Salah Stétié, la poésie, une affaire de vie.
Lunettes solaires sombres pour un regard perçant, jaquette à carreaux prince-de-Galles beige clair, chemise bleu ciel et cravate marron pour Salah Stétié, « toujours content de se retrouver au Liban », dit-il avec le sourire. Poète libanais de langue française, Salah Stétié, auteur de plus 80 opus, a déjà une œuvre poétique considérable, sans oublier essais, biographies et un roman.
Sur le thème du « retour », Salah Stétié a fait résonner son « dire » poétique. Mais aussi, outre le Liban de son cœur, de son enfance, de ses premières activités journalistiques et littéraires, Stétié a offert à l’auditoire des textes liés à l’actualité du Moyen-Orient sur la situation du monde arabe post-révolutionnaire. Par-delà toute aventure personnelle et poétique, il y avait aussi la lecture de poèmes d’amour et de mort. Pour cela il était accompagné par Dr Marwan Farès, un de ses premiers traducteurs en arabe, avant de passer à la conclusion avec un mot d’Henri Zgheib.
La poésie, grande affaire d’une vie, comment la définir, la cerner, l’approcher ? Qui peut mieux en parler qu’un poète ? Et Salah Stétié de dire : « La poésie, pour moi, est le langage premier, celui qui exprime avec la plus grande spontanéité, ce qui n’exclut pas travail et élaboration, et le plus de passion, ce qui n’exclut pas non plus la réflexion. Un poète est un homme qui dit dans sa langue à lui les problèmes de tous. Avec un langage différent, issu évidemment de la langue, mais plus concentré, plus saisissant, plus chargé d’images, de métaphores et de symboles que la langue de tous les jours. Mais à travers tout cela, tout ce que veut le poète, c’est dire l’expérience de chacun. Car nous partageons tous la même expérience dès qu’il s’agit du fondamental. Et cette expérience du fondamental est faite d’un mystère pluriel : mystère de la naissance, de la filiation, de l’enfance, des sensations, de l’adolescence, de la jeunesse liée au mystère de l’amour...
Il y a toutes les interrogations qui nous assaillent, le mystère du cosmos. Il y a tout ce qui dans la nature et les saisons nous fait signe, il y a la douleur physique, la maladie, le vieillissement, la désillusion, le désenchantement historique, et au bout de tout cela, il y a la mort, un mystère absolu. Le poète prend en charge tout cela à travers son expérience. Et s’il a un grand talent et du génie, il peut faire que son expérience soit la voix de tous et chacun. C’est le cas de tous les grands poètes. Je ne veux citer ici que deux grands poètes en qui nous nous reconnaissons comme dans un miroir. Œuvres remarquables par leur forme, leur musique et leur langage, et je nomme Charles Baudelaire et Rainer Maria Rilke. Poètes majeurs, et tous les autres poètes les rejoignent dans cette nappe d’eau où ils puisent leur inspiration. Appelée nappe phréatique, c’est l’eau des profondeurs partageable entre tous les hommes... »
Le taquineur de muses
Et pour prendre le contre-pied, si on ose le dire, de tant de gravité, de tant de sérieux, si l’on parlait, comme pour un petit moment d’humeur coquine, d’un mauvais poète. Qu’est-ce qu’un mauvais poète en ces temps de pléthore de publication ?
Regard un peu étonné de Stétié, mais la réponse ne tarde pas à venir. Avec un respect immense pour la poésie.
« Je connais beaucoup de poètes qui ne correspondent pas, ni par leur préoccupation ni par leurs soins de maniements, à ce que j’estime être de la poésie. Je ne porte pas de jugement. »
Pour l’auteur de Mahomet et des Porteurs de feu, le traducteur du Prophète de Khalil Gibran (trois versions) et le signataire de L’Eau froide gardée, voyageur infatigable (il parle d’un périple qui l’a conduit des quatre coins de l’Inde à la Corée en passant par la Grèce et le Quatar), la plume, par ailleurs, n’a jamais chômé. En préparation, plus d’un ouvrage.
Derniers échos, un peu en vrac : « Je travaille actuellement, confie Stétié, sur mes Mémoires. À la demande de l’éditeur Robert Laffont. Jusqu’à maintenant, le titre serait Errant sous l’impensable, une citation de Holderlin. Un parcours qui inclut ma carrière de diplomate, d’ambassadeur et de témoin privilégié pour les grands événements qui ont secoué le Liban. Et il y a aussi l’aspect de mon expérience littéraire avec mes recueils de poésie, mes essais, mon roman (Lecture d’une femme – chez Fata Morgana – dont on a tiré une pièce donnée à Avignon), la vie de Mahomet, des textes sur des notions liées à la pensée existentielle du monde arabe : sur le désert, sur des mystiques soufis, Roumi, Hallaj... Du côté de la poésie, je prépare un nouveau recueil intitulé D’une langue... »
Avant-dernière question. Pour un poète qui en a vu des événements, connu des pays, visité des myriades de mots, quelle serait l’ultime ambition ?
« Je voudrais faire mon œuvre, dit en toute désarmante simplicité Stétié, c’est-à-dire demain je n’écris pas, je reste au lit et je contemple mes pieds... Mais pour un écrivain, il y a quelque chose d’essentiel qu’il faut absolument qu’il trouve... Et c’est ce qui fait que beaucoup d’écrivains meurent la plume à la main... »
Pour conclure, en rimes et à tout seigneur tout honneur, quels conseils un aîné tel que vous donnerait à un jeune poète, « taquineur » de muses en herbe ?
Petit sourire malicieux et les mots fusent : « Tenir sa langue pendant un an, dix-sept fois dans sa bouche, avant d’émettre son premier vers. Et de vérifier qu’il n’y a pas aussi à proximité un oiseau qui ne viendra pas lui mordre la langue. Ça c’est pour plaisanter ! Pour ce qui est vrai : il ne faut entrer en poésie que si on est vraiment poussé par les épaules et qu’on ne trouve pas son compte dans la prose, même la plus belle. Cela était mon cas ! »
Lunettes solaires sombres pour un regard perçant, jaquette à carreaux prince-de-Galles beige clair, chemise bleu ciel et cravate marron pour Salah Stétié, « toujours content de se retrouver au Liban », dit-il avec le sourire. Poète libanais de langue française, Salah Stétié, auteur de plus 80 opus, a déjà une œuvre poétique considérable, sans oublier essais, biographies et un...
commentaires (8)
Le poème cité par SAKR LEBNAN est très beau. Merci! Monsieur Pierre Hadjigeorgiou, admettons que nous fassions partie de la (drôle de) tribu des HUMAINS... C'est plus aimable que «peuplade»... Vous avez raison d'être fier de votre origine grecque tout en étant Libanais. La Grèce, dont le destin nous attriste, est un des berceaux de l'Humanité. Et aujourd'hui, l'Humanité est en pleine régression...
Nayla Sursock
09 h 08, le 12 avril 2012