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Le rap, un acte poétique

Sur le terrain glissant d’un rap que l’on pourrait croire usé, une musique mise à laquelle on a préféré des sonorités plus complaisantes, Mazen el-Sayed, alias el-Rass, prouve le contraire et réinvente le genre.

Métro el-Madina. Foule éparse devant le théâtre rouge sang. Dehors, c’est froid. On a fermé les persiennes à la nuit. Mais à l’intérieur, c’est lumineux, chaud, bouillant. L’espace est large. Assez large pour que les pas de Mazen croisent les mots, et les mots, les regards. L’univers de ses brulôts rencontre les mains occupées de Jawad Nawfal, membre du projet Munma, qui excelle dans la parfaite maîtrise des bribes de musique électronique entrecoupées de silences. Beyrouth s’incarne dans une palabre arabe, riche et électrique. Mazen réanime les poumons du mot.

Donner de l’importance au sens plutôt qu’au rythme
14 ans. Mazen a une tête, mais aussi des mains. Ce seront des mains de musicien. Fasciné par la poésie arabe, influencé par des poètes comme Mahmoud Darwiche, Badr Chaker al-Sayyab ou encore Nazek el-Malaïka, Mazen forme alors un groupe de rap avec des amis, réalise un album amateur et se produit dans quelques concerts. En 2001, expatrié en France pour poursuivre des études supérieures, son appétit croissant pour de nouveaux horizons musicaux d’écoute marque une certaine distance avec le rap. C’est le temps de la musique classique orientale et de l’expérimentation de nouveaux instruments musicaux, à l’instar des percussions, de la Baglama et de la musique électronique. Mazen confie que le rap n’est pas sa principale source d’inspiration : « Ce que j’ai envie d’écouter, ce n’est pas un genre musical, mais des textes qui me touchent. » En 2008, il monte un groupe avec une chanteuse et produit quelques-uns de ses poèmes au Liban. Fraîchement diplômé de l’École nationale de la statistique et de l’administration, Mazen n’hésite pas à quitter l’univers de la finance, pour devenir journaliste pour as-Safir et musicien. Poursuivant l’élargissement de son champ musical, il fait des lectures régulières de poésie à Beyrouth. Puis, les événements du printemps arabe essaimant une poudre révolutionnaire, Mazen reconsidère l’idée de faire du rap. Son principal créneau : donner de l’importance au sens plutôt qu’au rythme sans se contenter d’impressionner par des tours de passe-passe, l’important étant de dire et au mieux quelque chose. Son travail de journaliste est un tremplin favorable : « Le rap s’ancre dans le réel et puise les événements dans des images très révélatrices qui peuvent être développées. »

Un art rageur, une musique engagée
Quelques semaines plus tôt, c’est à Walimat Wardeh que Mazen se joint à Tareq, musicien venu d’Amman et découvert via le Net. Comme pour d’autres jeunes artistes, la Toile constitue, outre l’opportunité de faire de riches collaborations, un territoire musical qui d’un clic dilue les frontières et permet l’échange de questionnements sur leurs sociétés. Borkan Beirut, Les justes, Enough et d’autres titres sont disponibles sur SoundCloud. Le ton y est vite donné : Mazen n’a pas le souci de faire une musique d’évasion. Au contraire, il souhaite « plonger les gens dans la réalité dans laquelle ils vivent pour créer des visions communes aux choses ».
« Ce n’est pas un acte sain d’adopter un système musical qui existe ailleurs et de l’implanter ici. Le rap est un acte poétique. On n’a pas besoin de s’enquérir d’une forme étrangère pour le pratiquer. La création c’est la continuité de l’art et non sa répétition », explique le musicien. Son premier album, Kachf el-Mahjoub, sorti le 22 février, est le fruit de sa collaboration avec Jawad Nawfal. Même s’il est encore loin « d’être en communication large avec la société libanaise », el-Rass travaille déjà sur un deuxième album. « Le plus important est de conquérir un nouveau public de gens qui n’écoutent pas du hip hop. »

Maya SOURATI
Métro el-Madina. Foule éparse devant le théâtre rouge sang. Dehors, c’est froid. On a fermé les persiennes à la nuit. Mais à l’intérieur, c’est lumineux, chaud, bouillant. L’espace est large. Assez large pour que les pas de Mazen croisent les mots, et les mots, les regards. L’univers de ses brulôts rencontre les mains occupées de Jawad Nawfal, membre du projet Munma, qui...
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