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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Terro(tou)risme

Le Liban n’est pas, n’est plus, à proprement parler, un pays touristique. Choyé par la nature, il a été gâché par les hommes. Rongé par le béton, miné par les dérives et politiques et militaires, tant locales que régionales, il demeure néanmoins, envers et contre tout, un pays à vocation éminemment touristique.

Or, si cette vocation se trouve systématiquement contrariée, ce n’est pas par hasard. Ce n’est pas seulement non plus par inconscient laisser-aller.

Pire en effet que la mortelle pagaille sur les routes, que la fraude sur les prix, que le pillage auquel est exposé le visiteur étranger, est l’incertitude délibérément entretenue par d’aucuns, l’instabilité alimentée à coups de secousses sécuritaires. Et aussi la claire détermination de ceux-ci à défigurer ce pays aux traditions libérales, hospitalier, ouvert sur l’extérieur, à y importer et imposer des rituels rétrogrades.

C’est en ces jours de fêtes où restaurants et boîtes de nuit affichent déjà complet pour le réveillon du Nouvel An que se manifeste le plus inopportunément ce choquant phénomène. Site touristique de premier plan fort prisé des touristes et vacanciers comme des soldats de la Finul en permission, la cité de Tyr vient d’être ainsi le théâtre d’une série d’attentats aux explosifs contre des débits de boissons alcoolisées et autres établissements. La dernière en date de ces agressions a ravagé un restaurant bien connu de la ville. Avec un courage qui force l’admiration, les propriétaires ont relevé le lâche défi : en 48 heures à peine, les dégâts, pourtant importants, étaient réparés. Était maintenu, strictement inchangé, le programme gastronomique et musical de la soirée de la Saint-Sylvestre. Et des dizaines de représentants de la société civile se réunissaient dans la salle remise à neuf pour appeler les responsables à sévir contre les terroristes et leurs protecteurs de l’ombre.

Doublement déplorable en revanche était la reddition totale de cette véritable institution qu’est le Rest House, qui a affiché son regret de ne pouvoir désormais servir d’alcool à ses clients. En premier lieu, en effet, ce charmant complexe hôtelier et balnéaire est en effet la propriété du ministère du Tourisme qui en a concédé l’exploitation à une entreprise privée et depuis des décennies ; il représente, de surcroît, une étape incontournable pour tout visiteur du Liban-Sud. Interrogé hier au téléphone, le ministre Fadi Abboud a fait montre d’une sainte et légitime colère, soulignant qu’on n’avait fait là que récompenser les poseurs de bombes. Plus tard dans la journée, le ministère a rappelé fort à propos les droits prévus par la Constitution, ajoutant qu’en ce qui concerne du moins les sites dont il détient la tutelle, tout consommateur était libre de son choix, dans les limites prévues par la loi.

C’est réconfortant. Reste à savoir toutefois quelles suites (et poursuites !) on peut attendre de cette affaire, compte tenu du silence quasi total qu’observent les services sécuritaires face à une forme de terrorisme d’autant plus pernicieuse qu’elle semble se parer de vertus morales. Or rien n’est moins mensonger. Dans le Chicago des années 20, c’est la prohibition qui avait donné des ailes au gangstérisme ; ici, ce sont des gangsters qui prétendent faire œuvre pie en instaurant par la terreur une prohibition absolument incompatible avec la texture socioculturelle de notre pays : lequel ne se veut ni un mini-Iran à la xénophobie effrénée ni un Las Vegas au rabais, mais une terre de liberté où c’est l’État – et l’État seul – qui fait la loi, dans le respect des libertés individuelles comme des susceptibilités communautaires.

Sans être membre actif de la Ligue des alcooliques invétérés, c’est à la santé d’un tel Liban qu’au seuil de l’année nouvelle, je lève résolument mon verre.

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

Le Liban n’est pas, n’est plus, à proprement parler, un pays touristique. Choyé par la nature, il a été gâché par les hommes. Rongé par le béton, miné par les dérives et politiques et militaires, tant locales que régionales, il demeure néanmoins, envers et contre tout, un pays à vocation éminemment touristique.Or, si cette vocation se trouve systématiquement...

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