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Couverture spéciale de la révolte en Syrie - Analyse

Vers un Benghazi syrien ?

Dix mois après le début du soulèvement contre le régime, les moyens dont dispose l’Armée syrienne libre (ASL) restent limités. Peu de leurs commandants militaires, et encore moins d’experts internationaux, s’aventurent à pronostiquer une victoire rapide de l’ASL sans changement radical de la situation sur le terrain, comme la défection de généraux fidèles à Bachar el-Assad. Une intervention étrangère paraît encore plus hypothétique.
Certains commandants insurgés n’en ont pas moins proclamé un territoire « libéré » après avoir pris le contrôle d’une région montagneuse proche de la frontière libanaise, une initiative qui rappelle celle des opposants libyens au début du soulèvement contre Mouammar Kadhafi. « Il nous faut créer notre propre Benghazi », explique au téléphone à Reuters un ancien officier de l’armée syrienne, répondant au nom de guerre d’Abou Thaer, et qui assure que « si une zone tampon était décrétée, ou une zone d’exclusion aérienne, cela provoquerait une série de défections dans l’armée. La situation changerait à 180 degrés ».


Pour certains observateurs, la percée des rebelles dans les faubourgs de Damas a donné une nouvelle crédibilité à l’ASL. « Elle se renforce, occupe une place de plus en plus importante au sein de l’opposition et représente désormais une vraie force sur le terrain », estime ainsi Andrew Tabler, analyste au Washington Institute pour les études proche-orientales. « Cela ne signifie pas qu’elle peut renverser l’État, mais elle constitue une menace sérieuse. »


Par ailleurs, les rebelles sont frustrés que le soutien moral que leur apportent certains membres de l’OTAN, comme la Turquie, ne se traduise pas en actions concrètes. « Nous allons libérer davantage de territoires car la communauté internationale n’a rien d’autre à proposer que des menaces vides », promet un insurgé âgé d’une vingtaine d’années, de Zabadani où l’ASL a contraint la semaine dernière l’armée régulière à accepter un cessez-le-feu et à se retirer. « On doit se préparer à faire le travail nous-mêmes », ajoute un commandant de l’armée rebelle qui opère entre la Turquie et la ville d’Idlib. Le porte-parole du haut commandement de l’ASL en Turquie se veut de son côté plus prudent. Selon Maher Ismaïl, l’ASL cherche avant tout à empêcher la troupe de Bachar el-Assad de s’attaquer aux civils, et non une lutte frontale contre une force qui lui est numériquement dix fois supérieure. Qualifier Zabadani et d’autres secteurs du pays de « territoire libéré » est une « erreur d’interprétation », précise-t-il, ajoutant que « nous n’exerçons pas un contrôle militaire total sur ces territoires. Nos combattants ont réussi à repousser à plusieurs reprises les forces gouvernementales, mais l’ASL n’a pas les moyens de contrôler totalement une région et de la décréter zone sécurisée. Nous manquons de munitions. Ils ont des tanks, de l’artillerie lourde et des avions. Nous n’avons que des armes légères et nous n’avons pas de ligne d’approvisionnement fiable en dehors de ces régions ».


Un déséquilibre de forces illustré par l’intervention des chars dans les faubourgs de Damas, qui n’a pas laissé aux rebelles d’autre option que la retraite. C’est pour cette raison, souligne Abou Thaer, que les insurgés restent près des frontières du pays, afin d’éviter l’encerclement. La conquête de Zabadani lui apparaît de ce point de vue fragile, en raison de la présence de l’autre côté de la frontière libanaise du Hezbollah. Pour établir une zone libre, conclut Abou Thaer, « il vaudrait mieux choisir Deraa, proche de la frontière jordanienne, ou Jabal al-Zawiya, dans la province d’Idlib, adossée à la Turquie ».

L’enlisement
« C’est le début d’un conflit armé généralisé, nous nous dirigeons vers un véritable chaos », affirme de son côté Joshua Landis, directeur du Centre d’études pour le Moyen-Orient à l’Université d’Oklahoma. « L’opposition réalise lentement que pour gagner, il va falloir détruire l’armée », indique-t-il, ajoutant que « personne ne viendra à son secours, ni les Arabes ni l’Occident », et que « le peuple a espéré que les manifestations pacifiques pousseraient M. Assad à démissionner, qu’il y aurait un scénario à l’image de la place Tahrir. Mais il réalise qu’il n’y aura pas de fin magique ».
« Le conflit armé donne des arguments au régime pour réprimer plus et arguer que la violence est le fait de groupes armés salafistes venant de l’extérieur », explique ainsi Agnès Levallois, spécialiste de la Syrie, basée à Paris.

 

« L’enjeu, c’est Damas. Qui tient Damas tient la Syrie », note de son côté Fabrice Balanche, maître de conférences en géographie à l’Université Lyon 2. Selon cet expert, la rébellion mobilise des éléments dans des banlieues sunnites et pauvres où les islamistes ont prospéré ces dernières années. De quoi confirmer les craintes d’une guerre civile généralisée entre sunnites et alaouites, M. Balanche évoquant « un mépris et un ressentiment religieux qui explosent » parmi la population. « Le régime se dit si la Syrie va vers un début de guerre civile, il peut agiter l’épouvantail libanais et irakien pour faire en sorte que la population revienne dans le droit chemin », ajoute-t-il. Mais cette tactique peut se retourner contre lui, « si ça dégénère de trop, il ne maîtrisera plus le processus ». « Bachar pourrait tenir peut-être militairement, mais pas économiquement ni politiquement, et au final il serait quand même obligé de partir », conclut M. Balanche.

Dix mois après le début du soulèvement contre le régime, les moyens dont dispose l’Armée syrienne libre (ASL) restent limités. Peu de leurs commandants militaires, et encore moins d’experts internationaux, s’aventurent à pronostiquer une victoire rapide de l’ASL sans changement radical de la situation sur le terrain, comme la défection de généraux fidèles à Bachar...