélistes étroitement contrôlés par le clan familial et les hommes du président. Pour bien bétonner le système, les principaux postes-clés du pouvoir de facto, tant étatique qu’économique, étaient détenus par les membres rapprochés de la famille en place. Et pour couronner le tout, l’ensemble de l’édifice était chapeauté par un implacable filet de sécurité, en l’occurrence des services de renseignements et un appareil policier sans foi ni loi, aux mains – là aussi – du clan familial. Les exemples du Yémen, de la Libye, de l’Égypte, de la Tunisie et de la Syrie, notamment – sans compter, à l’évidence, les monarchies du Golfe – sont à cet égard particulièrement significatifs.
Une telle structure de pouvoir a eu pour effet dans l’ensemble de ces pays – autant dire dans la quasi-totalité des pays du Moyen-Orient, à de rares exceptions près – d’abolir purement et simplement toute vie politique et d’éliminer du jargon public des termes tels que « société civile », « droits de l’homme », « libertés publiques et individuelles », « élections transparentes », etc. Rien d’étonnant, par voie de conséquence, que la phase qui a suivi l’effondrement de ces régimes autocratiques soit marquée par une période d’instabilité, d’incertitudes, de tâtonnement, de tiraillements et, évidemment, de vives inquiétudes. Lorsque, pendant des décennies, toute vie publique et politique est interdite, la chute des dictatures ne peut déboucher que sur une phase de transition instable.
Ce climat d’inquiétude et d’incertitude quant au lendemain, les chrétiens d’Orient le ressentent sans doute plus que d’autres composantes sociales. D’abord en raison de la poussée évidente des courants islamistes dans la région. Et surtout parce que, à l’exception du cas du Liban, ces chrétiens d’Orient ont été conditionnés par les dictatures de manière à acquérir l’illusion que leur survie dépend du maintien du statu quo, aussi répressif soit-il, qui reste prétendument « préférable à l’inconnu ».
Dans ce contexte du printemps arabe, quelle alternative se présente donc aux chrétiens, et quels devraient être leur positionnement et leur ligne de conduite pour participer activement aux changements radicaux en cours ? En sa qualité d’ancien responsable au Conseil mondial des Églises, au sein duquel il a joué un rôle-clé au niveau du dialogue entre les religions, l’ancien ministre Tarek Mitri est, à n’en point douter, l’une des personnalités politiques indépendantes les plus qualifiées et les mieux placées au Liban et dans la région pour aborder et analyser le rôle des chrétiens d’Orient dans la conjoncture présente.

