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Liban - Reportage

À Baabda, les détenues renouent avec la vie

Après une première expérience réussie de dramathérapie auprès des détenus à la prison de Roumieh, c’est vers les femmes incarcérées à Baabda que Zeina Daccache se tourne. Depuis juillet 2011, une quarantaine d’entre elles suivent régulièrement les sessions, question de se réconcilier avec « soi-même » et de « mieux affronter » la période de l’après-Baabda.

L’une des quarante détenues ayant bénéficié des sessions de dramathérapie, exécutant un exercice.

Rien dans le périmètre de l’hôpital gouvernemental de Baabda ne laisse présager l’existence d’une prison. Toutefois, à quelques enjambées de l’établissement hospitalier, un ancien et minuscule bâtiment délabré jouxte celui des cliniques externes. Une plaque noire accrochée sur la façade de l’immeuble situé au fond de la place qui sert de parking permet aux visiteurs d’identifier la prison des femmes.
La sécurité des lieux se résume à quelques agents des Forces de sécurité intérieure (FSI), une barrière noire et une porte grillagée à moins de deux mètres de l’entrée de la prison.
L’enceinte de la geôle est aussi morose que le paysage externe. Au rez-de-chaussée se trouvent la salle de la responsable et des gardiennes, la cuisine et deux cellules. Un escalier étroit et en béton conduit à trois cellules situées au premier étage. À l’étage supérieur se trouvent les ateliers de couture mis en place par l’Association de secours aux prisonniers et leurs familles (ASPF), ainsi que «la promenade». Il s’agit en fait du seul espace où les détenues ont la possibilité de se dégourdir les jambes, de voir le soleil et de respirer l’air... à travers les barreaux. C’est à «la promenade» également que se déroulent les séances de dramathérapie, au milieu du brouhaha des femmes qui cuisinent, font la vaisselle, étendent le linge ou se promènent.
«Les conditions de travail sont vraiment difficiles, d’autant que la prison est petite et surpeuplée» (86 femmes réparties sur cinq cellules, NDLR), explique Zeina Daccache, dramathérapeute et directrice exécutive de Catharsis (association à but non lucratif dédiée à la dramathérapie au Liban et au Moyen-Orient). Elle avait initié le projet à la prison de Baabda en juillet 2011, à la demande des prisonnières. Ces dernières avaient visionné le documentaire du spectacle 12 Libanais en colère, dans le cadre de la tournée organisée par Catharsis dans les prisons du Liban pour montrer aux détenus le travail achevé par leurs compères. Le programme de dramathérapie à Baabda a été financé par la fondation suisse Drosos.
«Il n’y a pas un espace isolé où nous pouvons nous réunir à l’abri du vacarme, poursuit Zeina Daccache. Pas une minute ne passe sans que des voix ne s’élèvent d’un étage ou l’autre de la prison. Si deux femmes se disputent dans les cellules, nous ne pouvons pas travailler tant qu’elles n’ont pas réglé leurs problèmes. De plus, la chambre que les responsables de la prison ont mise à la disposition de Catharsis est le seul endroit où les prisonnières peuvent respirer. Donc, nous devons attendre qu’elles aient fini leur “promenade” pour travailler. Parfois, les sessions de dramathérapie se tiennent l’après-midi, donc parmi les femmes qui se livrent à des tâches ménagères...»
Il n’en reste pas moins que ces sessions de travail ont amélioré le quotidien de non moins de quarante femmes et leur ont permis de se réconcilier avec elles-mêmes.

Solidarité
«Ces sessions ont appris aux femmes le sens de la solidarité et du travail en groupe», insiste encore Zeina Daccache. Elle raconte dans ce cadre qu’après deux représentations de Schéhérazade (la pièce de théâtre qui se poursuit encore à la prison), l’une des détenues qui y participe a été libérée, «mais elle a insisté à revenir à chaque représentation». Idem pour Fatma, une autre détenue, ayant retrouvé la liberté au terme de quatorze années de détention.
«Zeina nous a rendu la vie», affirme Caroline, accusée de complicité dans un meurtre et qui attend toujours le verdict. «Avant les sessions de dramathérapie, nous étions des morts-vivants, poursuit-elle. Aujourd’hui, je sens que je suis vivante. Que nous soyons fautives ou détenues injustement, ces sessions nous ont donné l’espoir d’une nouvelle vie. Ces sessions m’ont surtout donné confiance en moi-même. Désormais, je me sens plus forte et capable de faire face au monde à l’extérieur.»
Mère d’une fille de 8 ans, qu’elle n’a pas la possibilité de voir, Caroline confie que «la prison l’a rendue plus forte». «Désormais, je connais mes droits, note-t-elle. J’ai été victime de violence domestique. Mon mari me frappait. J’avais honte de dire que j’étais une femme battue, même à mes parents. Je n’ai jamais pensé le dénoncer. J’avais peur de le faire. Maintenant, je n’ai plus peur d’en parler. Avant les sessions de dramathérapie, je me disais qu’il était mieux de rester emprisonnée. Aujourd’hui, je rêve du jour où je recouvrerai la liberté. Le regard que les autres porteront sur moi ne m’importe plus, du moment que j’ai appris à me connaître. Je me sens libre.»
Amal, comme elle aime qu’on l’appelle, a 54 ans et elle est mère de trois enfants. Elle est détenue depuis plus de neuf mois pour trafic de drogue. Deux de ses enfants sont également emprisonnés pour le même crime. «J’étais repliée sur moi-même, au point que les autres détenues ont cru que j’étais folle, raconte-t-elle. La première fois que j’ai assisté à une session de dramathérapie, Zeina faisait faire des jeux aux autres femmes. Je n’ai pas voulu participer. Pendant sept mois, je ne faisais qu’observer les autres. Lorsqu’on a commencé à parler de spectacle, j’ai demandé à y participer. J’ai commencé alors à suivre les sessions de dramathérapie. Celles-ci nous ont ouvert une nouvelle porte et le spectacle nous a permis de faire entendre notre voix. Pour quelque temps, nous avons vraiment senti que nous étions des sultanes, des êtres humains. Les gens posaient un regard différent sur nous. Nous n’étions plus des criminelles, mais des femmes, elles aussi victimes de leur société.»
Maro, détenue depuis un an pour vol, a hâte de sortir et rêve d’une carrière de comédienne. «J’adore le théâtre, confie-t-elle. J’aime aussi Zeina. C’est elle qui m’a encouragée à jouer dans Schéhérazade. Zeina a opéré un changement radical dans ma vie. Avant les sessions de dramathérapie, je sentais que j’étais prisonnière de ma propre personne. Aujourd’hui, plus rien ne me fait peur. Je sens que je suis plus forte de tous ceux qui se considèrent libres.»

 

Pour mémoire

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Rien dans le périmètre de l’hôpital gouvernemental de Baabda ne laisse présager l’existence d’une prison. Toutefois, à quelques enjambées de l’établissement hospitalier, un ancien et minuscule bâtiment délabré jouxte celui des cliniques externes. Une plaque noire accrochée sur la façade de l’immeuble situé au fond de la place qui sert de parking permet aux...

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Je vous conseille "Les murs ne font pas la prison", le livre de Joëlle Giappesi (salut Joëlle).

Robert Malek

05 h 46, le 15 mai 2012

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Commentaires (1)

  • Je vous conseille "Les murs ne font pas la prison", le livre de Joëlle Giappesi (salut Joëlle).

    Robert Malek

    05 h 46, le 15 mai 2012

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