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Santé

Quand la technophobie devient toxique

Par Henry I. MILLER

Henry I. Miller, médecin et biologiste moléculaire, intervient en philosophie scientifique et politique publique auprès de l’Institution Hoover de l’Université de Stanford. Il a été le directeur fondateur du département de biotechnologie de la FDA.

Un phénomène tout à fait singulier est apparu dans le monde entier à la fin des années 1990. Les unes après les autres, les grandes entreprises alimentaires ont capitulé devant des militants opposés à une nouvelle technologie prometteuse : le génie génétique végétal au service de la production alimentaire. Ces entreprises capitulent encore aujourd’hui.
Le brasseur japonais Kirin et son équivalent danois Carlsberg ont fait disparaître de leur bière tout ingrédient génétiquement modifié. Aux États-Unis, le géant du fast-food McDonald’s les a banni de son menu ; les fabricants alimentaires Heinz et Gerber (suivis par une division de Novartis, basée en Suisse) les ont exclus de leur gamme d’alimentation pour nourrisson ; et Frito-Lay a exigé de ses producteurs qu’ils cessent de semer un maïs génétiquement modifié destiné à contenir une protéine bactérienne lui conférant une résistance à la prédation des insectes.
Les raisons de ces mesures ont été développées de différentes manières, mais la réalité est qu’en cédant aux demandes d’un nombre infime de militants fallacieux, les grandes entreprises ont choisi de proposer aux consommateurs des produits moins sûrs, les exposant ainsi à des dangers légitimés.
Chaque année autour du monde, un nombre incalculable de produits alimentaires conditionnés sont isolés ou rappelés du marché en raison de la présence de contaminants « totalement naturels » comme des morceaux d’insectes, des moisissures toxiques, des bactéries et autres virus. L’agriculture étant un exercice qui se pratique en plein air et au contact de la terre, ce genre de contamination est une simple réalité de la vie. Au fil des siècles, le principal coupable de l’empoisonnement alimentaire de masse a été la contamination des cultures non traitées par des toxines fongiques – un risque décuplé lorsque les insectes s’attaquent aux cultures alimentaires, laissant derrière eux des ouvertures qui permettent aux champignons (moisissures) de prendre pied.
Les fumonisines, par exemple, ainsi que plusieurs autres toxines fongiques sont hautement toxiques et entraînent des cancers de l’œsophage chez les êtres humains, ainsi que des maladies mortelles chez le bétail ayant consommé le maïs infecté. Les fumonisines interfèrent également avec la capture cellulaire d’acide folique, une vitamine qui réduit le risque de malformation du tube neural chez le fœtus en développement, et peuvent ainsi entraîner une carence en acide folique – ainsi que des carences en spina bifida – même si le régime alimentaire de l’individu contient des quantités de vitamines qui, habituellement, seraient suffisantes.
De nombreuses agences de régulation ont ainsi fixé des niveaux maximum de fumonisines autorisés dans la nourriture et les produits alimentaires à base de maïs. La manière habituelle de répondre à ces normes et de prévenir la consommation de toxines fongiques consiste à simplement tester les graines traitées et non traitées afin d’exclure celles qui se révèlent contaminées – une approche qui s’avère à la fois ruineuse et vouée à l’échec.
Toutefois, la technologie moderne – et plus précisément la modification génétique des organismes végétaux au moyen des techniques de recombinaison de l’ADN (également connue sous le nom de biotechnologie alimentaire ou génie génétique) – offre une solution au problème. Contrairement aux discours des critiques de la biotechnologie alimentaire, qui affirment que les organismes génétiquement modifiés présentent des risques (dont aucun ne s’est produit) de nouveaux allergènes ou toxines dans l’offre alimentaire, ces produits apportent à l’industrie alimentaire un moyen pratique et prouvé de lutte contre la contamination fongique à la source.