À l’heure des transformations radicales dans plusieurs pays arabes, la situation actuelle des chrétiens, et encore plus leur avenir, ne saurait être dissociée de celle de l’ensemble de leurs concitoyens. Nous ne le répéterons jamais assez.
Cependant, la perception de ces transformations est marquée par l’inquiétude. Dans la plupart de ses causes – réelles, exagérées ou imaginées –, elle relance, voire renforce, des craintes quelque peu « ancestrales ». Notre propos n’est pas de faire le tour des problèmes confrontés par les chrétiens. Mais nous nous proposons d’examiner leurs préoccupations spécifiques qui viennent s’ajouter à celles partagées avec leurs concitoyens.
Auparavant, il était fréquent que l’incertitude et l’amertume des chrétiens soient conjoncturelles. Citons, à titre d’exemple, l’émigration d’une fraction importante des élites chrétiennes d’Égypte à partir des années soixante-dix, l’hémorragie des chrétiens de Palestine de plus en plus grave depuis l’occupation par Israël de Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza, et celle des chrétiens du Liban après les successives guerres « inciviles » dans leur pays, dont le conflit « interchrétien » qui a clôturé la série.
L’évocation d’une menace imminente mettant en péril la survie même des chrétiens dans leurs pays n’intervenait le plus souvent que pour justifier, confirmer ou simplement compléter l’analyse de situations sociales ou politiques et de leurs implications. Au stade actuel, elle tend à donner aux enjeux, locaux ou régionaux, les dimensions d’un « complot international ». Récemment, la tragédie des chrétiens d’Irak a été interprétée de cette manière. Hier encore, des prélats chrétiens du Liban et de Syrie, méfiants à l’égard des révolutions arabes et ne s’encombrant pas de subtilités, ont dénoncé une nouvelle version de ce même complot.
Il est évident que reconnaître l’inquiétude et essayer d’en comprendre les raisons est légitime. Mais en confondre les causes afin de l’amplifier à des fins partisanes est hautement contestable. Qui plus est, on ne peut s’empêcher de craindre que l’alarmisme, bien ou mal intentionné, ne vienne accélérer la réalisation de ce dont on aurait peur.
Aujourd’hui, nul ne saurait ignorer l’effet conjugué d’une démographie de plus en plus défavorable aux chrétiens, des échecs de l’ensemble des projets nationaux, de la prédominance de la logique d’un État-butin aux dépens de celle de l’État de droit, et des craintes face à l’islamisme. Des préoccupations de survie façonnent aussi bien les lectures de l’histoire que les réflexions prospectives des chrétiens du monde arabe.
Le regard que portent de nombreux chrétiens sur leur avenir est largement brouillé par celui qu’ils portent sur l’islamisme. On se représente un islamisme dont la popularité serait encore plus grande que l’attirance variable qu’il est capable d’exercer. De ce fait, on confond la croissance de sa popularité dans certains pays avec une montée irrésistible et indifférenciée à travers l’ensemble du monde arabe. Reste un petit pas qu’il arrive que certains, sans le crier haut et fort, franchissent : voir en l’islamisme l’expression la plus authentique, quoique la plus excessive, de l’islam lui-même.
Ce dangereux essentialisme appelle un rapide retour à l’histoire. Le pacte de la dhimma a protégé les chrétiens non sans les inférioriser, dans le cadre d’un « pluralisme hiérarchisé ». Le système juridico-politique s’en réclamant, principalement sous l’Empire ottoman, crée les millets, reconnues à la fois comme « nations » et communautés religieuses. Mais au cours du XIXe siècle, les idéologies et les structures mises au point en Europe pénètrent progressivement dans le monde arabo-musulman. Les puissances européennes prennent appui, chacune de son côté, sur telle ou telle communauté minoritaire. Ainsi, le pluralisme hiérarchisé est exploité à des fins de domination extérieure. Mais les chrétiens aspirent à une « citoyenneté » affranchie de la domination étrangère. Si leur lutte pour l’égalité et la liberté les oppose à l’empire moribond, elle les unit avec les musulmans dans un combat pour l’indépendance. Dans la recherche d’un nouvel ordre politique, il leur incombait non seulement de s’adapter au découpement d’un espace géographique en répartissant ethnies et confessions, mais de proposer des identités collectives susceptibles de recueillir l’adhésion des différentes communautés. C’était l’enjeu de la renaissance, la Nahda. Mais ni les nouveaux États ni les mouvements nationalistes modernisants, malgré la force initiale de leur attraction, n’ont pu réussir l’intégration nationale, modifier en profondeur les identités traditionnelles, ou tenir leurs promesses en matière de justice sociale.
Cet échec n’explique pas à lui seul ce qui semble être le succès actuel de l’islamisme. Le rejet des régimes autoritaires et néopatrimoniaux ouvre la voie démocratique aux forces politiques islamistes organisées, bénéficiant d’une longue histoire d’opposition à la répression et disposant d’efficaces relais d’action sociale et culturelle. Pour certains chrétiens, il n’y a de choix possible qu’entre les autocraties laïcisantes et l’islamisme. Ce dualisme réducteur les pousse parfois à une démission morale et une méconnaissance de la pluralité des tendances politiques se réclamant de l’islam, de leurs limites, contradictions et évolutions. Car la montée de ces mouvements ne peut faire l’économie de l’égalité citoyenne et de la participation politique des chrétiens. En Égypte, les droits des coptes sont revendiqués avec force et acuité sur la scène publique. Leurs incertitudes ne justifient plus un repli communautaire sur soi, mais appellent une active affirmation citoyenne de soi.
Ces incertitudes ne se limitent plus aux chrétiens. Des voix musulmanes s’élèvent pour dire que les appréhensions des chrétiens sont en grande partie partagées par l’ensemble des concitoyens. Cette attitude n’est certes pas le privilège exclusif des détracteurs de l’islam politique et des pourfendeurs laïcisants du fanatisme communautaire, mais celui de tous ceux et celles qui, non sans admettre une spécificité aux inquiétudes chrétiennes, y reconnaissent des manifestations des problèmes de l’ensemble de la société.
Pour certains, l’islamisme pourrait ressembler, selon une métaphore souvent utilisée, à des vagues. Quelle que soit l’énormité apparente de celles-ci, elles s’apaisent une fois qu’elles consument leur force d’animation initiale. Il est vrai, néanmoins, que la peur de l’islamisme ne pourrait être exorcisée par les seuls effets d’une analyse nuancée ou du dialogue éclairé des élites. Cela est d’autant plus difficile que les régimes despotiques instrumentalisent les craintes et confient à certaines personnalités chrétiennes la tâche de les exacerber, au nom d’une dualité essentialiste opposant les minorités, ensemble et en parallèle, à la majorité.
Il est indéniable que la conscience minoritaire héritière d’un laïcisme déçu ou désespéré ne se donne plus les moyens du discernement. Ceux et celles qui s’y emmurent s’abstiennent de tout activisme politique et réagissent, de plus en plus, aux menaces – réelles ou supposées –
par le retrait menant à l’émigration ou au repli sur soi.
À l’opposé de ces deux chemins, celui du communautarisme militant et celui de la résignation, il reste une voie ouverte et des choix pluriels. Cette voie est à tracer dans la citoyenneté, la participation politique et la renaissance culturelle fidèle à l’esprit de la Nahda du début du XXe siècle. Certes, l’avenir des chrétiens du monde arabe ne dépend pas seulement des contributions dont ils sont capables, mais aussi de l’attention qu’y porteront leurs concitoyens musulmans, non condescendante mais solidaire et sensible aux richesses d’un pluralisme qui éviterait au monde arabe le triste visage de l’uniformité.
Les choix s’inscrivent dans l’engagement qu’interpelle l’aspiration à la liberté, à la dignité et à la démocratie, animant l’ensemble des populations arabes, les jeunes en particulier, afin de refonder la solidarité, le lien patriotique et la recherche du bien commun sur des bases nouvelles. Pour les croyants, cette option trouve appui dans ce que le théologien Jean Corbon, fin analyste du narcissisme communautaire, appelait le dépassement de la « peur de disparaître » par le « risque d’exister ».

