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À La Une - Analyse

Le charisme vacillant d’Obama et Sarkozy

Sarkozy et Obama lors du sommet du G20 qui s'est tenu à Cannes. Photo AFP

En 2012 le pouvoir va changer de main dans deux grandes autocraties, mais le passage du témoin ne devrait pas réserver de surprise : en Chine Xi Jinping devrait être désigné comme président pour succéder à Hu Jintao et en Russie Poutine a annoncé qu’il veut remplacer Medvedev à la présidence. Par contre, des démocraties vont connaître cette année des élections dont l’issue est moins prévisible. La campagne électorale de Sarkozy en France et celle d’Obama aux USA vont être difficiles et leur réélection est incertaine.

Après l’élection d’Obama en 2008, la presse a dit qu’il avait gagné grâce à son « charisme » – cette capacité de fasciner et d’inspirer la loyauté. Dans ce cas, comment se fait-il que sa réélection soit incertaine seulement quatre ans après ? Un leader peut-il perdre son charisme ? Le charisme tient-il d’une personnalité, de ses partisans ou de la situation ? La recherche universitaire montre qu’il tient des trois.

Il est étonnant de constater à quel point il est difficile de prévoir le charisme que pourrait avoir un homme ou une femme politique. Selon une enquête récente, on ne sait pas trop comment identifier les dirigeants charismatiques. Pour Dick Morris, un consultant américain spécialisé en politique, « le charisme est le trait politique le plus difficile à saisir, car il n’existe pas en réalité, mais seulement dans notre perception ». On l’attribue à un candidat, estime-t-il, lorsque sa persévérance se conjugue à une situation propice. De la même manière, la presse spécialisée qualifie nombre de PDG de charismatiques quand leur entreprise prospère, et lui retire ce qualificatif quand elle chute.

Les chercheurs en sciences politiques ont tenté de créer des échelles de charisme pour prédire par exemple le résultat des élections présidentielles, mais cela n’a pas été concluant. Parmi les présidents américains, on dit souvent de Kennedy qu’il avait du charisme – mais apparemment pas aux yeux de tous, car il n’a pas obtenu la majorité du vote populaire et sa popularité a varié au cours de sa présidence.

Son successeur, Johnson, se plaignait de manquer de charisme. C’était vrai en ce qui concerne ses prestations publiques, mais il pouvait être « magnétique » et même subjuguer ses interlocuteurs lors d’un contact personnel. Une étude approfondie de la rhétorique des présidents américains montre que même des orateurs aussi réputés que Roosevelt ou Reagan ne pouvaient compter sur leur seul charisme pour appliquer leur programme.

On identifie plus facilement le charisme après coup. En ce sens, c’est un concept qui se mord la queue. Il ressemble à l’ancien concept chinois de « mandat du ciel » : les empereurs devaient gouverner parce qu’ils avaient un mandat du ciel pour cela, et lorsqu’ils étaient renversés, c’est parce qu’ils l’avaient perdu. Mais personne ne pouvait prévoir quand allait se produire le renversement. Pareillement, on dit d’une personnalité politique qu’elle est charismatique une fois qu’elle a réussi. Par contre, il est bien plus difficile de dire au préalable si son charisme va lui permettre de réussir.

L’opinion publique attribue du charisme à un dirigeant lorsqu’elle ressent un fort besoin de changement, souvent à l’occasion d’une crise (il peut en être de même au niveau individuel lorsque le besoin de changement est lié à des problèmes personnels). Ainsi en 1939, les Britanniques ne percevaient pas Churchill comme un dirigeant susceptible de soulever l’enthousiasme, mais un an plus tard, du fait de leur anxiété après la débâcle française et l’évacuation de Dunkerque, sa vision, sa confiance et son savoir-faire pour communiquer ont fait de lui un leader charismatique. Mais en 1945, la guerre étant gagnée et l’opinion publique appelant avant tout à la construction d’un État providence, Churchill a été remercié. C’était l’évolution de l’opinion publique et non son charisme qui était annonciateur de sa défaite.

En pratique, le « charisme » est vaguement synonyme du « magnétisme » lié à un individu. Il varie d’une personne à l’autre et tient à la fois de l’hérédité, du contexte social et du cheminement personnel. Certaines dimensions de ce pouvoir d’attraction, telles que l’apparence et la communication non verbale, peuvent être testées. Selon différentes études, les personnes considérées comme séduisantes disposent d’un atout par rapport aux autres. L’une de ces études indique qu’un candidat à une élection doté d’un physique séduisant dispose de 6 à 8 % de voix supplémentaires par rapport à un concurrent peu avantagé sur ce plan. Pour les femmes, cet écart approche 10 points de pourcentage.

La communication non verbale joue un rôle essentiel ; des expériences simples montrent que certaines personnes y réussissent mieux que d’autres. Ainsi une étude de l’université de Princeton conclut que lorsqu’on montre à des sujets les images de deux candidats d’une élection dont ils ignorent tout, ils prévoient 7 fois sur 10 quel sera le vainqueur. L’université de Harvard a entrepris une expérience analogue dans laquelle on demandait à des sujets de prévoir le résultat de 58 élections opposant les deux principaux partis après leur avoir montré des vidéos sans le son de 10 secondes sur la campagne des divers candidats. L’étude conclut que les prévisions fondées uniquement sur la communication non verbale des candidats expliquaient 20 % des variations que l’on pouvait observer entre les résultats de tous ces scrutins – un paramètre plus important que l’économie ! Paradoxalement, les prévisions perdaient en qualité si l’on mettait le son.

Lors de l’élection présidentielle de 2008, les Américains étaient échaudés par Bush en raison de la guerre en Irak et de la crise financière qui avait éclaté deux mois avant l’élection, alors qu’Obama apparaissait comme un candidat jeune, séduisant et éloquent, porteur d’espoir en l’avenir. C’est manifestement une raison qui explique sa réputation de personnalité charismatique.
Néanmoins une partie de son charisme résidait dans les yeux de ses partisans. On dit parfois que l’on reconnaît le charisme lorsqu’on le rencontre, mais lorsque nous regardons un leader politique nous regardons aussi un miroir. Avec l’aggravation de la crise économique et la montée du chômage, Obama a dû faire les compromis boiteux liés à l’exercice du pouvoir et l’image dans le miroir s’est ternie.

Si le charisme nous apprend quelque chose sur un candidat, il nous en apprend sans doute encore davantage sur nous-mêmes, sur l’état d’esprit de notre pays et sur le type de changement auquel nous aspirons. Il est difficile à un leader de rester charismatique lorsque son pays traverse des difficultés économiques. Obama est confronté de manière permanente au problème du chômage et à une opposition républicaine qui lui est farouchement opposée. En France, Sarkozy doit faire face à une situation analogue. Mais lorsqu’ils entameront leur campagne électorale, leur rhétorique ne sera pas entachée par la nécessité de faire des compromis. Les élections qui s’annoncent seront le véritable test de leur charisme.

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Joseph S. Nye est professeur à Harvard et ancien vice-secrétaire américain à la Défense. Il a écrit un livre intitulé « The Future of Power ».
©Project Syndicate, 2012.
En 2012 le pouvoir va changer de main dans deux grandes autocraties, mais le passage du témoin ne devrait pas réserver de surprise : en Chine Xi Jinping devrait être désigné comme président pour succéder à Hu Jintao et en Russie Poutine a annoncé qu’il veut remplacer Medvedev à la présidence. Par contre, des démocraties vont connaître cette année des élections dont l’issue est...
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