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À La Une - Conférence

La traversée du désert des élites intellectuelles de l’après-Ben Ali

Dans une allocution présentée par le père Sélim Abou s.j et la professeure Katia Haddad, tous deux membres de la chaire Louis D. d’anthropologie culturelle dont c’est le dixième anniversaire, le professeur Samir Marzouki a offert un témoignage particulièrement émouvant de la révolution tunisienne telle qu’il l’a vécue.
Sans chercher à analyser en profondeur le mouvement de contestation populaire qui a suivi l’immolation de Bouazizi à Sidi Bouzid, M. Marzouki a préféré s’exprimer en tant que citoyen tunisien plutôt qu’en tant que chercheur. Décrivant les premiers jours de la révolution, Samir Marzouki se rappelle de l’euphorie et la crainte ressenties par les milliers de personnes descendues dans la rue afin de demander dignité et justice.
Cependant, l’élan est vite retombé pour laisser place à des interrogations censées avoir disparu. Au grand désarroi d’une population confuse, « des comportements qu’on croyait révolus sont réapparus : pillages, absence de sens civique et de respect des biens publics, sit-in pour demander tout et n’importe quoi, violences, intimidations, incendies, atavismes... ». M. Marzouki, lui, a tenté tant bien que mal dans un pays en plein chaos de jouer un rôle positif dans la mesure de ses moyens : « J’ai été directeur général de l’enseignement supérieur pendant 11 mois ; c’était la tâche la plus ingrate, la plus difficile et la plus insupportable que j’aie eu à faire de ma vie. »
Nous arrivons alors au cœur du débat : le « printemps arabe » est-il en réalité un long hiver glacial ?
La « démocratie est un apprentissage, affirme le professeur tunisien. Il faut du temps, et il faut apprendre à vivre avec les autres ». Les modernistes doivent donc apprendre à accepter les islamistes et les salafistes, et vice versa.
Plus encore, les élites intellectuelles se sont retrouvées à découvrir la face cachée d’un pays qu’apparemment elles ne connaissaient pas, comme l’étendue insoupçonnée de la corruption et de la misère. « On voit maintenant le fossé énorme entre les élites et le peuple qui les a rejetées ; on voit la dispersion, sauf chez les islamistes organisés, et dont nous découvrons les réseaux sociaux et dormants. Le manque d’organisation est patent chez les modernistes, on ne peut le nier », avoue M. Marzouki. « Il faut aussi reconnaître la défaite des partis indépendants et démocratiques, et leurs différences avec le peuple. Pourquoi ?
Ces partis vivaient dans une bulle », dénonce Samir Marzouki. « Ben Ali ne les faisaient pas participer à la vie politique, ils étaient des opposants, mais ils jouaient le jeu. » L’opposition qui était non radicale et qui a laissé faire le pouvoir a donc été discréditée et laminée, tandis que ceux qui étaient réellement persécutés par le régime, comme les islamistes, ont été portés au pouvoir.
En fin de compte, l’avenir ne peut être prédit, et l’horizon n’est pas net, estime l’intellectuel tunisien. Les trois partis au pouvoir (Ennahda, le CPR et Ettakattol) sont très différents idéologiquement et manquent de maturité politique. Les rapports plus qu’ambigus d’Ennahda avec les radicaux ne sont pas pour aider à la situation, sans oublier que cette troïka se concentre sur des sujets de moindre importance tandis que les thèmes et demandes même de la révolution, comme l’économie et le chômage, ne sont pas abordés.
« Donc sommes-nous entrés dans un “hiver arabe” avec une théocratie, ou sommes-nous capables de relever le défi et travailler ensemble petit à petit ? s’interroge l’universitaire. C’est nous, avec notre volonté et notre passivité, qui allons décider cela », conclut-il.
Dans une allocution présentée par le père Sélim Abou s.j et la professeure Katia Haddad, tous deux membres de la chaire Louis D. d’anthropologie culturelle dont c’est le dixième anniversaire, le professeur Samir Marzouki a offert un témoignage particulièrement émouvant de la révolution tunisienne telle qu’il l’a vécue.Sans chercher à analyser en profondeur le mouvement de...
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