Tarek MITRI
Ancien ministre
À l’heure des transformations radicales dans plusieurs pays arabes, la situation actuelle des chrétiens, et encore plus leur avenir, ne saurait être dissociée de celle de l’ensemble de leurs concitoyens. Nous ne le répéterons jamais assez. Cependant, la perception de ces transformations est marquée par l’inquiétude. Dans la plupart de ses causes – réelles, exagérées ou...

commentaires (4)

C'est comme se trouver parmi des fleurs épineuses et sans fragrance.

SAKR LEBNAN

09 h 24, le 23 mai 2012

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • C'est comme se trouver parmi des fleurs épineuses et sans fragrance.

    SAKR LEBNAN

    09 h 24, le 23 mai 2012

  • Les SAINS se retrouvent face à des Intégristes organisant des "battues et des chasses à cours" Sectaires jusqu’au fin fond des petites ruelles de ce que peut compter ce pays d’innombrables petites ruelles ! Désespérant du fait qu’ils ne seront jamais admis dans la Société Saine, ils appartiennent aux Fanatisés de la société et constituent donc une pépinière d’Intégristes de toutes espèces vivant sur le dos de la société. Rôdeurs sans toit ni loi, ne démentant jamais le caractère typé de Sectaires de grands chemins ! Recrutés souvent incultes ou jeunes, ils sont capables des actes les plus infâmes ! On leur donne même un costume particulier pour les distinguer du reste de la société ! Comme guides, on leur attache des professionnels ou bien ils élisent eux-mêmes leurs Petits chefs, dont les rodomontades sur le fanatisme sectaire les séduisent fatalement. Cette parodie "de religiosité" dramatique, restera à jamais vitale à ces Pâmés pour continuer à enchainer certains Puinés à la tradition archaïque et rétrograde liée à ce Sectarisme diversifié, en vue de lutter contre l'Etat Moderne libanais et contre l’Indispensable Développement tant économique, social que sociétale, nécessaire et inéluctable pour le Liban Développé du vingt et unième siècle et pour sa nouvelle jeune génération Eclairée !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    13 h 40, le 22 mai 2012

  • Il est évident que si les Chrétiens de Syrie par exemple, continuent à défendre de la sorte ce régime sanguinaire assadique de Damas, leur présence même en Syrie sera peut-être remise en cause car par ce comportement, ils cristallisent ainsi sur eux en tant qu’affidés de ce régime, toute la Haine qu’a la Majorité Sunnite du pays à l’encontre de ce régime Nusayrî si haï !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    04 h 06, le 22 mai 2012

  • - - Vous présentez Tarek MITRI comme une personnalité indépendante , or il est bien connu pour son appartenance au 14 mars et plus particulièrement au bloc du futur , appartenance qu'il revendique d'ailleurs politiquement et sans complexe . Pour ce qui est de la personnalité la plus qualifiée et la mieux placée au Liban et dans la région pour aborder et analyser le rôle des Chrétiens d'Orient dans la conjoncture présente , rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu .. Personnellement et comme plusieurs millions de personnes , je me contente d'écouter ce que sa Béatitude le patriarche EL-Rai et tous les autres patriarches ont dit à ce sujet . Merci de publier .

    JABBOUR André

    01 h 39, le 22 mai 2012

Retour en haut