Excellent exemple de cela, le maïs conçu par épissage en variétés commerciales d’un gène (ou de gènes) à partir d’une bactérie inoffensive. Les gènes bactériens s’expriment par des protéines qui sont toxiques pour les insectes amateurs de maïs, mais inoffensives pour les oiseaux, les poissons et les mammifères, y compris les humains. Le maïs modifié repoussant les insectes ravageurs, il réduit par la même occasion les niveaux de moisissure Fusarium, diminuant ainsi les niveaux de fumonisines.
En effet, les chercheurs de l’Iowa State University et du département américain de l’Agriculture ont constaté que le niveau de fumonisines contenu dans le maïs modifié était 80 % inférieur à celui du maïs habituel. De la même manière, une étude italienne réalisée sur des porcelets sevrés, nourris soit au maïs conventionnel, soit à la même variété de maïs mais cette fois-ci modifiée afin de synthétiser une protéine bactérienne conférant une résistance à la prédation des insectes, a révélé que la variété modifiée contenait des niveaux de fumonisines inférieurs. Plus important encore, les porcelets ayant consommé le maïs modifié ont atteint un poids final supérieur, indice de bonne santé générale, malgré une absence de différence dans les quantités d’aliments ingérés par les deux groupes.
Aux vues des bienfaits pour la santé – sans parler de la possibilité de rendements supérieurs et plus fiables –, les gouvernements devraient promulguer des mesures incitatives destinées à accroître le recours à de telles céréales et autres cultures génétiquement modifiées. Par ailleurs, on s’attendrait à ce que les défenseurs de la santé publique demandent que ces variétés améliorées soient cultivées et utilisées dans l’alimentation, plutôt que d’encourager la chloration et la fluoration de l’eau potable. Et les producteurs alimentaires qui s’engagent à offrir aux consommateurs les meilleurs produits et les plus sûrs devraient s’efforcer de proposer des produits génétiquement modifiés sur le marché.
Hélas, rien de tout cela ne se produit. Les militants continuent de former une opposition bruyante et tenace à l’encontre des denrées génétiquement modifiées, et cela malgré vingt années de preuve de leurs bienfaits significatifs, notamment la diminution du recours aux pesticides chimiques (et ainsi un moindre écoulement chimique dans les rivières), une plus grande utilisation des pratiques agricoles destinées à prévenir l’érosion des sols, de meilleurs bénéfices pour les agriculteurs et une moindre contamination fongique.
Dans leurs réponses aux bêlements des militants, les décideurs politiques ont soumis le test et la commercialisation des cultures génétiquement modifiées à des régulations non scientifiques et draconiennes, avec des conséquences désastreuses. Une étude novatrice portant sur l’économie politique et la biotechnologie agricole a révélé que la sur-régulation entraînait des « retards dans la diffusion de technologies prouvées, résultant en un moindre taux de croissance de l’offre alimentaire mondiale et en une augmentation des prix alimentaires ». Les politiques actuelles ont également un effet « dissuasif à l’égard de l’investissement dans la recherche, le développement, entraînant un ralentissement des innovations en technologies de deuxième génération dont on sait qu’elles peuvent engendrer des bienfaits considérables auprès des consommateurs et de l’environnement ».
Tous les individus concernés par la production et la consommation alimentaire en souffrent : les consommateurs (particulièrement dans les pays en voie de développement) sont soumis à des risques sanitaires qu’il est pourtant possible d’éviter, et les producteurs alimentaires s’exposent à un risque juridique en vendant des produits considérés comme « mauvais par essence ».
Les politiques publiques qui condamnent et entravent des innovations vitales en matière de production alimentaire sont des politiques qui négligent l’intérêt général.

© Project Syndicate 2012. Traduit de l’anglais par Martin Morel.
Un phénomène tout à fait singulier est apparu dans le monde entier à la fin des années 1990. Les unes après les autres, les grandes entreprises alimentaires ont capitulé devant des militants opposés à une nouvelle technologie prometteuse : le génie génétique végétal au service de la production alimentaire. Ces entreprises capitulent encore aujourd’hui.Le brasseur...

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