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À La Une - L'Orient Littéraire

Liban, champ de bataille

David Hirst nous livre une référence capitale sur la tourmente libanaise. Du maelström intercommunautaire à l'omniprésence du conflit israélo-arabe.

 

Pour reconnaître à cet ouvrage ses nombreux mérites, et lui être équitable comme il sait l’être pour les divers protagonistes dans la plupart des occasions, il faut le nettoyer de son titre français et lui faire retrouver son objet et sa démarche véritables. La maison d’édition Perrin, enhardie par son riche catalogue historique et désireuse de cibler un vaste lectorat, lui a donné précipitamment le titre Une Histoire du Liban 1860-2009 qui n’est déjà pas approprié quant à la première date, puisqu’en dépit de l’intitulé du premier chapitre, il prend son point de départ dans les accords de Sykes-Picot (1915) et la formation du Grand Liban (1920). Le fait que le dernier chapitre soit consacré à « Gaza, 2009 » et l’épilogue à « La paix d’Obama… » met au grand jour l’inadéquation foncière.

 

Pour en revenir au titre original anglais, il reprend le mot de Bakounine mis en épigraphe, Gare aux petits États, et lui adjoint en sous-titre : Liban, champ de bataille du Proche-Orient. Nous voilà mieux renseignés sur l’objet véritable de l’ouvrage : le Liban en tant que terrain de guerre de protagonistes régionaux et mondiaux. Donc moins le pays du Cèdre dans sa vie interne et profonde, dans sa « tradition démocratique solide qui, malgré ses faiblesses, le distingue de tous ses voisins » (p.350) que dans ses tropismes extérieurs : la vulnérabilité de « ce maelström intercommunautaire » aux intérêts et idéaux contradictoires des puissances proches et lointaines, et sa place aux premières loges (sinon à la toute première) de la question de Palestine. « À l’origine, reconnaît l’auteur, ce livre n’était pas destiné à être une histoire du conflit israélo-arabe. Néanmoins, à chaque étape de sa rédaction, le conflit n’a cessé de s’immiscer comme une partie tellement inséparable, intrinsèque et constitutive du sujet évoqué par le titre, que c’est bien ce qu’il a fini par devenir en grande partie. »

 

L’auteur de l’ouvrage, David Hirst, journaliste britannique né en 1936, correspondant régional du Guardian au Proche-Orient pendant 43 ans et qui a résidé à Beyrouth – où il a fait une partie de ses études – près d’un demi-siècle, connaît de très près son sujet. Non seulement il a couvert les guerres du Liban où il a été kidnappé à deux reprises, mais il a aussi presque tout lu de ce que la littérature anglo-saxonne, auteurs arabes et israéliens compris, et partie de ce que la littérature française ont produit sur le sujet. Son livre s’inscrit donc dans cette catégorie où le journalisme et la recherche académique s’investissent le mieux l’un dans l’autre pour donner ce qu’on nomme « l’histoire immédiate ». Si la seconde donne les titres scientifiques, assure la rigueur et étend l’exploration, le premier fait la sève et le substrat : à preuve, la supériorité des chapitres vécus et couverts par l’auteur (de loin les plus nombreux, les plus longs et les plus intéressants) sur les chapitres du début puisés aux seules sources livresques.

 

Les premières années de la guerre du Liban (que Hirst persiste à nommer « civile » alors que le plus significatif de sa démonstration va dans le sens d’« une guerre par procuration pour le reste du monde ») ont déjà donné lieu à de nombreux ouvrages, et notre auteur en tire profit. Sa véritable nouveauté, désormais référence obligée pour tout observateur, voire tout chercheur, c’est cette synthèse riche, méticuleuse, exhaustive, pleine de méandres sur les années qui vont du soulèvement chiite de la prise du pouvoir en Iran par Khomeyni et les islamistes (1979) à la guerre de Gaza (2009) en passant évidemment par les diverses étapes du devenir libanais et régional du Hezbollah. Hirst imbrique, l’un dans l’autre, sans l’ombre d’un manichéisme et avec un doigté extraordinaire pour la complexité et les nuances, les changements des acteurs et la persistance comme le devenir des enjeux régionaux et internationaux. Son récit vivant réussit à animer une scène conflictuelle nourrie de sang et de larmes, mais dont les acteurs principaux sont aussi éloignés l’un de l’autre que l’est Washington de Téhéran et Damas ou Riyad de Tel-Aviv. Aussi faut-il reconnaître à l’ouvrage une de ses principales forces : présenter les nombreuses facettes, ambivalentes voire contradictoires, des faits tout en parvenant à des conclusions concises et péremptoires. À titre d’exemple : « La République islamique a toujours été le réel instigateur et le bénéficiaire » de l’affaire des otages du Liban (1984-1992).

 

Sur « la sixième guerre israélo-arabe » (2006), « voulue » et « provoquée » par un État sioniste surestimant sa capacité de la mener et aveugle aux points forts de son ennemi, sur son déroulement militaire et diplomatique, comme sur ses résultats qui donnent lieu, selon le camp, à des interprétations contradictoires, David Hirst est, dans deux longs chapitres, exhaustif, passionnant, équilibré, n’omettant ni « l’hypocrisie » des puissances occidentales ni la « schizophrénie » de l’État libanais. Pour cette raison au moins, il ne faut pas manquer de lire ce livre, le livre d’un juste.

 

Pour reconnaître à cet ouvrage ses nombreux mérites, et lui être équitable comme il sait l’être pour les divers protagonistes dans la plupart des occasions, il faut le nettoyer de son titre français et lui faire retrouver son objet et sa démarche véritables. La maison d’édition Perrin, enhardie par son riche catalogue historique et désireuse de cibler un vaste lectorat, lui a...

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