Rechercher
Rechercher

À La Une - La femme de la semaine

Aung San Suu Kyi : de la résidence surveillée au Parlement

En prêtant serment, mercredi, devant le parlement birman, l'opposante acharnée est condamnée à un certain pragmatisme.

Aung San Suu Kyi au Parlement le 2 mai 2012 à Naypyitaw en Birmanie. Soe Zeya Tun/

Aung San Suu Kyi, l'icône birmane et lauréate du prix Nobel de la paix a prêté serment mercredi devant le Parlement, un instant aussi bref qu'historique à l'issue duquel elle a endossé son premier mandat électoral, après deux décennies d'âpre lutte politique.

 

Agée de 66 ans, la "Dame de Rangoun" a passé quinze années en détention depuis 1989 avant d'être libérée le 13 novembre 2010, six jours après des élections législatives largement manipulées par le pouvoir en place.

 

Mais depuis l'arrivée aux affaires d'un gouvernement civil en mars 2011, les autorités ont entrepris de nombreuses réformes qui ont convaincu Aung San Suu Kyi de participer aux élections partielles de dimanche, qui portaient sur 45 circonscriptions.

 

Acquise à une forme d'action non-violente, Suu Kyi s'est inspirée du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King, auxquels elle s'est abondamment référée dans ses écrits et ses discours.

 

Elle a joué un rôle de premier plan dans le soulèvement populaire écrasé par l'armée en septembre 1988 et a été assignée à résidence pour la première fois de 1989 à 1995 pour s'être exprimée trop ouvertement contre le régime.

 

C'est durant cette période qu'elle a reçu le prix Nobel de la paix. Vers la même époque, le Parlement européen saluait en cette "Mère courage" un ardent défenseur des droits de l'homme et lui attribuait le prix Sakharov de la liberté de pensée.

 

Née le 19 juin 1945 à Rangoun, la fille du général Aung San, qui a négocié l’indépendance de la Birmanie avant sa mort aux main de ses rivaux en 1947, y accomplit sa scolarité avant de poursuivre ses études en Inde, où sa mère Khin Kyi est nommée ambassadeur. Après des études de philosophie à New Delhi, son parcours passe par l'université anglaise d'Oxford, où elle sort diplômée de sciences politiques et d'économie. Elle devient ensuite assistante à l'Ecole des études orientales de Londres et travaillera à New York au Comité des questions administratives et budgétaires de l'Onu.

 

En 1972, elle épouse Michael Aris, universitaire britannique spécialiste du Tibet dont elle aura deux fils. Ils vivent au Bhoutan, en Inde et au Japon avant de se fixer à Oxford.

 

Rentrée à Rangoun en 1988 pour soigner sa mère malade, elle se trouve mêlée à l'agitation étudiante qui entraîne la chute du régime du général Ne Win. Suu Kyi prend la parole en public pour dénoncer la répression et réclamer des élections libres. "Je ne pouvais pas, en tant que fille de mon père, rester indifférente à tout ce qui était en train de se passer", dit-elle alors à l'occasion de son premier discours devant des manifestants pro-démocratie. "Cette crise nationale pourrait en fait être appelée la deuxième lutte pour l'indépendance."

 

Elle contribue à créer la Ligue nationale pour la démocratie, dont elle devient secrétaire générale, et réclame la fin du régime militaire. La junte réagit en plaçant cette militante charismatique en résidence surveillée en juillet 1989.

 

Soutenue par l'opposition et l'Occident qui prennent la mesure de son aura, elle sacrifie sa famille à la cause et restera en Birmanie en 1999, tandis que son mari mourait d'un cancer en Grande-Bretagne, de crainte de ne pouvoir rentrer chez elle.

 

Devenue députée, l'opposante acharnée et jusqu'au-boutiste est désormais une actrice du jeu politique condamnée aux compromis avec, selon les analystes, ses adversaires comme ses alliés.

 

En prêtant serment mercredi devant le Parlement, après voir échoué à faire modifier le texte qui lui était imposé, la lauréate du prix Nobel de la paix a semble-t-il mis les grands principes au second plan.

 

Avec sa Ligue nationale pour la démocratie (LND), elle dénonce depuis le premier jour la Constitution de 2008 qui accorde aux militaires des pouvoirs écrasants. Mais elle ne pouvait éternellement refuser de siéger, après avoir été élue triomphalement aux partielles du 1er avril par un peuple qui attend d'elle rien moins que des miracles.

 

Car lundi, lorsque le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a prononcé le premier discours d'un dignitaire étranger devant le Parlement, elle a surtout brillé par son absence. "La LND a donné l'impression, encore une fois, d'avoir raté le train", estime Renaud Egreteau, expert de la Birmanie à l'université de Hong Kong. Résultat, selon lui, d'une division entre ceux qui refusent de coopérer avec les militaires, et une ligne plus pragmatique dont Aung San Suu Kyi se rapprocherait. "Peut-être voit-on enfin Aung San Suu Kyi s'émanciper des caciques de son parti", ajoute-t-il. Mais elle n'en respecte pas moins profondément ses compagnons de lutte, respectueusement surnommés les "Oncles". Et "la culture birmane fait que l'on ne remet pas facilement en cause l'autorité des anciens".

 

En tant que députée, Suu Kyi va maintenant devoir plancher sur des sujets concrets, de l'aide étrangère au développement, en passant par la refonte du système de santé et de l'éducation. Il lui faudra accepter de céder du terrain sur certains dossiers pour mieux en gagner sur d'autres.

 

Ce mois de juillet 1998 risque désormais de sembler loin, quand elle était restée six jours dans sa voiture, coincée par la junte, sur un pont à 26 kilomètres de Rangoun. Déterminée à se rendre en province malgré l'interdiction du pouvoir, elle n'avait rebroussé chemin que lorsqu'un soldat avait lui même pris le volant. Applaudie en Occident, elle s'était vue reprocher par le régime d'avoir "refusé obstinément toute tentative de persuasion".

 

Aujourd'hui, l'heure est pour tout le monde au dialogue et aux marchandages.

Aung San Suu Kyi, l'icône birmane et lauréate du prix Nobel de la paix a prêté serment mercredi devant le Parlement, un instant aussi bref qu'historique à l'issue duquel elle a endossé son premier mandat électoral, après deux décennies d'âpre lutte politique.
 
Agée de 66 ans, la "Dame de Rangoun" a passé quinze années en détention depuis 1989 avant d'être libérée le 13 novembre...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut